« MAGIC BAB EL OUED » de Sabrina Kassa, (éditions Emmanuelle Collas, 2019)
Ce petit livre, assez drôle en dépit du sujet annoncé, pourrait être une sorte de nouvelle, car il s’agit d’un récit, dont beaucoup d’aspects sont tout juste esquissés, et non pas d’un roman qui aurait à cœur de développer les personnages et les situations. En fait il n’y a pas seulement un mais même deux sujets annoncés, connus l’un et l’autre par d’autres ouvrages qui les ont traités de manière approfondie et font date en la matière.
L’un est la situation vécue dans le milieu algéro-français par l’une de ces jeunes filles qu’on appelait « beurettes » il y a quelque temps, du fait que son père a été harki, c’est-à-dire militaire supplétif dans l’armée française et considéré de ce fait comme traître à la cause de l’indépendance algérienne. Pour s’en tenir à un seul titre on peut citer le livre de Dalila Kerchouche paru en 2003 sous le titre explicite : Mon père, ce harki. Or tel n’est pas mais tel pourrait être le sujet du livre de Sabrina Kassa, dont l’héroïne, la jeune Anissa, décide de partir en Algérie pour enquêter sur son défunt père dont elle croit comprendre qu’il a été harki. Secrets de familles, vérités tues, occultées, déformées etc., voilà à quoi pourrait s’attendre le lecteur de bonne foi.
Et d’autre part il se trouve que la même Anissa, qui est étudiante à Paris, a entrepris un travail qu’elle pense même avoir mené à bien sur ceux qu’on appelle les « chibanis », ces vieux travailleurs algériens dont la vie s’est passée en France, jusqu’à ce que la retraite les laisse face à un vide assez poignant. Un des sujets de son livre pourrait être la rencontre avec certains d’entre eux, de la génération de son père ou de son oncle paternel encore vivant et que son voyage en Algérie va lui permettre de rencontrer.
Or le moins qu’on puisse dire est que la narratrice se contente de frôler l’éventualité de tels sujets, et préfère nous gratifier de quelques fragments de récits, qui se passent soit à Alger après l’arrivée d’Anissa dans sa famille paternelle, soit au bled comme on dit là-bas, quelque part dans la montagne où vivent les bergers. Tout cela est fort rocambolesque, principalement fondé sur le fait qu’un cousin d’Anissa, de peau noire parce que né du viol de sa mère par un tirailleur sénégalais, présente une ressemblance frappante avec le président américain Barack Obama ! Des Américains de passage à Alger s’en avisent, et comme ce sont des petits malins, ils décident d’en tirer parti financièrement, de manière plus ou moins honnête—ce qui fait que leur minable projet, comme on s’en doute, n’ira pas bien loin !
Ne pas s’attendre, évidemment, à beaucoup de sérieux dans la suite des événements ! Si toutefois on peut parler d’événements puisque justement il n’y en a à peu près pas. En revanche on a droit à un joli voyage en autobus d’Anissa et de sa cousine algéroise et surtout pour finir à un non moins joli éloge de la vie de berger, en tout cas à titre provisoire et pour se ressourcer au besoin—mais que l’on soit de France ou d’Algérie, ce besoin pourrait bien être la chose du monde la plus répandue.
On se dit pour finir que le coup de baguette magique annoncé par le titre n’est en effet pas absent de la manière dont procède Sabrina Kassa. Et ce défi lancé à tous nos discours habituels pour analyser, comprendre, essayer de comprendre etc. a pour mérite de balayer les pesanteurs idéologiques accumulées depuis des décennies. De toute manière, les problèmes sérieux reviendront toujours sur l’avant-scène, ils existent et nous n’y échapperons pas. Alors s’aider par ci par là d’un petit coup de baguette magique est une grâce qui ne se refuse pas !
Denise Brahimi
(extrait de la Lettre culturelle franco-maghrébine N° 33, mai 2019, Coup de Soleil Lyon)