Deux livres dont il faut dire un peu plus, puisque le Souf est un sujet qui intéresse mes lecteurs.
Marc Côte a été professeur à Constantine, sans doute en lycée de 1959 à 1961, puis à l’université, de 1964 à 1994, où il enseignait la géographie et l’urbanisme, en poste permanent jusqu’en 1984. Il a conduit des stages d’étudiants au Souf dans les années 1970, puis y est revenu avec des collègues d’Aix-en Provence dans les années 2000. Le livre qui nous intéresse, je l’ai découvert en 2007 en fréquentant pour la première fois le Maghreb des livres à la Mairie du 13e arrondissement de Paris en février 2007. Si le Souf m’était conté, comment se fait et se défait un paysage, Constantine 2006, Saïd Hannachi, éditions Media-Plus, 135 p. est celui d’un géographe qui analyse la fabrication des paysages ruraux et urbains de cette wilaya d’El Oued, où le passé des palmeraies traditionnelles des ghouts se dégrade (le travail de creusement du sable sans moyens mécaniques n’existe plus). Côte compare l’ensemble des ghouts aménagés à la main (186 millions de m3 de sable excavé) au canal de Suez (83 millions de m3 de déblais). Il montre le contraste entre les vieilles palmeraies, ruinées ou menacées par la remontée des nappes d’eau, et l’agriculture moderne de la pomme de terre, en plein développement, par irrigation classique d’aspersion sur des sols sans dunes, avec moto-pompes et cercle arrosé par mini-pivot de fabrication artisanale locale.
Côte s’attache aussi à la modernisation massive des paysages urbains, qui engloutit de plus en plus sous le béton la construction traditionnelle. Les maisons nouvelles sont construites par étapes : d’abord le garage- entrepôt, à vocation commerciale, puis des étages d’habitation familiale. Pour une urbanisation accentuée par la prospérité, pendant au moins trois décennies (1970- 2000), d’un rôle de plate-forme la plus importante d’Algérie pour le commerce international « informel » (contrebande d’électroménager, d’informatique) : les gens du Souf, ont tiré profit pour ce système international des réseaux de commerce tissés dès le XIXe siècle, comparables à ceux des Mzabites en Algérie, des Djerbiens en Tunisie ou des Soussi du sud du Maroc. Le Souf, ancien pays exceptionnellement pauvre et assez égalitaire, est-il devenu une des puissances du capitalisme moderne algérien ?
Une librairie à Paris a en vente le livre de Marc Côte, Si le Souf m’était conté: Averroès, 7 boulevard Saint Germain, 75005, à deux minutes de l’Institut du Monde arabe.
André Voisin a été instituteur à El Oued de 1959 à 1964, en même temps que son frère aîné Jacques (mort en 2010) enseignait à l’école de Tiksebt, dont il fut directeur (un village autrefois à quelques kilomètres au nord d’El Oued, aujourd’hui un quartier de cette ville). André Voisin est depuis 2003 secrétaire de l’association « Amicale des Soufis » crée en France en 1970, essentiellement par d’anciens enseignants. Cette association, en raison du vieillissement inévitable de ses membres, s’est dissoute en 2020. De sa passion pour le Souf Andrté Voisin a tiré son livre Le Souf, monographie [lu et révisé par Ali Abid], édité par El Walid, Kouinine, 2004, 319 p. « rédigé autrefois et révisé plusieurs fois […] travail de cinq années ».
Le manuscrit était à jour en 1980, l’éditeur, à la demande de l’auteur, l’a parfois complété (recensement de 1987, ou parfois jusqu’en 2000). En s’appuyant sur une bibliographie qui remonte au XIXe siècle, sur une connaissance de la langue arabe, sur un réseau d’amis du Souf dans le pays lui-même comme dans le monde des coopérants qui y ont travaillé comme lui dès les années 1950, Voisin reconstitue une vision du Souf traditionnel, bien sûr, mais aussi de sa modernisation depuis un demi-siècle. Les pratiques agricoles, les coutumes, les légendes, l’histoire des pratiques coloniales, sont précieusement préservées.
Claude Bataillon