« 25ème Maghreb des Livres : un quart de siècle ! Et maintenant ? »

Fouad Laroui, Tahar Bekri, Yamen Manaï, Georges Morin, Kamel Daoud . Animation Rachid Ahrab. (Maîssa Bey, prévue pour cette table ronde n’a malheureusement pu être présente pour des raisons familiales)

Tahar Bekri, vous êtes d’origine tunisienne, êtes né en 1951, vous êtes écrivain, traducteur (arabe, français, russe, italien…) vous êtes une voix importante du Maghreb

Fouad Laroui, vous êtes né au Maroc en 1958, vous êtes néerlando marocain, vous enseignez à Amsterdam, avez étudié en Angleterre, et avez écrit un certain nombre de romans

Yamen Manaï, vous êtes le plus jeune (38ans!), tunisien d’origine et avez écrit 3 romans dont le dernier a obtenu le Prix des 5 continents ainsi que le prix Lorientales.

Georges Morin, vous êtes le président et initiateur de Coup de Soleil depuis 1985. Vous avez travaillé auprès de Louis Mermaz, écrit un certain nombre d’ouvrages.

Fouad, quel fut votre premier Maghreb des Livres ? C’était en 1997, ce fut la découverte de mondes que je ne connaissais pas, l’Algérie, la Tunisie… Au Maghreb, nous ne nous fréquentons pas. Il y a une frontière qui persiste entre le Maroc et l’Algérie. Paris est la capitale du monde arabe et j’ai découvert le Maghreb dans les salons du Maghreb des livres;

Et vous Tahar ? Egalement en 1997, avec une oeuvre pour les deux rives. Dans cette manifestation littéraire, il y a la possibilité d’une réconciliation historique, amener le livre ici est très important.

Yamen : Et vous ? C’était en 2008 et c’était mon premier salon littéraire. Je venais de sortir mon premier roman et j’ai appelé Georges Morin huit jours avant que le MDL commence. Et Georges m’a ajouté à la liste !

Georges, comment sont nés Coup de Soleil et le Maghreb des livres ? Il faut évoquer déjà la naissance de Coup de Soleil. En 1983, l’élection du FN à Dreux suite à son alliance avec le RPR !

1985 la Marche des Beurs, la crispation de la société française. Un soir que nous dînions entre amis qui composaient une sorte de tchoutchouka maghrébine », nous avons discuté de la situation, du système colonial basé sur l’indignité, l’apartheid et déclaré que nous ne voulions pas le retrouver ici.Nous avons donc décidé d’un commun accord que nous allions démontrer que le racisme n’était pas une fatalité !

La connaissance, la culture, l’éducation suppriment la peur.Un film, un livre, sont souvent plus efficaces qu’un cours magistral ! On voulait montrer que notre exemple d’entente pouvait se répandre.

Au Musée des Arts africains en 1993, nous avons organisé ce qui est l’ancêtre du Maghreb des livres avec Rachid Mimouni et une vingtaine d’auteurs. C’est Mimouni qui m’a présenté Mohamed Choukri.

En 1995 nous avions déjà une grosse notoriété.Les mairies du XIème, du XIIIème et du XXème nous ont tour à tour ouvert leurs portes. Puis, juste après son élection à la Mairie de Paris, Bertrand Delanoë (c’était en 2001) nous a proposé que nous « déménagions » à l’Hôtel de Ville. Il y a eu 6 700 visiteurs, alors que jusque là nous en avions environ 2 000.

Nous avons reçu Catherine Tasca (Ministre de la Culture), Germaine Tillion, Leïla Shahid. C’était quelque temps après le 11 Septembre et l’on craignait que notre salon soit déserté. Ce fut le contraire. Puis, pendant quatre ans, du fait de travaux à l’Hôtel de Ville, nous avons organisé le MDL à la Mairie du XIIIème.

 

Jean-Paul Chagnollaud, admiratif du MDL a alors pensé organiser le même type de manifestation pour l’Orient. Anne Hidalgo a proposé que nous fusionnions en une seule et c’est ainsi qu’en 2018 est né le MODEL.

C’est une manifestation fédérative, on est comme dans un appartement où chacun aurait sa chambre mais où l’on partagerait les parties communes. Nous organisons beaucoup de moments communs mais aussi d’autres chacun de son côté.

Fouad Laroui, Comme je l’ai confié, j’ai découvert le Maghreb à Paris, aujourd’hui encore la frontière entre mon pays d’origine et le pays voisin, l’Algérie est encore fermée. J’ai connu ici des hauts et des bas et je me souviens d’une fois où j’ai eu un immense succès jusqu’à ce que je me rende compte que le public me confondait avec mon oncle Abdallah (scientifique et islamologue célèbre).

Tahar Bekri: J’ai accompagné de nombreux auteurs, j’ai d’ailleurs une pensée émue pour tous ceux qui nous ont quitté. Et je pense particulièrement à ma présence en 1976, à ma sortie de prison (T. Bekri a été détenu pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » et s’est ensuite exilé en France).

il n’y a pas de civilisation sans culture.Ici, on  rencontre les auteurs et leurs textes. Il y a une véritable dynamique littéraire. Les auteurs ont précédé l’Histoire et on n’a pas fait assez attention à eux.

Yamen Manaï : J’ai choisi des études scientifiques parce que j’admirais les héros scientifiques du passé, Newton, Galilée, etc L’histoire de ces gens qui ont changé le monde grâce à leurs travaux et découvertes.

J’ai ainsi aimé les sciences jusqu’à mes études. Puis, en entrant dans le monde du travail je me suis trouvé face à une imposture, à l’ennui du quotidien, des chiffres.J’ai aimé la littérature exprimée en langue française par des libanais, des syriens etc.

J’ai assisté à des réunions de divers écrivains autour de la langue française.

Le monde arabe est en dislocation, la langue arabe perd de sa force. Il n’y a pas si longtemps, Yasmina Khadra était le plus vendu des auteurs de langue française !

Georges Morin : L’enseignement de l’arabe est terriblement décevant, en partie du fait de blocages politiques.Les maghrébins se rencontrent à Paris, ici, on se sent vraiment appartenir au Maghreb.

Coup de Soleil compte 5 sections territoriales vivantes. Il y a une véritable volonté de rester en lien avec le Maghreb de là-bas. Je rêve d’une grande librairie maghrébine à Paris. Avec tous les éditeurs d’ici et d’en face.

Tahar Bekri : Le bilinguisme a toujours été une porte ouverte pour moi. Il faut lutter contre la confusion de la langue avec la religion pratiquée. J’enseigne l’arabe à l’Université de Nanterre. L’écrivain doit être libre de s’exprimer dans sa langue, on n’émancipe pas un individu par la contrainte.La langue doit être un choix.

Fouad Laroui : Je ne peux écrire en berbère, alors j’écris en néerlandais. J’ai une grand-mère berbère. Pour le néerlandais, j’écris des poèmes, et le premier m’est venu alors que je regardais une jeune fille à vélo sur le canal à Amsterdam. J’ai tenté d’exprimer ce que j’éprouvais dans cette langue et c’est comme cela que j’ai commencé à écrire en néerlandais.J’ai également écrit un livre « Le drame linguistique marocain ».

 

Entrée de Kamel Daoud: Un de mes premiers voyages en France serait pour le Maghreb des livres, j’avais tout fait pour quitter le Maghreb et je suis retombé dedans.

Participer au Maghreb des livres en tant qu’auteur est agréable mais y venir en tant qu’anonyme permet un autre contact avec les livres des autres.

Yamen Manaï : Si l’on se réfère à la poésie arabe, elle perd de sa beauté à la traduction. On constate une grisaille des livres hexagonales.

Kamel Daoud : En arabe on dissèque le monde, ici on dissèque son nombril.La meilleure part du Maghreb est ici en France.  J’aime être lu dans le monde entier mais ne pas voir ses livres dans le Maghreb est frustrant. Nous les auteurs nous pouvons créer le lien ce que les citoyens ne peuvent faire. C »est à nous de fabriquer le lectorat. Certains fabriquent des croyants !

Tahar Bekri : Je traduis des auteurs palestiniens, quatari, certains sont en prison.L’Humanité est mienne, j’appartiens au monde dans son ensemble pas uniquement au monde arabe. Je suis sensible aux attentats, partout sur la planète, à l’esclavage en Libye.

Fouad Laroui : Il faut que l’on pense l’avenir. Georges, j’ai une proposition à faire pour Coup de Soleil… Créer une notion de citoyen du Maghreb, un passeport maghrébin que l’on vendrait à 2,50 euros. Ce serait un beau symbole d’union.Il faut garder ce qui va, diffuser des livres du Maghreb au Maghreb et en France.

Faire connaître plus encore le Maghreb des Livres, créer, une sorte de wikipedia spécifique (idée de Jack Lang) Le gaulois est un mythe contre lequel nous devons combattre.Remplacer la vaisselle de l’Elysée est moins urgent que verser la même somme pour le MDL !

Yamen Manaï : Il faut trouver des solutions aux difficultés financières. Les bénévoles du Maghreb des Livres a la chance de compter des bénévoles passionnés. Mais il fut plus de subventions afin de proposer de vrais programmes culturels.Plus de culture exige plus d’argent versé à la culture.

Tahar Bekri: Le club des intellectuels du Maghreb a échoué. La terreur est contraire à la pensée.  Elle confisque la liberté.Le Maghreb des livres est un lieu de résistance. L’état civil est constructeur. Nous aidons les nôtres à avancer dans le monde.

Fouad Laroui: Puisque Yamen évoquait la vaisselle de l’Elysée tout à l’heure, on devrait vendre des assiettes sur lesquelles figureraient des citations de nos auteurs.

Les 25 ans, c’est grâce à Georges Morin, bravo à lui.Il faut attirer plus de jeunes. Hier à l’ouverture nous avons eu le double de visiteurs par rapport à l’an dernier.Nous devons également beaucoup à Monsieur Areski, le créateur d’Aigle Azur.

(Monique Chaïbi)