« L’ODEUR DU PAIN » de Nicole de Pontcharra (éditions Non Lieu 2018)

Dans ce livre aux personnages attachants, Nicole de Pontcharra illustre de multiples manières la notion d’entre deux. La savoureuse référence olfactive du titre est dès l’ouverture un voyage entre ici (Paris) et là-bas (Marrakech), entre hier et aujourd’hui, entre la vie et la mort. Laissée désemparée par la mort prématurée de sa mère Radia, psychothérapeute, qui avait consacrée sa vie à l’insertion réussie de femmes du Maghreb en France, Meriem se trouve face à un choix de vie. L’héritage de sa mère, pas seulement l’appartement de Belleville, mais surtout un sens et un contenu exigeants à donner à sa vie la conduisent à s’installer dans la maison de sa grand-mère, dans la médina de Marrakech, et d’y exercer le métier de sa mère, psychothérapeute. Elle devient la Toubiba pour une partie de ses patients, bien tolérée grâce au respect dont sa grand’mère est l’objet.
La priorité nous donne à penser l’auteure, n’est plus à accompagner l’insertion des femmes immigrées dans la société française et leur émancipation: le retour d’un certain traditionalisme d’inspiration religieuse déconcerte Meriem, certainement en cela la porte-parole de sa créatrice. Son rôle sera d’accompagner la transition marocaine entre tradition et modernité, réussite sociale des classes moyennes de Marrakech, qui ne va pas sans malaises divers, et ancrage dans la pauvreté d’une grande partie de la population. Cela se traduit par une ségrégation spatiale (la médina et le Gueliz), par le rejet progressif des quelques européens pensant pouvoir vivre en milieu populaire.
Au Maroc comme en France, Meriem est témoin de la pression de jeunes radicaux musulmans agissant pour un repli identitaire et communautaire.
Ce livre dont l’action se déroule entre la fin des années 90 et les années 2000 est l’occasion pour Nicole de Pontcharra de poser un regard lucide sur l’évolution complexe de cette société musulmane en France et à Marrakech. Ce constat passe par les relations et les dialogues entre des personnages multiples à qui l’auteure donne une vie et une identité réelle qui accroche le lecteur.
Radia la disparue, qui fait pour Meriem le pont entre ces divers entre deux qui la composent, peut-être inspirée de cette sociologue grenobloise à qui est dédié ce livre? Zakaria, ce géniteur éthiopien qu’elle va découvrir pour qu’il devienne progressivement son père. Au passage l’auteur de ces lignes a goûté comme de petites friandises familières l’évocation du chanteur éthiopien Mahmud Ahmed et son Ere Mela Mela, comme cette scène de l’inoubliable Stalker de Tarkovski… Farid, l’ami-amant si soutenant et respectueux, dont les lettres contribue à l’évolution du récit, tout au long du livre. François le Petit frère des Pauvres qui tente un temps de vivre sa vocation dans le Marrakech populaire. Yema la grand’mère aimante. Harry le l’anglais fou de Maroc qui vit dans une ancienne maison juive du mellah et qui renonce à son amour pour elle. Le jeune Abderrahmane qui défie les convenances en prenant ses distances avec sa famille bourgeoise pour choisir la vie avec Mona et le métier de garagiste. Le jeune Salah que Meriem aide à réussir son entrée dans la vie…
L’auteure donne vie à ce petit monde et à la ville de Marrakech dans toutes ses composantes. Nicole de Pontcharra excelle à nous faire voir, sentir, entendre cette ville qu’elle a bien connue et qu’elle aime, et dont elle nous fait découvrir les fastes anciens ou récents.
Et la Meriem qu’elle nous donne à connaître est une belle personne qu’on aimerait avoir pour amie. A qui l’on souhaite tout le bonheur du monde….
Michel Wilson

(texte provenant du N° 25, Septembre 2018, Lettre franco-maghrébine de Coup de soleil section Rhône-Alpes)