“Musulmans, juifs: manière d’être en contexte laïc”, café littéraire animé par Yves Chemla, avec Rachid Benzine, Mohamed Chirani, Adil Jazouli, Benjamin Stora, Michel Wievorka, le 2 février 2018

Quinze siècles de civilisation méditerranéenne unissent juifs et musulmans. Une coupure s’établit dans le contexte colonial français du Maghreb. La laïcité « à la française » préserve parfois mal la cohabitation, rongée actuellement par les racismes attisés par le conflit israélo-palestinien.

En France (60 millions de gens), par rapport à l’Europe, la part des musulmans (quelque 6 millions) et de juifs (quelque 0,6 million) est plus forte qu’ailleurs : parce que le passé colonial de la France lui lègue des Maghrébins musulmans et juifs.

Benjamin Stora montre comment juifs et musulmans de Méditerranée ont quinze siècles d’histoire commune, où cuisines et musiques foisonnent et s’entrecroisent, la séparation advenant non pas par la religion mais par la politique quand les modernisations du XIXe siècle, essentiellement coloniales, sont vécues de façon radicalement différente. Les juifs cessent d’être des dhimi pour se vouloir citoyens, mais de quelle nation ?  Les musulmans construisent leur citoyenneté au sein de nationalismes visant des Etats à constituer, au sein desquels les citoyens sont plus ou moins religieux.

Mohamed Chirani, élevé en France, arrive avec ses parents en Algérie à 6 ans en 1986. En 1994 il lit par hasard en arabe le Protocole de sages de Sion et en parle à son père (illettré…), qui le gifle et lui dit que lire n’importe quoi est nuisible. Il se souviendra du conseil. Comment témoigner que chacun a sa propre loi pour s’approcher de Dieu, dans un pays où la laïcité ouvre un espace à toutes les spiritualités ? Il faut que chacun se souvienne que toutes les civilisations ont leur exil fondateur : fuite hors d’Egypte avec Moïse pour les juifs, hégire pour les musulmans.

Michel Wiévorkaa été étudiant d’Alain Touraine avec Farhad Khosrokhavar : ils ne se sont plus jamais perdus de vue. A partir de leur livre commun, il retrace la trajectoire des juifs de France. Jusqu’aux années 1950 ils étaient devenus des « israélites » républicains, pour qui la religion était affaire strictement privée. Puis ils se redécouvrent juifs, certes républicains, mais fiers de leur parenté avec un Etat nouveau et progressiste, Israël. C’est vers 1980 que le négationnisme pour qui la shoah est un « détail », comme la nouvelle figure d’un Israël agresseur du Liban, les rendent victime d’un nouvel antisémitisme surtout maghrébin. Un nouveaudialogue est à créer : dans la laïcité d’un temps nouveau où les religions existent en France, pas comme dans l’autrefois où  les « israélites » se devaient d’être invisibles…

Rachid Benzinedit qu’en tant d’ex-marxistes il manque la connaissance historique de ce que sont les croyances religieuses. Or nos religieux modernes, dans leurs rêves de pureté et d’authenticité, ignorent le jeet se complaisent dans un nous, celui de notremal pire que celui des autres. Ce sont des analphabètes du religieux, chacun s’occupant de « ma haine, contre moi seul ». Il faut se rappeler que « les religions sont des langues » (Paul Ricoeur) qu’il fau apprendre. Il faut oublier cette « république une et indivisible » qui est une sorte de monothéisme, pour se rappeler qu’il existe trois Abraham, dans chacune des religions du livre.

Adil Jazouli, anthropologue, nous présente son premier roman. Il s’inspire de l’après novembre 2015 à Paris. Il est fait de trois contes juxtaposés qui racontent les amours d’un Gabriel, anthropologue lui-même, libano-égypto-anglais pour qui la laïcité à la française n’a pas de sens et qui s’éprend de trois dames françaises « laïques » de trois origines différentes et qui symboliquement s’appellent Marie, Miriam et Meriem : un roman érotique…

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