30 avril à 11 heures au MUCEM, Marseille et 7 mai à 11h45
Il s’agit d’une collection de textes, d’affiches, de dessins et de photos qui retracent, de manière très séduisante car très pédagogique, l’aventure de la cartographie dans l’Algérie coloniale (voir aussi l’excellent ouvrage d’Hélène Blais : « Mirages de la carte : l’invention de l’Algérie coloniale » ; vous pouvez aussi podcaster, sur France-culture, l’émission qu’Emmanuel Laurentin a consacrée à cette exposition dans « La fabrique de l’Histoire » du 13 avril 2016.
Sur la suggestion de la section de Coup de soleil en Provence, nous avons fait une plongée. Plusieurs visiteurs nous ont envoyé leurs réflexions…
Avec le Mucem, qui présente une série d’expositions intéressantes, Marseille monte en puissance dans le domaine culturel. « Made in Algeria ». Pourquoi La langue anglaise ? Est- ce un sous-produit de notre mauvaise conscience de colonisateur ? Le sous-titre « Généalogie d’un territoire « indique que la carte géographique est au cœur de l’exposition. La démonstration savante est convaincante. Tout processus de conquête s’accompagne d’une invention cartographique. Sans cartes, pas d’invasion et d’occupation durable.
Dès le seizième siècle, l’Algérie a intéressé les explorateurs européens et les grandes puissances et la cartographie des côtes et des rivages a facilité les premiers bombardements d’Alger et des ports. La cartographie devient plus précise, lorsqu’il s’agit de préparer l’occupation du pays, comme le montre la « Reconnaissance générale d’Alger » réalisée en 1808, à la demande de Napoléon, par le colonel Boutin. C’est à partir de ce document que fut conçue la Prise d’Alger en 1830 : débarquement sur la presqu’île de Sidi-Ferruch et montée directe vers le « Fort l’Empereur » en évitant la ville.
Pour progresser vers l’intérieur, les soldats français se font cartographes et topographes. Des brigades topographiques tracent des chemins de reconnaissance. Le maillage topographique du territoire s’étend, vers l’intérieur et aussi vers l’ouest et l’est en vue d’unifier une occupation faite à partir des ports. Les « blancs » sur les cartes ne représentent pas des espaces vides mais des espaces méconnus, parfois délibérément s’agissant de propriétés appartenant à des Arabes. Ces cartes serviront pour les opérations militaires contre Abd El Kader.
Le volet militaire est doublé d’un volet propagande. Les succès militaires doivent conforter les pouvoirs politiques, à la recherche d’un succédané à la légende napoléonienne, et convaincre une opinion des bienfaits de la colonisation. Des peintres sont mobilisés. C’est l’époque où Louis- Philippe aménage à Versailles le musée de l’histoire de France dédié « à toutes les gloires » Il passe de nombreuses commandes pour illustrer les hauts faits du règne. Ces peintres, de bons professionnels, sont généralement très proches des militaires. Beaucoup de toiles sont des illustrations triomphalistes des victoires militaires. Certaines nous renseignent sur le relief, les paysages, les habitants. D’autres, plus ambitieuses, signées des plus célèbres peintres de l’époque, Delacroix et Horace Vernet sont de facture orientaliste. L’Algérie, ce sont des territoires immenses, étendus et vides qui attendaient d’être mis en valeur. La peinture est au service d’un projet politique.
Parallèlement à l’occupation, beaucoup de noms de lieux et de villes sont francisés, une large place est faite aux Gouverneurs, généraux et aux autres gloires de la colonisation. Un embryon de cadastre est constitué, en vue d’attribuer progressivement des terres à des Français venus de métropole. A partir de la troisième république, l’approche par les cartes perd de son intérêt, sauf pour le Grand Sud, et l’exposition aussi.
Elle ne fait pas oublier l’exposition du cinquantenaire en 2012, tenue aux Invalides. Plus globale et moins scientifique, elle traitait de toute l’histoire de 1830 à1962, incluant aussi bien le Royaume Arabe de Napoléon III que la guerre d’indépendance. En dehors d’une indulgence certaine à l’égard du Général de Gaulle, elle était équilibrée. Celle de 2016 semble bien accueillie en Algérie. El Watan lui a consacré un long article. Et l’excellent dossier pédagogique constitué par le Mucem devrait permettre une information dépassionnée dans le public scolaire français. (Pierre-Yves Cossé)
L’expo que nous avons visitée au MUCEM était très intéressante. Elle permettait de jeter un regard neuf sur les différentes étapes de la colonisation de l’Algérie. La géographie permettant d’aborder l’histoire avec une certaine objectivité.
[Il nous a manqué un peu de] cet aspect précieux et nouveau pour quelqu’un qui n’a pas pu approfondir le sujet par une démarche personnelle et dont le regard reste peut être encore faussé par la désinformation que l’histoire véhicule toujours pour les non spécialistes et principalement pour ceux qui ont vécu la tragédie de la guerre d’Algérie et n’ont pas la sérénité suffisante pour aborder ce passé avec distance et objectivité […]
Nous aurions voulu nous accrocher et ne rien perdre de cette parole libérée et juste. Il y a eu au cours de la visite, des confrontations, des points de vue différents qui se sont manifestés et l’amorce de discussions qui mériteraient de faire l’objet d’une étude plus approfondie. Notre guide nous a promis de venir à Montpellier répondre à notre intérêt pour ce sujet. Mais qu’est donc devenu le projet de musée de « la France et de l’Algérie » né à Montpellier puis abandonné ? Le MUCEM ne l’avait il pas repris ? (Geneviève Luche)
Je viens d’envoyer mon album « Made in Algeria » soit 224 photos https://picasaweb.google.com/116437194610582104207/6295585361702306881?authkey=Gv1sRgCLzM84nrwtn_KA&feat=directlink. C’est peu dire que l’expo m’a passionnée, j’y suis allée une douzaine de fois, avec un groupe ou parfois une seule adhérente, mais une Pelegri de « Coup de Soleil Paca ». Ce fut l’occasion de beaucoup de rencontres, conférences, films et lectures, Picard, Gonzalez, Paris, Nicolas et d’autres. Les affiches m’ont vraiment choquée mais en tant qu’artiste, j’ai été touchée par la beauté des aquarelles, et des huiles exposées. L’usage de l’art en politique est une belle leçon mais elle n’est pas nouvelle ! même les photos peuvent mentir !
De la conquête de Kabylie à la carte cadastrale recomposée et collée au sol, tout éclaire un présent difficile, les souffrances de populations malmenées et trompées… J’espère que cet éclairage permettra de panser un peu les plaies et de regarder vers demain… (Mauricette Mazzanti)
Avant tout les visiteurs, nombreux pour ce dernier week end de l’exposition : des groupes de pieds-noirs et d’Algériens (parfois ensemble) qui cherchent sur les cartes les villes et villages qu’ils connaissent et se remémorent. Parfois, avec les commentaires où chacun écoute son voisin, la controverse pourrait monter : « voyez comme nous vivions en bonne intelligence »… « voyez comme l’injustice régnait dans ce monde colonial ». L’une ou l’autre m’interrogent : « et vous, c’était où ? à quelle époque ? » L’exposition est bien menée, équilibrée, entre explications claires et documents bien choisis, entre peintures héroïques, cartes richement ornées, documents divers. Tout cela est sans doute surabondant : surtout les débuts, avant 1900, où l’histoire précoloniale et l’histoire de la conquête sont décrites par des documents qui se répètent.
C’est que Marseille est la capitale de fait de ce vaste territoire, de Menton à Perpignan, qui a accueilli une forte concentration de travailleurs maghrébins, dont beaucoup de harkis, mais aussi de pieds-noirs, puis d’anciens coopérants au Maghreb. Il est donc important que Marseille, avec son MUCEM, ait accueilli cet ensemble de témoignages, cartes avant tout, sur le monde colonial algérien et le passé précolonial de celle-ci. Bien sûr Maroc et Tunisie manquent à l’appel, où tant de comparaisons seraient éclairantes. Dommage que les cinquante dernières années de l’Algérie indépendante restent hors champs : cartographes et géographes ont bien sûr continué à travailler sur ce territoire, avec des outils qui précisément commencent à changer dès les années 1970. Parmi les documents les plus précieux de l’exposition, les videos que le catalogue ne peut nous donner, les photos de l’instituteur communiste Revel dans les années 1940 et 1950, d’abord à son école rurale de l’arrière pays de Collo, puis vers Bejaïa (Bougie) ; ce video répond à celui, postérieur de peu, de glorification du « développement » colonial selon des « actualités » du cinéma de l’époque. Le panneau de conclusion avant de sortir de l’exposition rappelle le slogan « l’Algérie c’est la France » des années 1950 et 1960. Il avait été tourné en dérision par les situationnistes qui dans une revue belge (pas en France-même, bien sûr) qui avait publié une carte de l’« hexagone » français muni d’une toponymie exclusivement algérienne ( http://alger-mexico-tunis.fr/?p=288 ) Ici c’est le monde entier qui est chamboulé dans ce panneau ; il comporte une carte de l’Iran avec Monaco, une carte d’Algérie peuplée de villes françaises et une carte de France peuplée de villes algériennes. Cette exposition est emblématique de l’interpénétration du Maghreb et de la France, réunis et non séparés par la Méditerranée. (Claude Bataillon)
L’exposition a été l’occasion de publier un catalogue important : Made in Algeria, Généalogie d’un territoire, MUCEM, Marseille, 2016, 239 p. in 4°. Il contient quelque 100 documents (sur les quelque 170 « pièces » exposées), ainsi qu’une bibliographie de plus d’une centaine de titres et surtout une dizaine d’articles originaux, dont certains portent une émotion exceptionnelle (Zahia Rahmani), d’autres une vision des préfigurations de l’Algérie avant son moule colonial (Fouad Soufi, Jean-Yves Sarazin), d’autres encore une analyse des systèmes coloniaux de gestion du territoire algérien (Hélène Blais, Sylvie Thénault, Todd Shepard).