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Kamal Ben Hameda, La compagnie des Tripolitaines, Elyzad, Tunis, 2011, 109 p.

L’auteur, né en 1954, a quitté jeune son pays pour la France. Il vit aux Pays Bas. Ce premier roman court, écrit par un poète, est plein de trouvailles dans la langue française, roman de l’enfance qui rappelle le film tunisois Halfaouine, l’enfant des terrasses (1990). Il décrit le monde « traditionnel » où le jeune garçon reste encore élevé par les femmes alors qu’il découvre son corps et sa sexualité. C’est la société de Tripoli des années 1960, dans le royaume Senoussi, encore multiculturelle avec ses arabes, bien sûr, mais aussi ses berbères du Djebel Nefoussa, ses juifs, ou ses esclaves noirs « importés » vers le nord « de Taourgha, achetés à Kano », peut-être depuis le pays des nomades touaregs ou toubous. Les souvenirs de la colonisation italienne puis de la présence militaire anglo-américaine sont encore présents. Sur ce dernier morceau africain de l’Empire turc, de 1912 à la fin des années 1930, l’Italie a mené une colonisation aussi brutale, sinon plus, que celles des Français plus à l’ouest ou celle des Anglais plus à l’est.

L’enfant cherche à savoir qui il est, se détachant de ce que le cheikh (maître de l’école coranique) lui enseigne ; il « peine à réciter cette langue sans en entendre le sens ». C’est la servante noire qui lui répond « … même si l’on peut trouver le nom de ses propres ancêtres et savoir s’ils sont descendants des Arabes ou des Berbères ou de ces peuples qui ont cru conquérir Tripoli, personne ne sait d’où il vient ». L’enfant raconte les libertés cachées des femmes dans une société où elles sont coupées des hommes qui dominent.

Le livre s’ouvre sur une histoire du monde depuis la préhistoire, qui rappelle celle du volume 1 de Izuran (Racines,), ce roman de Fatéma Bakhaï (Editions Dar el gharb = La maison de l’ouest, Oran, 288 p., 2008). Sommet de l’ouvrage, le récit raconté par l’enfant de sa circoncision, qui condense les problèmes de la séparation entre femmes et hommes au sein de cette société tripolitaine qui n’est pas encore la Lybie de Khadafi, démantelée pour que se forge une société ouverte encore à naître.

Ce livre appartient à la série de cinq ouvrages sélectionnés par l’Association Coup de soleil pour 2013. Ils ont été commentés et discutés en public à Toulouse le 5 octobre 2012. Ces ouvrages sont proposés comme « coup de coeur » de Coup de soleil pour 2013, vous pouvez les lire et les emprunter dans les bibliothèques et médiathèques toulousaines de Croix Daurade, St Cyprien, Les Izards, Serveyrolles, etc. et à la médiathèque Jose Cabanis, ainsi qu’à la médiathèque de Roques-sur-Garonne

Commentaire des montpelliérains: À Tripoli, dans les années soixante, on fête la circoncision du narrateur. Pourtant le jeune garçon ne peut se résoudre à quitter le royaume régi par sa mère et ses amies, Fella la « mangeuse d’hommes », Nafissa qui fume et qui boit, Jamila la sensuelle… toutes tripolitaines d’origine arabe, berbère, africaine, italienne, juive. De ses errances d’une femme à l’autre, dans une société où l’on ne mâche pas ses mots et où le regard porté sur les hommes est sans concession, le petit mâle en devenir forge sa sensibilité.

C’est un monde débridé, puritain, une Libye hors temps qui s’exprime dans cette ronde de portraits de femmes. Au-delà des contraintes de la bienséance comme dans l’intimité d’un gynécée, explosent leurs bravades et leurs malices, leurs vengeances et parfois leurs révoltes.

Ce roman fait partie de la sélection « Coup de Coeur » 2013