Philippe Laïk
, dialogue avec les lycéens autour de son livre Sous le soleil, les armes (Le temps des cerises, 2019). Un roman autobiographique d’appelé au service militaire dans la guerre d’Algérie. Il explique à quel point les jeunes soldats découvraient un pays totalement inconnu, eux qui souvent n’avaient jamais voyagé hors de chez eux. Il décrit l’ennui plus fréquent que l’horreur dans cette « guerre ». Lui-même est victime d’un quiproquo : il demande à être affecté au service cinéma de l’Armée, lui « cinéphile ». On le baptise maître-chien dans une unité combattante, comme  « cynophile ». Puis la prise de conscience politique vient après le retour à la vie civile en France, jusqu’à la manifestation parisienne de l’enterrement des victimes du métro Charonne.

La lecture de son livre nous présente ce que fut le quotidien de l’auteur, certes plus politisé que « la moyenne » des soldats pris dans cette guerre. La complication : ce parisien a quelques attaches familiales à Oran, il est donc un peu moins perdu dans cette Algérie qu’il ne découvre pas à partir de rien. Pour lui comme pour ses camarades, en contre-point de la guerre, la frustration permanente de se faire « voler » deux ans de vie, au moment où on sort de l’adolescence, où dans la société française qui se modernise alors à grande vitesse, on aurait « droit » à une liberté ; entre autre sexuelle, qui est remplacée par les tristes expériences de la prostitution, par la recherche systématique de la « planque » qui permet d’éviter les risques, mais tout autant d’éviter la promiscuité de la chambrée. (Claude Bataillon)

Autre lecture pour ce roman:

Les gens qui connaissent l’œuvre du poète algérien Jean Sénac auront compris que le titre de ce roman est une variation sur le titre du recueil Le soleil sous les armes publié par le poète aux éditions Subervie en 1957.
L’auteur du roman, Philippe Laïk, fait d’ailleurs de Jean Sénac un personnage de sa fiction, qui pour être un roman n’en emprunte pas moins beaucoup à la réalité. Le narrateur, qui est en grande partie l’auteur, revient sur un épisode qui a pris place dans les années 1956-1958 (alors qu’il avait entre 19 et 21 ans). Il a fait partie des « appelés » de la Guerre d’Algérie qui par malchance ont été amenés à y jouer les prolongations, et c’est ainsi qu’il a passé plus de vingt-six mois de sa vie sous les drapeaux, pour reprendre l’expression consacrée. C’est évidemment beaucoup et l’on comprend à la fois pourquoi, en sortant de là, son premier désir a (sans doute) été d’oublier et pourquoi il n’y est pas vraiment parvenu puisqu’en 2019, il choisit de se faire romancier pour raconter ces années-là, lui dont le métier est d’être cinéaste : sa passion cinéphilique précoce apparaît très nettement dans les souvenirs de jeunesse que nous livre son roman : Ah ! François Truffaut et les Cahiers du cinéma , on dirait bien que ce sont des compagnons et une présence mentale qui l’ont aidé à tenir pendant les interminables 26 mois !
Et pourtant, Philippe Laïk ne fait pas le choix de l’horreur si l’on peut dire les choses ainsi et ne se montre pas particulièrement révolté ou indigné, en tout cas pas autant qu’on pourrait le supposer pour avoir traversé une telle épreuve. Certes, il n’embellit en aucune façon les événements et ne cherche pas à leur trouver un aspect positif. Dès les moments dont il parle et qui se situent dans la première partie de la guerre, l’idée s’impose que tous les efforts de l’armée française ne serviront a rien et que la marche des Algériens vers l’indépendance est inéluctable.
Le sentiment national qui les anime est d’une force telle qu’il finira par s’imposer ; et d’ailleurs le récit qu’il fait des événements comporte des épisodes où l’on voit la désertion (avec armes et bagages, c’est le cas de le dire ) des supplétifs algériens très présents aux côtés des soldats français. L’un des aspects intéressants du livre de Philippe Laïk est de montrer que l’un n’empêche pas l’autre, c’est-à-dire que ces mêmes Algériens peuvent à la fois travailler honnêtement pour l’armée française qui les emploie et porter en eux le fort sentiment de leur appartenance algérienne. Il ne s’agit pas d’un double jeu conscient et organisé mais plutôt d’une situation qui pour eux est double en effet.
Ce qui est appréciable dans le livre de Philippe Laïk est qu’il ne véhicule pas de sentiment haineux, même lorsqu’il s’agit de pauvres jeunes gens massacrés sous les yeux du narrateur au cours des tristement célèbres «accrochages» ; le racisme forcément présent ici ou là, n’est pas de son fait. Né à Paris dans un milieu de bourgeoisie juive moyenne, c’est un garçon plutôt heureux jusqu’à ce qu’il se trouve mêlé (le mot est faible) de force à cette guerre catastrophique dont il n’a jamais rien su auparavant et l’on est tenté de dire même pendant. La politique ne l’intéresse guère, comme on l’a dit ce qu’il aime est le cinéma, les sorties en boîte pour écouter du jazz, la bonne cuisine et les bons vins, les jolies filles aussi, de façon normale puisque qu’il est précisément à l’âge de l’éducation sentimentale et sexuelle (bientôt rattrapé par un petit frère qui en arrive là à sa suite). L’un des intérêts du livre, et il n’est pas négligeable, est de nous montrer ce qu’était un jeune Parisien des années 50, plutôt cultivé à sa manière en tout cas, heureux au sein de sa famille et sans trace de révolte, sans égoïsme non plus car on voit bien pendant ses années d’Algérie qu’il se montre généreux et sans préjugés à l’égard de ses compagnons moins chanceux que lui.
Cette absence de révolte obtient d’ailleurs un effet inattendu parce qu’en tant que lecteur on est amené à se dire avec consternation que ce garçon n’a décidément rien à faire dans la galère où il se trouve entraîné (et dont il avait d’abord espéré sortir, sans le moindre scrupule, grâce aux relations de son père) .En ce sens, l’intérêt du livre est de montrer un personnage qui n’a rien de remarquable, alors qu’on a le sentiment d’avoir lu plus souvent des souvenirs de cette même guerre sous la plume de garçons qui étaient dès le départ plus engagés politiquement ou qui le sont devenus pendant les événements. Il y a là aussi une confirmation de ce qu’on sait par ailleurs à savoir que les Français de France dits Français moyens se souciaient fort peu de l’Algérie jusqu’à ce qu’on les y force, de manière inopinée pour la plupart d’entre eux, et évidemment détestable .
Les petits moments de vie ordinaire qui viennent ponctuer le roman çà et là, en fonction des permissions accordées aux soldats, sont eux aussi représentatifs de cette vie française du siècle dernier, avant « le retour du grand Charles »—c’est le titre d’un des derniers chapitres du livre. Il est clair que le narrateur n’est pas prêt pour passer à l’OAS lorsqu’arrive le moment de cette criminelle aventure.
Une des qualités appréciables du livre de Philippe Laïk est sa discrétion, le mot signifiant dans ce contexte qu’on ne prétend pas se mêler de ce qu’on ne connaît pas ou pas bien et encore moins de polémiquer à ce propos. Ce romancier parle de ce qu’il a vu et vécu, et s’il se donne le plaisir d’un peu de fabulation, cela ne concerne pas les événements collectifs. Lorsqu’il raconte qu’on l’a nommé maître-chien par erreur, alors qu’il s’était déclaré cinéphile et non cynophile comme on l’a cru, c’est presque trop beau pour être vrai mais qui sait ? Et l’important est en fait qu’il s’attache à son chien comme à l’un de ses plus fidèles compagnons, après lui avoir consacré de très belles pages… (Denise Brahimi, Lettre culturelle franco-maghrébine, mars 2020)