« LE PREMIER CONVOI ,1848 » de Michèle Perret, (éditions Chèvre-feuille étoilée, 2019)

Ce livre peut être considéré comme un roman historique, dès le titre on peut voir qu’il est daté et l’auteure explique elle-même comment elle s’est donné une information précise, à laquelle renvoie une « bibliographie sommaire », sur les trois aspects de son récit, réservant pourtant la place de l’imagination romanesque dans l’invention de ses principaux personnages.
Quels sont donc ces trois aspects clairement distincts ? Ils découlent du moment et du lieu choisis comme points de départ (au sens propre du mot départ). L’action se passe d’abord à Paris, dans un milieu populaire, aux premiers mois de ce qui est connu historiquement comme « la Révolution de 1848 ». Cette révolution, qui a finalement abouti au Second Empire, a consisté en une série d’émeutes de la part de ceux qui voyaient dans l’éviction du Roi Louis-Philippe l’occasion d’en finir définitivement avec la Royauté, au profit d’une République sociale espérée depuis la première Révolution française, celle de 1789. La première partie du livre de Michèle Perret se passe donc à Paris, et l’on y voit notamment comment ceux qu’on appelait les émeutiers sont fortement menacés par la répression des forces de l’ordre.
Dans la deuxième partie du livre, on assiste à la mise en œuvre d’un autre projet, dont l’idée est née parmi les plus hautes instances de l’Etat, ici représentées par le célèbre homme de lettres et néanmoins politicien Lamartine. La solution trouvée aux risques d’émeute consiste à envoyer un certain nombre de ces gens qui sont sans emploi et sans argent, donc potentiellement dangereux, en Algérie, pays encore très mal connu mais qui progressivement depuis le début de la conquête militaire, est en train de devenir ce qu’on appelle une colonie de peuplement. Le récit de Michèle Perret montre assez minutieusement, étape par étape, comment ses personnages (ceux qu’elle a inventés pour les besoins du livre) vont d’abord de Paris à Marseille, principalement par voie fluviale mais aussi par train, et finalement sont emmenés par bateau jusqu’à la région d’Oran en Algérie où l’armée les attend pour les y installer en tant que colons.
Enfin et c’est sans doute la partie majeure du livre (dont la composition cependant est bien équilibrée), on assiste aux tout premiers débuts de la colonisation au sens le plus concret du mot, c’est-à-dire exploitation de la terre par une agriculture même sommaire pour en tirer les seuls moyens possibles d’une difficile voire improbable survie. L’auteur décrit les efforts des colons, qui globalement ne sont pas vains mais qui ne s’en heurtent pas moins à des obstacles redoutables et variés. D’autant que les personnages qui se lancent dans l’entreprise appartiennent au peuple de Paris, comme on l’a vu dans la première partie du récit, et qu’ils ne sont nullement préparés à travailler la terre, dont ils ignorent tout.
Chaque partie du livre apporte des sujets de réflexion , à partir de l’épisode historique initial dont l’auteure s’est emparée à juste titre car on ne le connaît pas avec précision, même si on en a entendu parler. Elle nous rappelle qu’en octobre 1848 (huit mois après le soulèvement du 22 février contre Louis-Philippe) dix-sept convois d’hommes, de femmes et d’enfants sont partis pour l’Algérie, séduits par une propagande aguichante et forcément trompeuse sur les plaisirs qui les attendaient de l’autre côté de la Méditerranée. La perte en vies humaines va être considérable, la dureté des conditions de vie mais aussi le choléra en étant les causes principales dans la période assez brève qui nous est montrée. Cependant le courage et l’acharnement de certains de ces gens qui sont devenus pour ainsi dire colons malgré eux font que l’entreprise ne sera pas vaine et finira par se développer. Le récit de Michèle Perret n’est pas hagiographique, les personnages qu’elle nous montre sont loin d’être des saints, il y a même parmi eux de franches canailles, qui l’étaient déjà quand ils appartenaient au peuple parisien (ce qu’on appelle « la lie du peuple ») et qui se sont joints au convoi par pur aventurisme, dans le vague espoir de faire fortune. On voit aussi que certains ou certaines s’avèrent incapables de mener une vie aussi dure et s’inventent des solutions qui ne sont pas toutes honorables. Cependant il y a quelques figures magnifiques que l’auteure distingue par une évocation soignée, notamment celle d’une femme belle et bonne, généreuse et instruite, qui a su mener une vie de femme à la fois honnête et libre et qui au bout du conte, alors qu’elle aurait pu en partir, choisit de rester là où cette aventure imprévue l’a amenée. De manière générale, au sein d’une même catégorie sociale, les personnages de Michèle Perret sont bien différenciés et elle les aborde sans préjugés, sans doute grâce à une distance historique qu’elle maintient entre eux et nous. Il n’y a aucun pathos dans son écriture , alors que nombre des événements qu’elle évoque auraient pu lui permettre une dramatisation. On trouve dans son livre l’idée qu’on ne peut exiger des très pauvres, ceux qu’à l’époque d’Eugène Sue et du Victor Hugo des Misérables on appelait les gueux), un respect des valeurs morales et humanistes. A côté de cette femme magnifique qui choisit délibérément de rester à la colonie et de la faire vivre, notamment en élevant des enfants qui ne sont pas tous les siens, on en trouve une autre, encore très jeune, dont l’origine est si misérable qu’elle ne peut résister au besoin obsessionnel d’effacer le passé en s’élevant socialement.
Une des réflexions qu’on peut aussi tirer du Premier convoi concerne un aspect particulier de l’entreprise de colonisation. Il s’agit d’un point qui aurait dû être essentiel mais qui dans la mesure du possible a été volontairement occulté, à savoir la relation entre les colons et la population arabe indigène. Il apparaît dans le livre comme la préfiguration des difficultés (le mot est faible) propres à entacher cette relation dans l’avenir. On voit en effet comment une amitié réelle qui avait commencé à se développer entre un Arabe et deux Françaises cause finalement la mort du premier, un jeune homme arabe de très bonne volonté : il est condamné à tort pour un crime qu’il n’a pas commis et joue donc le rôle de bouc émissaire, alors même que les autorités françaises savent parfaitement ce qu’il en est mais estiment ne pouvoir faire autrement. Michèle Perret en fait le constat, sans indulgence, avec son habituelle impartialité.
Denise Brahimi (repris de la Lettre culturelle franco-maghrébine N°38, novembre 2019)