Soad Baba Aissa
Sabah :
Je viens de lire cet article de cette fille que je connais de nom juste
et que je trouve intéressant à publier sur le blog .
Soad Baba Aissa féministe, membre de Femmes Solidaires défend les valeurs de la République qui reposent sur une éducation émancipatrice visant à faire des citoyennes libres et égales/égaux.
Forte de son expérience en Algérie, elle s’est engagée de longue date dans la promotion de la laïcité, un des piliers de l’émancipation des femmes.
Comment s’est construit votre engagement pour la laïcité ?
C’est une longue histoire, mon engagement pour la laïcité commence avec la loi de 2004.Née en France je suis allée à l’école de la République et à l’âge de 23 ans, je suis partie vivre en Algérie.
C’est le choc de ma vie car je quitte un pays où existe la liberté de conscience et j’arrive dans un pays où je découvre que l’Islam est religion d’État, avec tout ce que cela implique, même si l’Algérie n’est pas un Etat théocratique. En juin 1990, Le FIS, parti islamiste, a d’abord gagné des municipalités (les premiers actes de violences et de diktat apparaissent). Puis, ce parti arrive en tête du 1er tour des élections législatives en 1991. Le processus électoral est arrêté.
Fin 1989, je reviens en France, car j’ai déjà une prise de conscience que la situation va se dégrader car bien avant leur victoire aux élections municipales, leur diktat existe déjà dans notre quotidien : prières, tenues vestimentaires, et plus particulièrement contraintes dans l’enseignement. A l’époque, j’enseigne le Français dans un collège et la violence psychologique est très présente et pesante. Ensuite il y a la décennie noire de 90 avec le terrorisme islamique : les assassinats, les décapitations, les viols des jeunes filles. Les femmes sont en première ligne sur la question du port du voile et du diktat des islamistes pour leur faire porter le voile. Leur opposition se fait au prix de leur vie, on se souvient de Katia Bengana, Amel Zenoune, puis de l’assassinat de Nabila Djahnine, féministe et syndicaliste.
Nous assistons impuissant.es aux assassinats des intellectuel·les les uns derrière les autres. ll y a le terrorisme islamiste et en face une population qui résiste. C’est véritablement une guerre contre les civils.Les islamistes veulent s’imposer par la force et prendre le pouvoir. Puis Bouteflika arrive au pouvoir en 1999, il fait un pont d’or au FIS et au GIA avec la loi sur la concorde civile et la réconciliation nationale marquant ainsi des assassins du sceau de l’impunité.
En 2004, le code de la famille a 20 ans. La campagne « 20 ans Barakat » débute pour l’abrogation de cette loi infâme qui institutionnalise l’infériorisation des femmes dans la société algérienne. Les islamistes et leurs représentant.es au sein des institutions algériennes font tout pour s’opposer à l’abrogation de ce code et même à des amendements, avec comme argument l’atteinte à la foi et à identité islamique. Au même moment il y a ce débat, en France, sur le port des signes religieux à l’école et sur le problème qui enfle de plus en plus depuis 1989 du port du voile à l’école.Au départ, quand tu es une jeune fille héritière de l’immigration, tu peux facilement tomber dans le piège que l’on ressent aujourd’hui, des théories des Indigènes de la République, du communautarisme, de l’Islamophobie, etc
En quoi votre expérience algérienne vous a t’elle encouragé à défendre la laicité ?
Je pense que mon expérience algérienne m’a permis d’avoir un regard beaucoup plus vigilant par rapport au discours qui est tenu sur l’Islamophobie. Je connais le diktat islamiste, ses méthodes d’incursion dans le quotidien, dans la vie des personnes, dans les strates de la société. Si je n’avais pas vécu en Algérie, peut-être aurais-je pu avoir une analyse différente sur ce projet de loi et sur ce concept de l’Islamophobie. Cette expérience m’ a formée, et puis il y a mes rencontres avec Chala Chafik (, avec l’Association Femmes Solidaires (site), en particulier dans le cadre de la campagne « 20 ans Barakat » dans laquelle les associations féministes françaises ont été très présentes et solidaires du combat des Algériennes dans les années 90.
En voyant se profiler la voie par laquelle, les islamistes pénètrent insidieusement dans l’école, la loi de 2004 représente un barrage à leur diktat sur les jeunes filles. Nous sommes nombreuses à nous dire qu’il ne faut pas qu’en France, « ça lâche ». Dès lors, je comprends la nécessité de s’engager sur la thématique de la laïcité dont j’ai toujours cette définition de la laïcité dans ma tête, qui est celle de la loi de 1905, de la séparation du politique et du religieux.
Toutes les grandes lignes de la loi de 1905 que je vois de plus en plus clairement remises en cause, détournées de son objectif premier : la liberté de conscience, la liberté de culte, la paix civile. Cette atteinte au principe de laïcité va d’abord être dévoyée, par le contrôle du corps des femmes, avec la question du voile à l’école. En 1985, il y a déjà une affaire du voile, mais avec une directrice d’école qui a pris l’affaire en main et fait ce qu’il fallait. En 1989, c’est la première affaire médiatisée. Elle entraîne des différends dans les associations progressistes et laïques. Petit à petit elle va favoriser la montée des Indigènes de la République qui vont surfer sur la vague de la lutte anti-coloniale, antiraciste. Si une partie de leur analyse me semble juste, je ne peux pas être d’accord avec eux sur le fonds. Mon engagement part de là, je ne veux pas être enfermée culturellement et je me rends compte qu’il y a des confusions dans les têtes des un·es et des autres quand à la compréhension de la laïcité, de la lutte anti-coloniale et de la lutte contre le racisme. De plus si tu t’appelles Soad ou Mohamed tu ne peux pas être autre chose que musulman·e, on te met dans une case et tu n’es plus que ça, tu perds de ta citoyenneté, la religion devient identité. Et si tu t’appelles Paul ou Françoise, tu es obligatoirement du coté des blancs, tu es obligatoirement l’homme ou la femme privilégié·e et « supérieur·e ».
Toutes les valeurs universelles pour lesquelles nous nous battons sont de plus en plus attaquées. C’est la mort de l’universalisme, il y a maintenant le camp des progressistes et le camp de celles/ceux qui soutiennent les thèses communautaristes et qui vont enfoncer les partis et les associations sur ces questions là. On voit émerger le mouvement indigéniste avec tout ce que cela comporte, et comment la gauche comme la droite progressiste vont petit à petit s’enfoncer dans un clientélisme électoral, « pour la paix sociale » en y ajoutant leur touche de culpabilité du passé colonial de la France.
Des associations cultuelles, sous prétexte de culture, vont remplacer les associations progressistes et laïques dans les quartiers. C’est la mise à mort du progressisme et des idées de la modernité politique. Ces associations progressistes et laïques de plus en plus de difficultés à obtenir des subventions face à des associations cultuelles qui ont des subventions très importantes, sans que les bailleurs s’interrogent la provenance de leurs autres moyens financiers. On semble découvrir aujourd’hui que certaines associations cultuelles touchent des subventions européennes phénoménales dont nous aurions rêvées. Nous avons de plus en plus de mal à faire entendre nos voix.
En quoi la laïcité concerne-t-elle les autres pays européens ?
La question ne se limite pas à la France, elle atteint tous les pays européens qui rencontrent les mêmes problèmes, même sans notre organisation constitutionnelle de laïcité. Derrière tout cela se pose la question de « Comment la citoyenneté des populations migrantes ou héritières de l’immigration peut-elle s’exercer ? » Les organisations politico-religieuses surfent sur la victimisation, c’est leur fonds de commerce, sans apporter de réponse politique aux inégalités. Elles font de l’entrisme politique, pour pouvoir porter un projet politique, qui se projette dans une vision économique et politique néolibérale qui accentue les différences et va en faire découler de la différence de droits, mais certainement pas abolir les inégalités, ni remettre en cause l’ordre social et l’ordre patriarcal !
Comment l’aveuglement de nos politiques sert-il la progression du radicalisme religieux ?
C’est un danger que nos femmes et hommes politiques n’aient pas compris les enjeux, sous prétexte de paix sociale.
Ce fut pareil en Algérie, sous prétexte de paix sociale, on a eu la concorde civile, la réconciliation nationale. Les Islamistes ont été gratifiés et non jugés au nom de cette paix sociale ! Aujourd’hui ils se sont implantés dans le champ politique et les dirigeants les agitent comme un épouvantail quand la société civile exprime un mécontentement social ou politique. Depuis février 2019, l’État algérien n’a pas pu tenir ce discours, la population n’est pas tombée dans le piège.
En Europe c’est pareil. Ils ressortent sous des bannières terroristes en plus. Avec les extrêmes droites politiques, ils s’auto-alimentent car nous sommes face à une grave crise identitaire. Il y a une crise de la démocratie doublée d’une crise identitaire. La sociale démocratie n’arrive pas à apporter de réponses à cette crise identitaire. La réponse à cette crise identitaire c’est justement sortir de ce néolibéralisme qui joue sur les différences et les accentue. Ils ont, par exemple, fait de l’entrisme dans le syndicalisme en cassant le syndicalisme des travailleuses/travailleurs et en faisant des différences entre elles/eux. Les demandes deviennent cultuelles (frigos séparés, salles de prière..) et les revendications ne portent plus sur des conditions de travail communes, sur les salaires… comme vient de l’écrire Sud industrie. Les syndicalistes n’osent pas dénoncer cet entrisme, sinon ils se font conspuer ou harceler. De plus, il y a une tolérance sociale, sur les atteintes à la dignité des femmes, c’est grave. Des machinistes ont refusé de prendre le volant après des collègues femmes, si les collègues avaient été de couleur ou d’obédience juive, cela aurait soulevé un tollé, mais après une femme… il est demandé à la collègue femme de changer ses horaires.
La radicalité a changé de bord, de politique elle est devenue une radicalité de l’extrême droite religieuse et identitaire. Aujourd’hui, les organisations progressistes sont divisées car elles n’ont pas encore compris tous les enjeux politiques de la fissure. Les membres de chaque camp extrémiste jouent sur la supériorité de sa religion ou de sa nationalité (les deux sont des théories identitaires). Les nationalismes se réveillent et cette radicalité est devenue réactionnaire et tend vers le fascisme.
Propos recueillis par Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine