Deux membres de Coup de soleil ont suivi cette rencontre organisée au Maghreb des livres 2016, avec l’Hôtel de Ville de Paris
« Hommage à Assia Djebar »
Rencontre du 13/02/2016
Dans une rencontre animée par Esma AZZOUZ avec Mireille CALLE-GRUBER spécialiste d’Assia DJEBAR et Amel CHAOUTI psychologue, Présidente de l’association des amis d’Assia DJEBAR, le Maghreb des livres 2016 a rendu un hommage à Assia DJEBAR (pseudonyme de Fatma-Zohra IMALAYENE) écrivaine et cinéaste algérienne, membre de l’Académie française, professeur d’université disparue en février 2015. Assia DJEBAR est née en 1936 à Cherchell à une centaine de kilomètres d’Alger où elle repose conformément à ses vœux.
Cette femme, dont le père était instituteur, était un porte voix de l’émancipation des femmes dans l’Algérie coloniale et post coloniale. Son essai « Ces voix qui m’assiègent » pose le problème non seulement de l’écriture pour une femme d’éducation musulmane mais qui plus est de l’écriture dans la langue de l’Autre. Ce livre, nous dit Mireille CALLE GRUBER, c’est l’image de la narratrice assise au bord de la route qui nourrit son écriture de toutes ces voix de femmes en arabe dialectal et en berbère qu’elle aime écouter et qu’elle nous restitue dans son français à elle.
Précisément, Mireille CALLE-GRUBER souligne que cette femme a dû, dans son œuvre, se réapproprier une langue qui, au départ, n’était pas la sienne. En effet, de retour en Algérie en 1962, à l’indépendance, après des études à Paris puis avoir enseigné l’histoire moderne et contemporaine du Maghreb à l’Université de Rabat, Assia DJEBAR culpabilise d’écrire en français. Elle arrête d’ailleurs de publier pendant plusieurs années. Elle devient professeur d’université à la faculté d’Alger, enseigne d’abord l’histoire puis la littérature francophone et le cinéma.
Pendant les années 1970, elle se consacre également au cinéma et prépare un premier long métrage « la nouba des femmes du Mont Chenoua » semi-documentaire après des séjours dans une tribu pour y interroger notamment la mémoire des paysannes pendant la guerre. A cet égard, Amel CHAOUTI souligne combien il fallut de courage à Assia DJEBAR en tant que femme pour réaliser un film en Algérie (première femme réalisatrice en Algérie), film orienté autour de l’arabe dialectal destiné à faire parler les femmes et à retrouver les voix du passé. Il s’agit aussi de la prise de conscience que tous les documents d’archives sont français et ne traduisent que le regard de l’occupant. Ce long métrage suscita d’ailleurs des débats contradictoires dans les milieux algériens.
En 1980, considérant qu’il lui est difficile de poursuivre une carrière à la fois de cinéaste et de romancière francophone dans son pays, compte tenu de son rapport au féminisme, Assia DJEBAR choisit de retourner vivre à Paris en 1980. Cette même année, elle publie « Femmes d’Alger dans leur appartement » (référence au tableau de Delacroix et à l’enfermement des Femmes dans l’Algérie d’aujourd’hui). Assia DJEBAR est, en effet, attristée de constater que depuis l’indépendance, l’univers de la femme est confiné à la maison. Ne peut-on d’ailleurs pas rappeler que l’écrivaine elle-même, plus tard lors d’un entretien, indiquera qu’elle est revenue en France « parce qu’il n’y avait plus que des hommes dans les rues d’Alger ».
En 1985, elle publie « L’Amour, la Fantasia », roman qui mêle écriture autobiographique et approche historique. Assia DJEBAR y retraverse l’histoire de l’Algérie depuis la prise d’Alger en 1830 pour comprendre la construction d’une nation tout en faisant un travail de recherche sur soi (origines de son individualité) qui passe par la quête des mots.
Parmi ses ouvrages, il faut mentionner également celui sur la sépulture « Femme sans sépulture » publié en 2002 et ceux sur la décennie noire où elle chante ses amis assassinés.
A noter que l’écrivaine a également enseigné aux Etats-Unis et que son œuvre a été traduite dans une vingtaine de langues.
Cet hommage est une invite à lire Assia DJEBAR, afin de mieux cerner son combat pour faire entendre la voix des femmes musulmanes et de tous les pays et essayer de comprendre son rapport à l’écriture qui témoigne de sa double appartenance française et algérienne à la culture.
Monique GAULTIER
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Trois femmes évoquent avec force et émotion l’univers romanesque de la première femme Algérienne reçue à l’Académie française qui s’est approprié la langue du colonisateur pour en faire son « butin de guerre ». Elles nous donnent envie de découvrir une œuvre qui part souvent de récits « biographiques ou auto-biographiques » pour aborder des thèmes collectifs.
Esma AZZOUZ
Animatrice de la rencontre, a rédigé une thèse sur les écritures féminines algériennes de langue française
Deux grandes dames du Maghreb sont mortes en 2015 : Assia Djebar et Fatima Mernissi (une sociologue qui a écrit un roman en admiration pour Assia Djebar)
Trois pistes personnelles de lecture :
- Les femmes dans son œuvre Elle refusait d’avoir le rôle de celle qui parle « pour » ou « des » femmes. Elle préférait parler « à côté » des femmes, auprès d’elles, sans vouloir être leur porte voix. « Je m’assois auprès de vous pour parler » assise sur le bord de la route poussiéreuse. Parler, écouter, transmettre, avec des paysannes du Mont Chenoua.
- Architecture des tables de matière Précision, maîtrise, harmonie. On se laisse emporter par les titres, les ouvertures, les rythmes musicaux qui annoncent ce qui va arriver. « Symphonie avec des voix de femmes » La langue française qui donne des yeux à Assia Djebar pour voir la liberté
- Triangle linguistique Français, arabe, berbère Cf Apulée, « L’âne ou les métamorphose » ( berbère-latin-grec)
Mireille CALLE-GRUBER Universitaire spécialiste d’Assia Djabar « Une écriture biographique et auto-biographique »
Assia Djebar est née en 1936 – Son père était instituteur. Le français était la langue imposée par la colonisation. Il lui fallait se réapproprier une histoire et une langue. Au départ en 1962 elle ressentait de la culpabilité à écrire dans la langue du colonisateur. Pendant dix ans, après quatre romans, avait arrêté de publier. Dans les années 80 elle passe au « JE ». Ressenti comme un dénudement, une exposition, une « autopsie » à vif.
Assia Djebar (pseudonyme adopté pour se protéger), commence à publier très jeune « L’amour, la fantasia » (années 80)
Historienne de formation elle alterne autobiographie personnelle et histoire de l’Algérie. Retraverse les archives des militaires français.
« Femmes d’Alger dans leurs appartements » avec Delacroix et Picasso. Ressource les deux histoires l’une par l’autre, par la force de son écriture.
Son enquête sociologique sur les femmes du Mont Chenoua (région de sa famille) devient un roman. Elle les appelle « femmes arables ». Elle mêle les histoires des maquisardes de cette région qui après l’indépendance retournent à leurs foyers, à des réflexions d’Hanna Arendt.
« Le blanc de l’Algérie » Rend hommage à ses amis assassinés dans les années 90, lie la poésie et la politique, dans une sorte de chant de pleureuse.
« Il me faut retrouver le chant profond, étranglé dans la gorge, des miens »
« Ecrire pour Assia Djebar c’est plaider pour les siens dans une langue étrangère » Pierre Michou actes du colloque de Cerisy : « étrangères de l’intérieur »).
Assia Djebar seule enfant musulmane dans l’école primaire où son père était instituteur, écrit « ma main est dans la main du père » car celui ci d’emblée devient passeur.
Amel CHOUATI
Ecrivaine et psychologue elle a créé l’association des amis d’Assia Djebar.
Assia Djebar va à l’école de la République et apprend à penser en français.
En 1962 Françoise Giroud l’envoie faire une enquête pour l’Express sur les femmes Algériennes après l’indépendance. Rentre dans l’Algérie nouvelle pour la première fois après huit ans passés en France. Avant l’indépendance elle avait écrit et fait des enquêtes pour le
journal clandestin « El moudjahid ».
Entre 1962-65 elle devient le premier professeur d’histoire en Algérie. Soucieuse de la situation des femmes en Afrique au lendemain de l’indépendance. Va chercher la trace de la place des femmes dans les luttes pour l’indépendance. Se réapproprier le regard du dominé pour qu’il puisse témoigner à travers sa foi.
« La femme sans sépulture » C’est l’histoire d’une femme maquisardes jetée d’un hélicoptère par des paras français. Retrouve sa famille pour lui rendre hommage dans son livre.
Une autre étape : écrire sur la décennie noire. Retrouver le lien entre l’Histoire coloniale et ces évènements liés au terrorisme. Ecrire des ouvrages d’Histoire classique n’était pas suffisant pour elle. Elle voulait aussi apporter le ressenti, le deuil des évènements traumatiques, pas seulement transmettre un savoir.
Vie de la fiction permet de libérer la douleur, la violence, et d’apporter l’émotion au texte.
Cf n° spécial d’Algérie littérature-action sur Assia Djebar
« Nulle part ans la maison de mon père » est son seul vrai récit autobiographique.
Aldona Januszewski
A l’occasion des lectures organisées en septembre 2015 à Toulouse sur l’oeuvre de Assia Djebar un video a été réalisé assia-pour-le-site-3