Décolonisation, du sang et des larmes: un grand documentaire
Décolonisation, du sang et des larmes(avec l’historien Pascal Blanchard), 6 octobre 2020, sur France 2, Deux épisodes (1h20 x 2) plus 45 ‘ de débat
Un dialogue entre « soleilleux » sur une grande émission télé
Le livre vient de paraître aux éditions La Marinière, 2020 |
Claude: Cette fresque a l’immense avantage de raconter la décolonisation française sur le temps long : depuis la mort annoncée des empires avec la fin de la première guerre mondiale jusqu’aux séquelles actuelles et pour la totalité de cet Empire consubstantiel à la nation française. Le ton est parfois moralisateur, l’ensemble de la France étant co-responsable de ce sang et de ces larmes. Mais on évite les « repentances » : que signifierait de se repentir au nom de son grand-père ?
Si le récit passe en revue toutes les situations coloniales françaises d’Afrique d’Asie et d’Amérique, il laisse voir plus qu’il ne dit que par rapport aux autres empires (sauf l’Empire russe sans doute…), la construction impériale française « pense » une colonie de peuplement dans un pays déjà « plein » (l’Algérie et plus largement le Maghreb) et phantasme son incorporationdans une nation- république. D’où une décolonisation beaucoup plus dure et traumatique, pour les colonisés comme pour les « maîtres ». La décolonisation de « l’Union des républiques socialistes soviétiques » est à ce même niveau de traumatisme, parce que le phantasme d’une incorporation y a été de même nature. La propagande impériale française gaullienne a parlé d’une « France de Dunkerque à Tamanrasset », mais jamais jusqu’à Pointe Noire ou Saïgon. D’une certaine façon le racisme vis-à-vis des « indigènes » lointains est absoludans ces colonies où les Français sont des cadres « de passage », relatifau Maghreb dont les populations « indigènes » étaient considérées comme de futurs et vagues citoyens potentiels qui rejoindraient les citoyens français installés là pour l’éternité.
Le débat après le film est très riche, parce qu’il insiste sur un présent où il ne s’agit en rien de « tourner la page » : au contraire, toutes mémoires retrouvées, toutes confrontations, permettent de mettre en perspective ce « sang et ces larmes », mais aussi tout ce que furent les bonheurs communs, les amitiés et les amours, consubstantiels aussi de ces mondes coloniaux. (Claude)
Marc commente lui aussi : C’était suivi d’un débat. Ronron habituel sur ce type de débats où discutent des spécialistes mais où ce qui est sous-jacent c’est comment sortir d’une vision victimaire d’un côté et compatissante de l’autre. Et puis d’un coup une vraie parole! Un vrai souffle de vie. C’est Leila Slimani qui s’exprime: « Au risque de passer pour sentimentale, vous demandez depuis tout à l’heure des solutions, mais une des solutions, et qui s’est fait, malgré tout, même pendant les guerres et les moments les plus noirs, c’est l’amour. Vivre dans le pays de l’autre, c’est vrai, c’est dur, mais, en même temps, quand vous tombez amoureux c’est cela qui se passe. Vous allez vivre dans le pays de l’autre et d’un coup vous vivez un exil.
Moi je crois que l’Amour, les rencontres, les amitiés… Il y a un passage qui m’a bouleversée dans ce documentaire, c’est ce soldat sénégalais qui raconte que pendant la guerre d’Indochine il a perdu son meilleur ami. On voit la photo. Et son meilleur ami c’est un blanc. Et ils sont amis tous les deux. Ce n’est peut-être pas politiquement correct de dire ça mais c’est aussi cela la colonisation. Des gens qui n’ont pas la même couleur de peau et qui sont amis. Des gens qui font des enfants ensemble, qui traversent l’existence ensemble, ce sont ces gens-là, ces histoires individuelles, ces destins qui se sont connus, se sont croisés.
Qui ont vu que derrière ces images de fresques il y avait des êtres humains et que tout cela c’était de la poudre aux yeux, c’est eux qui vont peut-être pouvoir demain raconter une histoire charnelle, sensible, réelle de la colonisation avec tout ce qu’elle comporte d’horreurs mais aussi d’enfants qui sont nés, de gens qui ont construits, de choses belles qui ont parfois été faites. A titre individuel et pas par l’État ou le système.
Souvent ce qui me chagrine c’est que certains hommes politiques français nous décrivent comme des gens forcément haineux, qui allons dire forcément des choses affreuses, allons casser la France. Mais on est là. La France est autant à nous qu’à eux. On en aime certains aspects, on en critique d’autres, exactement de la même manière qu’eux. Et ce que je déteste c’est qu’on nous enferme dans ces images de harpies et de gens haineux alors qu’il y a aussi derrière, que nous sommes plus qu’eux la preuve qu’il y a eu de l’Amour et qu’on est capable de comprendre cet amour, ces rencontres et ces relations.
J’ai été stupéfait. Merci Leila Slimani. Moi aussi je déteste ceux qui veulent nous enfermer dans des stéréotypes. Ce que raconte Georges Morin lorsqu’il était stupéfait d’être catalogué, à son arrivée en France, d’un coté comme « un colon qui faisait suer le burnous » et de l’autre comme « une victime de la sauvagerie des bicots« . Coup de Soleil est né de ce refus.
Laura Mouzaia: L’excellent documentaire plante bien les décors avec une lecture médicale. Une douleur à rallonge, qui n’en finit pas de gangréner les cœurs et les esprits. […] L’Histoire doit être Dite et surtout Ecrite sans filtre, sans gomme, pour les générations des deux camps. Si pendant longtemps et aujourd’hui encore la colonisation ne peut être évoquée sans cri, sans heurt, c’est qu’elle évoque l’Histoire des Vaincus, la défaite du Dominant avec son système arbitraire et brutal. Ce sont les anciens colonisateurs qui sont le plus abîmés. Cette page coloniale dérange car elle traîne un double diagnostic: celui d’un système inique, sourd ; et aussi celui d’une religion l’Islam qui peine à trouver sa place dans la société française. […] Trois générations plus tard, la République tant galvanisée car concept d’égalité à la base, continue à discriminer, et les violences dénoncées nous renvoie à une histoire tronquée, niée, d’où l’urgence de rompre avec ce système hypocrite qui entretient toutes les douleurs, et gomme des vies. D’où l’importance de transmettre L’Histoire, de ne pas sous –estimer le récit des anciens, de la mémoire collective. Il est impératif de décortiquer ce tabou, pour ne pas nier l’Histoire de l’Humanité, ce qui me permet d’affirmer avec insistance, l’enjeu de l’école,de l’éducation moyen de transmission, car les « oublis volontaires »sont de grands dommages pour la construction d’un Avenir commun.
Charles Aleixandre Excellent documentaire , en effet , qui laisse pantois devant tant de cécité des autorités françaises qui ont si mal géré la décolonisation […] Le problème n’est pas la repentance mais plutôt de réécrire le » roman national » avec plus d’honnêteté et de vérité pour les jeunes d’aujourd’hui: cela n’affaiblira pas l’identité nationale , à mon sens , mais permettrait à ceux issues de l’immigration de ces pays de se sentir à présent partie de la communauté nationale […] Je ne pense pas globalement qu’il y ai eu dans les colonies des bonheurs communs , chacun était assigné à sa place , l’ arabe , le juif , l’ européen pas toujours français , surtout dans les villes . Certes individuellement des progrès et des transgressions étaient possible, voir Farath Abbas, Ho Chi Min, Bourguiba qui ont fini par être les voix pour l’ indépendance de leur pays respectifs.
Habib Samrakandi: la remarque de Claude Levi-Strauss : Il y a des objets chauds et des objets froids […] Parler de l’Algérie coloniale et des indépendances est un objet chaud… Comme la religion musulmane en France aujourd’hui. Et tous les Objets chauds mobilisent toutes les classes de la société : Le spécialiste de l’histoire de l’Algérie, les familles algériennes et les pieds noirs d’Algérie, etc…. ont des choses à dire sur l’Algérie…
Dominique Thura: Mes parents, vifs catholiques; militants (J.O.C. entre autres) nous ont appris l’égalité et le partage. Je crois que c’est une bonne base pour la vie.[…]. La scène se déroule donc en grande banlieue parisienne., vers 1967. Un samedi à presque midi. Mes parents arrivent en 4 CV au centre commercial du coin. A l’entrée du supermarché d’alors, un Maghrébin demande où se trouve une adresse. Celle d’un employeur offrant des emplois dans la commune limitrophe. Mes parents essaient de lui expliquer, voient l’heure qu’il est, midi, donc la boîte en question vient de fermer. Ni une, ni deux, les voilà qui invitent l’homme à manger à la maison et mon père le conduira à l’usine en question. La seule chose qu’ils connaissent du monde musulman c’est « On ne mange pas de porc ». Pas de bol, ils n’ont pour manger que des côtes de porc ! Voilà mon père qui redescend chez « Rémy » le boucher du coin, et il achète un beau steack, vraiment superbe. Hallal connaît pas ? Les cinq prières quotidiennes, pas au courant ? Le pélerinage (qui vous rend « sage ») non plus. Nous avons tous/toutes (ma mère, ma soeur) mangé de bon appétit. Nous avons bavardé puis l’homme nommé Idrissi est monté en voiture avec mon père pour aller chercher du boulot. Pas d’autres détails…. Mais quelque temps plus tard il est venu à la maison, nous offrant un plateau en cuivre gravé par ses soins (les ruines de Kenitra), toujours dans la famille. Plus tard, il venu nous présenter sa jeune épouse.