« DES MILLE ET UNE FAÇONS D’ÊTRE JUIF OU MULSULMAN » de Delphine Horvilleur et Rachid Benzine. Dialogue, éditions du Seuil, 2018

Si l’on ajoute aux indications données par le titre la présence dans ce livre d’un troisième personnage, Jean-Louis Schlegel, organisateur du dialogue annoncé et qui, lui, est notoirement chrétien, on aura vite compris l’importance du mot « dialogue ». Il désigne ici ce qu’on a coutume d’appeler un dialogue interreligieux, ce qui, dans le contexte des problèmes contemporains, signifie un dialogue entre les représentants des trois monothéismes, juif, chrétien, musulman.
Cependant cette façon habituelle de présenter les choses ne rend pas compte du plus important, ici le ton du dialogue, dû à la personnalité des deux auteurs annoncés, à leur jeunesse, à leur enthousiasme et à leur accord très profond. Et pourtant la partie n’était pas gagnée d’avance, tant il y a dans le monde actuel de raisons supposées, apparentes ou réelles mais très souvent évoquées, pour qu’on s’attende à buter sur des obstacles insurmontables. Les deux « religions du livre » représentées dans cet excellent « Des Mille et une façons d’être juif ou musulman » apparaissent généralement comme des frères ennemis et d’autant plus ennemis que proches.
De plus Delphine Horvilleur est rabbin, ce qui est suffisamment rare chez une femme pour que la chose soit maintenant bien connue, et le moins qu’on puisse dire est que ce métier oblige, croirait-on, à une certaine orthodoxie. Il faut cependant préciser qu’elle appartient à la mouvance libérale des Juifs de France et qu’elle conçoit la religion et la foi avec une très grande liberté. Pour ce qui est de Rachid Benzine il est islamologue, mais il se considère aussi comme le disciple du protestant Paul Ricœur et du philosophe Michel Foucault et il est clairement à l’opposé de l’islam fondamentaliste. Nous avons donc affaire à deux personnes en dialogue qui se rejoignent dans une même conception de ce que la religion n’est pas, de ce qu’elle ne devrait pas être, quels que soient les textes de référence dans lesquels il n’est pas question pour eux de se cantonner. Si exégèse il y a, elle n’a de sens que si elle déborde le texte et l’interprète dans le sens d’une ouverture, à l’opposé de tout immobilisme et encore plus d’un retour au passé.
Le plaisir qu’il y a à lire ce dialogue est qu’on y trouve deux personnes qui sur le fond sont profondément d’accord et de ce fait peuvent entrecroiser très souplement leur pensée. Il n’y a pas l’ombre d’une agressivité ni chez l’un ni chez l’autre, ni entre eux ni même comme on pourrait s’y attendre contre les représentants non libéraux de leur religion. Le problème n’est jamais de pourfendre l’ennemi et l’on comprend ainsi quelle facilité il y a dans l’attitude inverse qui est de loin la plus répandue. Une des phrases les plus significatives, pour laquelle ils associent leurs deux noms, est celle-ci : « Nous en sommes convaincus : être « héritier » ne consiste pas à mettre ce qui a été reçu dans un coffret fermé à clef, mais à le faire fructifier. Cela ne consiste pas à reproduire à l’identique ce qui a été reçu, mais à le renouveler. »
Ce livre est absolument indispensable pour équilibrer la vision sinistre de la religion que l’on doit aux fondamentalismes et aux mouvements identitaires. Bien que ses deux auteurs se soient déjà révélés auparavant, on est tenté de dire que c’est la bonne surprise dont nous avions besoin et envie.
Denise Brahimi

(extrait de la Lettre culturelle franco-maghrébine N° 32, avril 2019, Coup de Soleil Lyon)