Table ronde au MODEL (auditorium), vendredi 8 février 2019 (16 h 45 – 17 h 45)

 Modérée par Hicham JAMID, qui fait une thèse en sociologie sur les Marocain(e)s étudiants en France et est très mobilisé sur la récente augmentation des droits d’inscription pour les étudiants extra-communautaires (ils seraient multipliés par 7).

Avec Lama KABBANJI, chargée de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement de l’Université Paris-Descartes,  qui travaille sur les mobilités étudiantes, Aïssa KADRI, sociologue, professeur de sociologie à l’Université Paris VIII, qui travaille sur l’émergence d’une intelligentsia au Maghreb et sur les migrants, Lina RHISSI, journaliste à Tel Quel, qui travaille sur les mobilisations étudiantes depuis novembre sur la question de l’augmentation des droits.

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D’entrée de jeu, est soulignée la nécessité absolue qu’une telle table ronde ait lieu pendant ce MODEL, en écho aux mobilisations étudiantes – tant les étudiants menacés par l’augmentation des droits sont en priorité ceux qui viennent du Maghreb, et de toute l’Afrique.

Aïssa Kadri retrace l’histoire des étudiants maghrébins en France ; il y voit 3 phases :

  • Dans les années 30, l’unique Université maghrébine, celle d’Alger, étant pratiquement fermée aux indigènes, ils viennent en métropole, où sera formée la génération des leaders nationalistes (exemple type de la contradiction entre la France coloniale et la France des droits de l’homme). Souvent issus de familles de notables, ils rejoignent les militants d’autres milieux, mais sans véritable coalescence.
  • Dans les années post-indépendance, il y a moins de migration étudiante et intellectuelle. Mais, en Algérie, certains viennent en France pour échapper au contrôle de l’UNEA ; la politique officielle est d’accorder des bourses pour des pays autres que la France ; ensuite les arabisants sont orientés vers les pays anglo-saxons et les francisants vers la France. Le Maroc et la Tunisie construisent leur université. Mais quand les systèmes politiques se verrouillent, les étudiants de gauche partent et s’intègrent bine en France.
  • Dans les années 80 et 90, l’arabisation des sciences sociales pousse beaucoup d’étudiants au départ. La France les accueille d’une manière très contradictoire : le système est attractif pour les étudiants alors même que les politiques migratoires sont de plus en plus restrictives. Au Maroc, l’enseignement supérieur privé se développe en direction des classes moyennes, constituant un vivier pour les autres pays.

Lina Rhissi souligne que les étudiants marocains ont d’abord été nombreux à venir en France, surtout en sciences sociales, grâce au système des bourses et à des incitations dans tous les milieux. Maintenant, ils sont issus surtout des classes moyennes et supérieures et ils sont fait leurs études secondaires dans des établissements privés, ou à l’école française ; la politique est de prendre les meilleurs cerveaux.

Hicham Jamid explique que la France est la première destination des étudiants maghrébins : longtemps la politique de la France a été libérale : il s’agissait de former les élites des anciennes colonies. Puis les procédures se sont compliquées, dans le cadre de la marchandisation plus globale de l’enseignement supérieur et des principes de migration choisie.

Lama Kabbanji démonte le système « Bienvenue en France » qui a été proposé par le gouvernement en novembre 2018. Les mobilités étudiantes sont désormais soumises aux intérêts économiques (l’immigration choisie implique de n’accepter que des travailleurs et des étudiants qualifiés) :

  • Hausse des frais de scolarité pour les étudiants extra-communautaires ; le but est de financer ainsi les universités pour qu’elles accueillent mieux les étudiants.
  • Délocalisation de la formation française à l’étranger, par exemple en Tunisie et au Sénégal ; dans ces campus délocalisés, les formations sont payantes.

Déjà, depuis les mesures prises par Sarkozy dans les années 2000, il y a eu une chute du nombre d’étudiants étrangers – qui, par ailleurs, vont plus dans les grandes écoles que dans les universités. On veut désormais attirer les étudiants des pays émergents ou développés (et non ceux des anciennes colonies). Or les étudiants venus d’Afrique représentent actuellement 47 % des étudiants étrangers présents en France (les Marocains sont les plus nombreux : 30 000). Mais les facteurs de l’attractivité d’un pays étant les liens existants, la langue et les conditions d’accueil – et la valeur des diplômes français dans leurs pays, la France risque de perdre sur les 2 tableaux.

Hicham Jamid insiste sur le fait que les étudiants étrangers sont mal traités en France : ils sont toujours soupçonnés d’être des sans-papiers. Après le processus Campus France et la demande de visa, ils ont de nombreuses démarches à effectuer ils sont interdiction de travailler plus de tant d’heures (pour les Marocains, 952 heures par an ; pour les Algériens 840 h). Il faut aussi prouver qu’on a des revenus minimums (615 euros par mois) ; on doit fournir une attestation selon laquelle on a 7000 euros bloqués sur un compte.

Aïssa Kadri note que 60 % des étudiants en sciences sociales et humaines sont des étrangers. On les soupçonne de faire durer leurs études pour obtenir la carte de séjour au bout de 10 ans mais c’est parce qu’ils galèrent.

Débat avec la salle :

  • Le traitement des étrangers est un laboratoire de mesures plus larges, les étudiants français commencent à s’en rendre compte ; mais ce n’est pas le cas dans l’opinion.
  • Les contradictions vis-à-vis des étudiants étrangers se retrouvent partout : on a besoin des étrangers (50 000 médecins étrangers en France) mais on se méfie d’eux.
  • Il y a une circulation intense sur fond de guerre des cerveaux.
  • Les Français ne savent pas que les étudiants étrangers rapportent plus qu’ils ne coûtent.
  • Les lycéens et les étudiants se sont mobilisés aux côtés des « Gilets jaunes » – les étudiants sur ce problème spécifique des droits universitaires des étrangers.
  • En raison d’une convention algéro-française, à la quelle personne ne veut toucher, les étudiants algériens (à la différence des étudiants marocains et tunisiens) n’ont pas une carte pluri-annuelle, qui leur donnerait un an de plus, à la fin de leurs études, pour chercher du travail.

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Cette table ronde a apporté beaucoup d’éléments factuels permettant de prendre conscience de l’ampleur du problème de l’accueil des étudiants maghrébins en France. Politiquement, il était indispensable qu’elle se tienne. (Agnès Spiquel)