« Albert Camus : l’union des différences. Le legs humain et politique d’un homme en révolte », d’Alessandro Bresolin (Presse Fédéraliste, 2017).
Les 9 et 10 octobre, Coup de soleil, en collaboration avec la SEC, a organisé deux rencontres autour de la sortie du livre d’Alessandro Bresolin. Début octobre, le livre d’Alessandro Bresolin, « Albert Camus : l’union des différences » est paru aux éditions Presse Fédéraliste. Ce livre avait déjà été publié en Italie en 2013 mais cette nouvelle édition française est traduite par l’auteur lui-même – avec une traduction revue par Jean-Louis Meunier et Jean-Francis Billion – et augmentée de certains passages concernant l’aspect fédéraliste de l’œuvre d’Albert Camus – notamment le cas Gary Davis et la citoyenneté mondiale.
Afin de présenter son ouvrage au public, l’auteur nous a fait le plaisir de passer deux soirées à Lyon, la première à la Maison de l’Europe, le lundi 9 octobre, et la seconde, le lendemain, dans les locaux du Cédrats, à la Croix-rousse.
Lors de ces deux soirées, la rencontre a pris des allures de dialogue entre Alessandro et moi-même.
J’ai tenu dans un premier temps à rappeler le parcours atypique de l’auteur qui, après des études d’Histoire contemporaine à l’Université de Bologne est venu en France, à Toulouse, grâce aux échanges Erasmus. C’est là qu’il apprend à parler si bien le français. Ses travaux portent notamment sur « La naissance des mouvements nationaux en Algérie entre 1924 et 1954 ». Ses études le conduisent ensuite à Bruxelles où il travaille pendant cinq ans pour la revue Amnisty. De retour en Italie, il écrit une Anthologie de textes libertaires de Camus, La Rivolta libertaria qui paraît en 1998. Il faudra attendre dix années, pendant lesquelles Alessandro travaille dans un domaine totalement différent de celui de l’écriture, pour que le cours des choses changent : en 2008 en effet, les « Rencontres Méditerranéennes » organisées chaque année à Lourmarin par Jean-Louis Meunier, portent sur « Camus et les libertaires ». Alessandro reçoit alors un coup de téléphone pour savoir s’il accepte d’y faire une intervention : il accepte. C’est donc là, à Lourmarin, qu’il rencontre Catherine, la fille d’Albert Camus, avec laquelle il noue une belle amitié… et c’est à partir de cette date qu’il décide d’approfondir sa connaissance de Camus et surtout, son travail d’écriture sur l’auteur qui l’accompagne depuis plusieurs années…
Alessandro Bresolin a également une activité de traducteur : c’est lui par exemple qui traduit en italien les œuvres d’auteurs français très différents comme par exemple Marc Bloch, Albert Cossery, Armand Guerra, Panait Istrati, Romain Rolland, Edmond et Jules Goncourt ou encore Paul Valéry. Il a aussi traduit la « Conférence sur la tragédie » que Camus a donnée à Athènes en 1955.
Albert Camus : l’union des différences. Le legs humain et politique d’un homme en révolte est une biographie de Camus qui se présente par thèmes. L’approche en est à la fois historique et politique mais on peut également y découvrir de belles analyses de textes – je vous conseille notamment celle de L’Étranger ou les pages sur L’Envers et l’Endroit.
Le livre se découpe ainsi avec la jeunesse de Camus en Algérie, son lien avec la société algérienne, son identité espagnole, son attachement à l’Italie, la question de la Révolte, de l’Europe, la vision de l’Europe qu’en avait Camus.
Alessandro évoque en outre certaines rencontres qui furent importantes pour Camus et notamment celles de Nicola Chiaromonte, jeune exilé politique qui arrive à Alger en 1941 et avec qui Camus noue une amitié immédiate, et celle d’Ignazio Silone qui, par exemple, collabora souvent avec Camus à plusieurs revues libertaires comme Témoins, Volontà, la revue du mouvement anarchiste italien, ou encore Solidaridad Ombrera.
Alessandro offre bien sûr une place à part à l’Algérie qui ouvre le livre et qui apparaît également dans le dernier chapitre. Pour lui, elle est « la cause perdue » de Camus. Pour préparer nos échanges, nous avons été frappés Alessandro et moi, par le fait que nos regards différents – le sien, celui de l’historien et le mien, littéraire – se croisaient tout en se rejoignant sur la question de la Guerre d’Algérie. Cette question illustre en effet selon nous à la fois l’Absurde et la tragédie. L’Absurde, c’est le divorce entre les aspirations de l’homme et du monde, ce divorce qui est le fruit du silence du monde. Quant au tragique, il est selon la définition que Camus en donne dans sa Conférence d’Athènes de 1955, le fait qu’Antigone a raison mais que Créon n’a pas tort, ce qui illustre bien la difficulté du pays ainsi que l’échec du fameux Appel à la Trêve civile lancé par Camus en 1956.
Le livre offre enfin un très bel entretien avec Catherine Camus qui se livre en toute simplicité. C’est, il me semble, une des rares fois, où elle évoque avec autant d’émotion le choc que fut la disparition brutale de Camus ; elle vivait dans « une insouciance inexplicable, qui a été brisée par le mort de [son] papa. Parce qu’un accident en voiture, pendant que tu attends l’arrivée de ton père, un lundi soir, et qu’à cinq heures on te dit que tu ne le reverras jamais plus, c’est incroyable. Irréel. Et puis il était le seul adulte, le seul adulte en qui j’avais confiance. […] Quand il est mort, je me suis sentie presque en danger absolu, comme si j’étais tombée au fond d’un ravin sans fond ».
Au-delà de sa relation intime avec son père, elle évoque également les différentes polémiques qui surgissent parfois – comme ce fut le cas par exemple avec Marseille 2013 – autour de la figure de son père. Elle regrette que la culture n’ait désormais « plus de contenu » alors qu’elle devrait précisément permettre le dialogue entre les êtres humains : « La culture n’est pas une somme de savoirs, mais une ouverture au monde. On ne peut pas plaire à tout le monde, papa disait toujours qu’il faut avoir des ennemis, autrement c’est malsain. Et lui il est allé au-devant d’eux, tout seul et à visage découvert ».
Ces deux soirées ont donc permis au public de découvrir l’auteur du livre d’Alessandro Bresolin, parcours passionnant à travers l’œuvre de Camus…
Virginie Lupo
(cet article provient du site de Coup de soleil Rhône-Alpes http://www.coupdesoleil-rhonealpes.fr/category/lire-ecouter-voir