Aout 1955, Philippeville Skikda, début de la guerre d’Algérie ?
Claire Mauss- Copeaux, 2011, Algérie, 20 août 1955, insurrection, répression, massacres, Payot, 279 p., liste des 40 victimes civiles européennes, cartes et plans
Résumé
Est-ce le début de la guerre d’Algérie ? En mai 1945, les manifestations nationalistes, les meurtres, sont réprimés par le général Duval qui dit aux autorités « ce sera tranquille pour dix ans ». Au 1er novembre 1954 le FLN lance une dizaine d’actions très ponctuelles dont beaucoup échouent ou avortent. Le chef de la wilaya du Constantinois sait que sous la pression, ses faibles effectifs ne peuvent que fondre et se démobiliser. Il décide de montrer sa force le 20 aout 1955 en une dizaine d’opérations lancées à midi.
Les opérations sont doubles : un cortège, drapeau en tête, encadré par des militants en arme et en uniforme, avec autant de sympathisants qu’on pourra, atteindra des objectifs symboliques . Mais aussi, si possible s’emparer d’armes.
Dans les petites localités ce seront une poignée de militants sûrs, plus quelques dizaines de sympathisants ; dans les grandes villes (Constantine, Guelma, Philippeville), quelques centaines de militants, jusqu’à des milliers de manifestants.
L’auteure du livre nous met en haleine par une écriture brève et précise. Elle a confronté et contextualisé des témoignages. Dans cette grande peur, finalement, ressort un événement, dans la bourgade minière de El Alia : c’est là que 32 européens sont massacrés. Là comme ailleurs (où pour l’essentiel il y a eu manifestation plus qu’opération violente), la répression est terrible, sa description insoutenable. Elle ressemble à celle de mai 1945 (voir Peyroulou, Guelma) et fait des milliers de morts.
Est-ce le début de la guerre d’Algérie ? En mai 1945, les manifestations nationalistes, les meurtres, puis le massacre qu’est la répression menée par le général Duval : ce dernier dit aux autorités « ce sera tranquille pour dix ans », et celles-ci font semblant de croire que le régime colonial peut se maintenir en se réformant « un peu ». De réformes en contrôles policiers, le blocage aboutit à la création du FLN par la poignée de militants (les « Vingt-deux ») qui au 1er novembre 1954 lancent une dizaine d’actions très ponctuelles dont beaucoup échouent ou avortent. Le FLN sait que pour exister il doit croitre, les autorités se préparent à réprimer toute « subversion ».
Le chef de la wilaya du Constantinois sait que sous la pression des contrôles, interrogatoires, emprisonnements incessants, ses faibles effectifs ne peuvent que fondre et se démobiliser. Youcef Zighoud décide de montrer sa force le 20 aout 1955 en une dizaine d’opérations lancées à midi, propose à ses voisins de faire de même : en Kabylie, la proposition ne sera pas transmise, dans les Aurès les chefs du FLN, qui connaissent depuis l’automne la répression la plus dure de l’Algérie, refusent le risque maximum qui leur est proposé.
Les opérations sont doubles le plus souvent : réunir un cortège, drapeau en tête, encadré par des militants en arme et en uniforme, avec autant de sympathisants qu’on pourra, atteindre des objectifs symboliques (place centrale, ou rue principale, commissariat), si possible s’emparer d’armes, se disperser… comme on pourra. Dans les petites localités ce seront une poignée de militants sûrs, plus quelques dizaines de sympathisants ; dans les grandes villes (Constantine, Guelma, Philippeville), quelques centaines de militants, jusqu’à des milliers de manifestants qu’on fait descendre des douars proches ou des bidonvilles de banlieue. Les cibles sont choisies avec soin, chaque opération a un encadrement autonome. Dans les souvenirs des militants, la fierté, mais aussi la peur au ventre. Sauf exception ils ont au mieux un fusil de chasse, leur entrainement au combat est nul.
Pour l’armée et les autorités françaises, c’est le passage d’une menace prévue et attendue à une subversion réelle, à la fois symbolique (des cris, des drapeaux) et périlleuse pour les européens (des hommes jeunes surgissent, avec des armes, avec une organisation évidente et imprévisible, envahissent leur lieu de vie habituelle). Jusqu’à cet événement, peu d’algériens, peu de français en France ou au Maghreb, peu de journalistes dans le monde percevaient le FLN comme un organisme puissant et légitime, pas plus qu’ils ne savaient qu’une répression s’exerçait massivement au quotidien. Le 21 aout, c’est fait et la guerre est en place et dans celle-ci chaque camp doit affirmer qu’il vaincra, quitte à négocier.
L’auteure du livre nous met en haleine par de courts chapitres, d’une écriture brève et précise. Elle a trouvé des archives (dont beaucoup sont encore inaccessibles), pourchassé, confronté et contextualisé des témoignages. L’oubli ou la négation des atrocités commis par les miens fait parfois place à un retournement : on s’attribue, contre la vraisemblance, des méfaits qui prouvent qu’on « en était », bravade machiste sur ce qu’on devrait taire. Certaines Histoires à ne pas dire (Jean-Pierre Lledo) peuvent revendiquer ce que d’autres ont commis. L’auteure poursuit les discours de commémoration et leurs effets d’écho : entre une grande presse de l’époque, celle des époques plus récentes, et des auteurs de référence (Jacques Soustelle) cités à tort, repris par les sites web, introduits dans les manuels scolaires ou sur Wikipedia.
Dans cette grande peur, finalement, ressort un événement dans la bourgade minière de El Alia : c’est là que 32 européens sont massacrés, dans plusieurs maisons, par des « incontrôlés », au dire des témoins « militants ». Là comme ailleurs (où pour l’essentiel il y a eu manifestation plus qu’opération violente), la répression est terrible, sa description insoutenable. Elle ressemble à celle de mai 1945 (voir Peyroulou, Guelma) et fait des milliers de morts. Dans les villes et bourgades, les forces de l’ordre arrêtent le plus souvent les hommes d’après des listes de suspects, emprisonnent. Ceux qui ont de la chance sont libérés sur la pression d’un notable européen en amitié avec un notable musulman. Une majorité subit des sévices mais finalement est relâchée. Par centaines, des camions emmènent des prisonniers vers des lieux d’exécution et parfois les corps sont enfouis pour ne pas laisser de traces. Dans les mechtas isolées, mais aussi dans des quartiers suburbains ce sont tous les hommes qui sont raflés, les maisons saccagées puis parfois brulées ; la sélectivité de la répression étant moindre encore quand c’est de loin que l’artillerie, la marine ou l’aviation ouvre le feu. Un procès des criminels de El Alia sera contradictoire, sous pression de la défense, assurée entre autre par Gisèle Halimi.
Claude Bataillon