Olivier Roy En quête de l’Orient perdu, entretien avec Jean-Louis Schlegel, préface de Olivier Mongin et Jean-Louis Schlegel, Seuil, 2014, 314 p.
Vivacité, fausse naïveté parfois, cette autobiographie met en scène ce personnage dont les capacités médiatiques séduisent et irritent. Il est lucide, même si l’auto satisfaction pointe sans cesse. En particulier sur la chance de sa génération de babyboomers, arrivant sur le marché du travail intellectuel quand beaucoup de terrains sont déjà déblayés et beaucoup de portes ouvertes, et avant que les places sur ce marché ne deviennent bien plus chères.
Il montre à quel point ceux qui comptaient (dans ce travail intellectuel) étaient hiérarchisés (quelques enseignants de Normale sup Ulm comme chefs, avec leurs étudiants normaliens « littéraires » comme officiers, les troupes des classes prépa parisiennes comme apprentis officiers, en dessous la piétaille des terminales littéraires des lycées parisiens), presque exclusivement de sexe masculin. Petit monde pris dans les chapelles du maoïsme et du trotskysme alimentées depuis peu par les jeunes, à mesure qu’ils désertaient les jeunesses communistes.
Dans ce monde heureux, vivre en opposant était presque un devoir. Il montre comment ces intellectuels basculent dans l’expertise bien rémunérée à la fin des années 1970 et plus encore avec le mitterandisme de 1981. L’auteur n’a pas connu cette autre expertise rémunérée bien plus ancienne, née dans le monde du colonial et de la décolonisation, à partir des années 1950, entre les mains des développeurs et coopérants civils et militaires.
Roy décrit avec humour, à coup d’anecdotes, ses années en Afghanistan. Il a d’abord l’expérience de la société restée la plus « traditionnelle » au monde (parce que située entre puissance russe et puissance anglaise qui ont empêché mutuellement toute colonisation). Puis l’expérience d’une société en guérilla, où il montre ce que cela signifie pour les femmes, pour les étrangers de toutes origines, humanitaires, experts, sympathisants ou militants, pour les prisonniers. Une société très pauvre qui brusquement dispose d’un flot d’armes, d’argent, de biens nouveaux. Il montre la naissance d’un monde des médias, des diplomates, des barbouzes qui s’entrecroisent et se vendent mutuellement des renseignements qui pour être acceptés doivent être savoureux plus que véridiques et qui sont très rapidement périmés.
Son livre se termine par une série de chapitres trop morcelés sur des périodes plus récentes de son travail. Comme souvent, chacun raconte aux autres, ou se raconte, avec plus de cohérence pour un passé lointain déjà transformé en récit, que pour des événements pas encore vraiment passés. L’essentiel tourne autour du religieux et de la difficulté de penser la religion musulmane dans le monde moderne. Pour cela Roy propose de s’intéresser plus à la pratique de la religiosité qu’à ceux qui proclament les dogmes. Ce point de vue permettra aux laïques, qui veulent à tort se débarrasser des religions, de les accepter comme elles sont vécues réellement.
Des notations sur l’ex empire soviétique et la fabrique des nationalismes en Asie centrale, avec des données « post-coloniales » utiles pour comprendre le post colonial français au Maghreb. Sur la réalité des migrations méditerranéennes, phénomène passé pour l’essentiel, par rapport aux phantasmes européens. Sur le développement depuis trois génération, en Europe, et plus anciennement et massivement en France, d’une classe moyenne « mixte » franco- maghrébine, profondément française, tout autant que la classe moyenne intégrant d’autres origines nationales « chrétiennes ».(Claude Bataillon)