“Exils, migrations, diasporas”, café littéraire, 2 février 2018, animé par Yves Chemla, avec Karim KATTAN, Bahiyyih NAKHJAVANI, Rosie PINHAS-DELPUECH, Habib-Abdulrab SARORI, Catherine WIHTOL DE WENDEN

Un révélateur des migrations et des exils est l’usage d’une langue (écrite ou orale) autre que celle de l’enfance. Si les drames de migrants se concentrent en Méditerranée, les migrations internationales actuelles sont deux fois moins intenses que vers 1900 et être migrant est « normal » si l’on est qualifié et/ou riche, stigmatisé si l’on est pauvre.

Ce café littéraire accueille cinq auteurs. N’oublions jamais que dans le monde il y avait en 1900 quelque 5% de gens « immigrés » (c’est-à-dire vivant dans un pays où ils n’étaient pas nés). Ils ne sont plus actuellement que 3,5% : au début du Xxe siècle la mobilité était freinée par les Etats qui empêchaient la sortie de leurs sujets (grands empires autoritaires en particulier). Actuellement ce sont les pays d’accueil qui freinent les entrées. Cette restriction actuelle à la migration des hommes est un paradoxe face aux flux de plus en plus intenses pour les informations, les capitaux, les marchandises.

Catherine Witol de Wenden, dans « Faut-il ouvrir les frontières ? » nous rappelle les 32000 morts en Méditerranée depuis 2000. Proposer plus d’ouverture est banal, alors que dans la migration le réfugié n’est pas un migrant banal, monde où le pauvre est forcément un migrant « clandestin », alors que le riche ou le «qualifié » des pays pauvre voyage normalement avec son passeport. Il faut maintenant être vieux pour se souvenir que avant 1989 le « bloc de l’Est » était le monde dont il était interdit de sortir.

Karim Kattan, ghazaoui, dans « Préliminaire pour un verger futur » nous donne trois nouvelles publiées par Elyzad, le grand éditeur tunisien. Il nous rappelle que le migrant n’est pas toujours un exilé, que ne pas écrire dans sa langue natale est un « pas de côté », qu’un « amour échoué » fait des personnages qui ne voient pasautour d’eux.

Rosine Pinhas Delpuech dans L’angoisse d’Abrahamnous dit que pour elle, migrer a été écrire dans une langue étrangère : sa langue est-elle le turc, le français familier, celui de l’école, ou l’hébreux appris vers 1966 ? ce fut en découvrant un Israël frustre où les kibboutz ne sont déjà plus qu’une queue de comète.

Habib Sarori, dans La fille de Suslovnous montre un Yémen passé du « marxisme léninisme » (où un « intégriste » s’appelle un Suslov) au salafisme. Le héros du livre se sent vivre à la fois dans le monde yéménite et le monde parisien.

Bahiyyih Nakhjavani, dans Eux & nous nous parle de la diaspora iranienne, qui commence bien avant la révolution de 1979. Le départ révèle sans cesse les non-dits familiaux, dans des mondes où la corruption et le vol sont quotidiens. Tous les personnages cherchent leur langue, du Marais à Paris, à Los Angeles, à l’Australie. Il y a des Iraniens partout dans le monde et ils se reconnaissent au coup d’œil dans n’importe quelle rue (comme tous les étrangers dans tous les métros d’ailleurs). Le symbole est de savoir si les tapis sont déployés dans le logis ou roulés dans un coin.

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