Slimane Zeghidour, Sors, la route t’attend (mon village en Kabylie, 1954-1962), Les Arènes, 2017, 294 p. avec une chronologie « une enfance bouleversée par la guerre » et un glossaire du « sabir » (saber en espagnol…), c’est à dire de la synthèse parlée par les Algériens (encore plus que les autres maghrébins) en réutilisant le vocabulaire français au sein de la darija comme de la tamazigh.
Zéghidour, homme de radio et de télévision, connu aussi pour des livres « grand public » sur l’islam, nous dit qu’il a mis vingt ans à « boucler » son livre de souvenirs d’enfance au sein de la guerre d’Algérie, enfance d’un petit Kabyle « civilisé » par la guerre… dans les camps de regroupement où il a appris le monde moderne, entre autre grâce à son institutrice, madame Cabanel. Rappelons que ce camp était jointif avec un grand chantier de barrage, employant une masse de salariés locaux, donc un lieu qui a bénéficié au plus haut point de l’investissement en équipement dont le symbole fut le « Plan de Constantine ».
La qualité d’écriture de ces souvenirs où tout ce que perçoit l’enfant est un monde de nuances va avec une analyse en perspective de tout ce qu’il a appris sur sa propre enfance en questionnant son entourage et en recoupant les témoignages. Ce monde sensible est celui du village isolé, puis celui du camp (des camps successifs) où sa famille est contrainte de vivre. Zheguidour a aussi enquêté sur ce qu’ont été les camps de regroupement, les SAS, la destruction des zones rurales « interdites », la prise en main des populations par le FLN, à qui appartient la nuit alors que le jour appartient à l’armée française, la fin de la guerre qui met fin très vite au « système » des Français sans que l’Etat algérien ne puisse ou ne veuille assurer une reconstruction des immenses zones rurales détruites, dont sont issues les énormes masses de « néo-urbains » brutalement établies dans ce qui n’est plus campagne et tarde tant devenir ville.
Pour le témoignage, nous n’en avions lu qu’un de la même qualité, le livre La Temesguida, https://coupdesoleil.net/blog/la-temesguida-une-enfance-dans-la-guerre-dalgerie-aissa-touati-et-regis-guyotat/, œuvre non d’un intellectuel de la plume et de la parole comme Zéghidour, mais d’un autodidacte aidé par un journaliste. Pour l’analyse du monde des regroupements et des SAS qui en sont le complément, nous avons des témoignages du côté « français », comme celui de Michel Bibard, http://alger-mexico-tunis.fr/?p=784 , des analyses importantes d’historiens http://alger-mexico-tunis.fr/?p=780, mais pas encore d’analyse aussi lucide que ce livre écrit par un Algérien. S’il fallait retenir la piste la plus féconde de cet ouvrage, ce serait sa démonstration que, pour le meilleur et pour le pire, c’est au sein même de la guerre civile des années 1954-1962 que la modernité du peuple algérien s’est forgée, modernité de ce fait beaucoup plus traumatique que celle de ses voisins maghrébins, marocains ou tunisiens. Slimane est venu signer son livre en dédicace au Maghreb des livres de février 2017, merci à lui. Pour en savoir plus: « Slimane Zeghidour, retour en Kabylie », par Elie Barnavi, L’histoire, p.28-29, N° 435, mai 2017. (Claude Bataillon)