Télévision satellite Maghreb
La télévision par satellite au Maghreb et ses publics, espaces de résistance- espaces critiques. Ratiba Hadj-Moussa, Presses universitaires de Grenoble, 2015, 301 p. bibliographie, index thématique, index des noms propres.
Début des années 1990 : les paraboles fleurissent et symbolisent l’accès à des télévisions occidentales, face aux télévisions d’Etat dans les trois pays maghrébins où elles ont été en monopole pendant trois décennies depuis les indépendances. Dix ans plus tard le câble remplace la parabole et les chaines du Monde arabe oriental ont une place dominante.
L’auteur analyse les conditions de réception au sein des foyers, selon les genres, les âges, les situations de dominant ou dominé. C’est toute l’économie domestique, avec les rôles des femmes et des hommes, qui est transformée, mais aussi tout l’accès à la politique, le monopole des Etats s’effaçant devant les opportunités d’information différente. Il y a choc dans la sphère privée : des problèmes politiques et sociaux apparaissent, qui « normalement » en étaient exclus. Des remarques sur des sociétés où pour détecter l’existence d’une « société civile » il faut d’abord identifier ce qu’est la sphère publique. Globalement ces sociétés ont mis hors jeu l’ensemble des discours des Etats grâce à l’outil des télévisions satellitaires.
Dix ans d’entretiens dans les trois pays maghrébins permettent à l’auteure de nuancer ces visions (« la force des petites choses ») de sociétés atteintes par des modernisations explosives. Ces entrevues supposent des stratégies de prudence pour aborder les thèmes « chauds » : lieux, attitudes corporelles face aux interlocuteurs (trices), choix de la langue utilisée. Ce jeu des langages nous est donné dans une description vivante. Avant la télé satellitaire, le foyer est un domaine exclusivement féminin, si bien que les codes de cohabitation entre hommes et femmes autour de l’écran sont à inventer, à partir des discours des femmes (hammam, coiffeur) et des hommes (lieux de travail). Les chaines arabes sont censées s’adresser aux femmes (pour qu’elles conservent les valeurs traditionnelles) et les chaines françaises aux hommes (pour qu’ils acquièrent une liberté politique). Pour éviter de voir ensemble ce qui ferait honte, plusieurs télé : en pièce commune pour regarder les chaines nationales ou arabes, en chambre du couple « dominant » ou en chambre des garçons pour regarder les chaines européennes. L’illégalité au quotidien règne (matériel acheté en contrebande, pas d’autorisation d’installation des paraboles). De même piratage des chaines payantes au quotidien dans les trois pays. L’espace d’une presse « libre » existe (sous de multiples contrôles) en Algérie et au Maroc, pas ou à peine dans la Tunisie de Ben Ali.
Un « retour » des chaines nationales en période de ramadan : pour célébrer en famille une identité nationale au quotidien telle qu’elle était « autrefois », dans les trois pays.