Au Maghreb des livres 2016, organisé par Coup de soleil avec l’Hôtel de ville de Paris
Histoire : « 1956 une année charnière dans l’Histoire du Maghreb »Table ronde
1956 c’est l’année de l’indépendance du Maroc et de la Tunisie, et le début des luttes pour l’indépendance en Algérie.
Aissa KADRI Un modérateur qui a beaucoup à dire… Les actes de trois colloques sur la guerre d’Algérie revisitée par de jeunes historiens, ont été publiés chez Karthala. Deux des historiens prévus ont été excusés pour cette table ronde. Trois enseignants chercheurs du Maghreb sont présents : Nawal femme de Casablanca, Chérif de Tunisie, Mohand Amar de la revue CRASC d’Oran
– 1945 : fin de la 2ème guerre mondiale – 1954 : début de la guerre d’Algérie (mai 1954-décembre 1962)
– 1956 : année du basculement. Vers un processus de décolonisation. Radicalisation de l’affrontement en Algérie. Apparition d’une fracture entre les différents nationalismes du Maghreb. Divergences sur une solution commune voire fédérale vers l’indépendance maghrébine. « Journée des tomates en Algérie » absorption de ceux qui étaient pour. Les compromis échec des tentatives de dialogue, fractures au moment de l’arrivée de Guy Mollet. Vote des pouvoirs spéciaux. 16 mars 56 début de la torture, engagement dans la répression, début des attentats contre les cafés, ratonnades, répressions sous diverses formes, expédition de Suez. Lignes de fractures jamais soudées depuis au sujet d’un Maghreb uni. Année dense au point de vue des événements.
Naoual MOUTAZAKKI Jeune prof d’histoire marocaine. Elle nous lit un texte où il est difficile de tout saisir et de démêler ce qui se passe au Maroc et en France pour un non initié…
Trois dates glorieuses – 16 novembre journée de victoire sur les nationalismes – 17 novembre peuple souverain – 18 novembre fête de l’indépendance victoire pour le trône
Deux visions sont en compétition : – une vision du peuple souverain : nationalistes démocrates (Ben Barka ?) – une vision monarchique autour de la légitimité royale : prince héritier, monarchie absolue au départ, constitution avec allégeance sans réserve au roi (1962-63)
Champ politique complexe. Atmosphère sociale trouble, climat d’instabilité, montée des contradictions, insécurité, assassinats. La question algérienne était centrale. Nationalistes partagés : négocier pays par pays avec la France ou négocier pour l’ensemble du Maghreb.
22 octobre 1956, détournement de l’avion de Mohamed V transportant des dirigeants du FLN qui devaient se rendre en Tunisie. Avion intercepté par la France à Alger.
Que disent les historiens : -Avortement de la conférence de Tunis. -En parallèle guerre tripartite suite à la nationalisation du canal de Suez. Ces deux événements ont presque balayé le détournement de l’avion avec les dirigeants du FLN. Nouvelle fracture.
1956 est une année charnière dans l’histoire politique marocaine. Le mouvement nationaliste affaibli par les rivalités. Le projet Maghreb est plombé par le détournement de l’avion. L’espace de libre circulation va devenir un espace cloisonné.
Fayçal CHERIF nous fait passer un message plus audible Le mouvement Youcefiste prônait l’indépendance de tout le Maghreb. Bandes rebelles armées dans le sud tunisien. Naissance de l’armée tunisienne en 1956
Bizerte, Toulon, Mers-el-kébir constituaient le pivot de la défense française dans un contexte de guerre froide. A partir de 1958 la Tunisie se tourne vers les USA. Dans ce contexte ont été engagées les négociations pour l’indépendance tunisienne. Il fallait instituer un état de fait favorable à la France pour que l’Algérie reste française.
Le 25 mars 1956 élection de la constituante. Bourguiba forme le premier gouvernement élu de la Tunisie. Le 15 avril 56 création de l’armée. Divergences avec ceux qui voulaient le grand Maghreb indépendant. Premier noyau de la police tunisienne et garde nationale. En novembre 1956 on célèbre la journée de l’Algérie. Bourguiba n’a jamais oublié la question algérienne. Le 15 octobre 1963, c’est seulement 8 ans après que la Tunisie accède réellement à l’indépendance, suite à une longue négociation avec la France qui voulait garder la présence de son armée et le port de Bizerte. Bourguiba ne faisait pas confiance à l’armée (nassérisme, pan arabisme)
1958 : bombardement français sur la Tunisie à la frontière algéro-tunisienne alors que le pays était indépendant ! Bourguiba n’a jamais aimé la police mais la garde nationale a aidé l’Algérie.
Amar MOHAND-AMER Trois idées pour 1956 : FLN forces et contradictions/ Le basculement/ Les français en Algérie
1/ FLN Crée en 1954 dans des conditions très différentes, il se trouve en 1956 dans une situation paradoxale. L’organisation politique n’est pas au point mais il y a une dynamique au niveau local. Par contre c’est plus compliqué au niveau national.
Le FNL s’organise autour de plusieurs points et de l’armée de libération. La direction du FLN est reconnue par la totalité des gens qui se battent à l’intérieur du pays (primauté de l’intérieur sur l’extérieur). Étape qualitative. Mise en place d’institutions fiables et efficientes. Création d’une zone autonome à Alger. Il s’agit de faire d’Alger le cœur symbolique de la révolution. Le GPRA va négocier ensuite l’indépendance. En 1956 c’est la primauté du politique sur le militaire. Après ce principe va reculer pour revenir en 1962 au politique avec le retour de Ben Bella. Guerre interne entre le FLN et le MNA de Messali Hadj. Les fondamentaux vont rester mais les acteurs vont changer.
2/ Le Maghreb en 1956 Basculement, indépendance du Maroc et de la Tunisie qui vont aider le FLN à constituer son armée aux frontières.
3/ Les Français en Algérie Les tenants de l’Algérie française commencent à s’organiser.
En janvier-février 1957 la torture va s’installer via l’armée française. Les intellectuels français, Témoignage chrétien, dénoncent, et soutiennent les luttes pour l’indépendance.
Débat Questions du public : – 1956 année charnière ou année charnier ? – Pourquoi le Maghreb en est toujours là, divisé, alors que tant de choses en commun ? Il n’y de Maghreb qu’en France !
Réponses des intervenants :
Amar MOHAND-AMER (?) Mais non il a aussi beaucoup de rencontres au Maroc, en Tunisie, en Algérie. La France ne voulait pas donner une souveraineté totale au Maroc et à la Tunisie. Une grande partie des nationalistes maghrébins s’étaient refugiés au Caire chez le panarabiste Nasser.
Aissa KADRI : On est là pour analyser les faits via l’accès aux archives. C’est pas toujours facile. Il y a des choses à revoir, mais à partir des faits.
Naoual MOUTAZAKKI : MohamedV a été critiqué pour avoir invité des membres du FNL sur son territoire. La souveraineté du Maroc était limitée. L’administration française était encore présente au Maroc.
Fayçal CHERIF : « Le Maghreb s’arrête là ou on ne mange pas de couscous » (Bourguiba) Le Maghreb des peuples ça existe, même si le Maghreb politique n’existe pas. L’indépendance est un acte fondateur mais ne sera accomplie que sur une longue durée (de 1956 à 1962 pour la Tunisie (date à laquelle l’État avec le parti unique devient le premier et unique responsable des destinées économiques, sociales et politiques du pays)
Lire aussi : « Misère de l’historiographie du Maghreb « post-colonial » (1962-2012) » de Pierre Vermeren. Ed. Publication de la Sorbonne Extrait de l’avant-propos « … Alors que les Français et leurs intellectuels reviennent avec passion sur leur passé colonial, et s’adonnent avec délectation, en 2010- 2012, à leur passion de la commémoration, des indépendances africaines et algérienne en l’occurrence, cet ouvrage a pour ambition de leur rappeler que les sociétés du Maghreb ont continué à vivre et à produire de l’histoire… »
Extrait de la préface « …Le renouveau des études maghrébines en France, observable depuis les années 1990 et 2000, s’identifie très largement au retour de l’objet « guerre d’Algérie ». Par-delà les travaux pionniers de Benjamin Stora, une convergence de facteurs y concourt : renouvellement générationnel, explosion mémorielle au sortir d’une longue amnésie, choc de la guerre civile algérienne, sans l’ouverture des archives françaises en 1992. Les renouvellements historiographiques en cours ouvrent sur une relecture de l’histoire coloniale comme sur une histoire inédite de l’immigration… » Nadine Picaudou, professeur, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Aldona Januszewski