Carte Blanche du samedi 11h30, au 19e Maghreb des livres, 2013
Une somme présentée par deux des co-directeurs, Abderrahmane Bouchène et Jean-Pierre Peyroulou, interrogés par Daniel Lindenberg,
Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault ont co-dirigé cette Histoire de l’Algérie de la période coloniale, 1830- 1962, qui est publiée en même temps en France par La découverte et en Algérie par Barzakh. Cet effort de coordination éditoriale vient couronner un travail peu commun : sur 717 p. avec 83 auteurs, un index de plus de mille personnages (depuis ceux des époques passées jusqu’aux acteurs actuels), le livre est composé en 4 périodes, chacune étant présentée en plus de vingt pages synthétiques, suivies par de courtes études qui mettent en place les deux « camps » ou les événements fondamentaux, puis par des flashs thématiques groupés par rubriques (lieux et espaces, acteurs, contextes). Côté français, ce n’est évidemment pas le premier effort de ce genre. Rappelons le livre collectif Pour une histoire franco-algérienne, en finir avec les pressions officielles et les lobbies de mémoire, sous la direction de Frédéric Abécassis et Gilbert Meynier, Paris, La découverte, 2008 [réédité INAS, Alger, 2011, en français et en arabe], 250 p., tiré du colloque organisé à Lyon en 2006 « Pour une histoire critique et citoyenne au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire : le cas de l’histoire franco-algérienne », qui a réuni plus de soixante communications toutes mises en ligne (http://colloque-algerie.ens-lsh.fr). Avec une douzaine de collègues, les deux directeurs ci-dessus avaient résumé, commenté et réfléchi sur ces matériaux pour aboutir dans le livre à des synthèses d’une richesse exceptionnelle, mais en six ans les matériaux se sont enrichis et la capacité de synthétiser s’est affirmée.
On sait que François Gèze, directeur de La découverte, est à l’initiative de cette encyclopédie. Les choix ont été de montrer plus que la guerre d’indépendance, déjà largement explorée, la société coloniale, profondément ignorée sur les deux rives de la Méditerranée, en un combat d’arrière garde du côté français, mais plus durablement du côté algérien. Parce que l’accès aux archives y est plus difficile (mais hors d’Alger, et sur des thèmes socio-économiques plus que politiques, les portes s’ouvrent, tandis que les mémoires des témoins survivants circulent de plus en plus, y compris dans la presse). Aussi parce que côté algérien c’est l’existence même de la nation qui est en jeu, alors qu’en France, l’Algérie est une partie du problème impérial global.
Le livre est particulièrement riche sur l’histoire sociale, mais il reste de vastes chantiers à travailler, évoqués dans la discussion : de vastes pans de psychologie collective, les décalages temporels liés aux étapes de la conquête (l’essentiel du Sahara n’est « pacifié » qu’entre 1900 et 1930), l’énigme de populations en arme contre une armée professionnelle, la capacité de résistance (religieuse ? politico-militaire ?) en 1870 d’une Kabylie qui vient de subir en 1867-69 une famine dont on évalue les pertes à ½ million de morts (pour toute l’Algérie). On voudrait ajouter que les effets des « réalisations » très rapides liées à la guerre d’indépendance restent mal connus : multiplication d’emplois publics en tous genres (dont les harkis, bien sûr), en particulier pour une scolarisation accélérée. Mal connus aussi les effets durables, bien au delà de la guerre, du « vidage » de vastes zones rurales interdites dont les populations ont été « regroupées », parfois en bénéficiant des amorces de réforme agraire, mais le plus souvent pour survivre d’une assistance dans les bidonvilles où elles sont relogées.
Espérons qu’une histoire du demi-siècle d’Algérie indépendante aussi largement tracée, là aussi des deux rives de la Méditerranée, vienne prendre la suite, d’autant plus que, nous dit le livre en conclusion « en 2012, un Français sur six a un lien direct avec l’Algérie ». Sans doute la proportion est-elle plus élevée en Algérie…