Vincent CRAPANZANO ( par Johan-Frédérik Hel-Guedj) – « Les harkis. Mémoires sans issue» (éd. Gallimard), 2012. Dans cette chronique obsédante, de domination et d’irresponsabilité, de traîtrise et d’abandon, d’ostracisme et d’exil, de racisme et d’humiliation, Vincent Crapanzano se penche sur l’histoire de ce quart de million de supplétifs algériens qui ont combattu aux côtés des Français dans différentes unités durant la guerre d’Algérie. Après l’indépendance, en 1962, ils furent pour la plupart désarmés et renvoyés dans leur village par leurs officiers. Dénoncés comme traîtres par les Algériens, trahis par les Français, beaucoup d’entre eux furent emprisonnés, sauvagement torturés et exécutés sous les yeux de l’armée française qui avait consigne de ne pas intervenir. L’estimation du nombre de victimes varie de 150 000 selon les Harkis à 75 000 à 100 000 selon les Algériens. Les quelque 40 000 d’entre eux qui réussirent à fuir l’Algérie furent cantonnés dans des villages isolés et dans des camps, parfois pendant seize ans. Selon l’auteur, les Harkis y sont devenus une population à part : ghettoïsée par la France (et l’Algérie) mais aussi emmurée dans le silence. Les enfants de Harkis souffrent de cette double blessure : celle qu’ils ont eux-mêmes endurée et celle produite par le silence de leurs pères. Plus qu’un simple retour sur le sinistre passé des Harkis et leur difficile présent, cette enquête ethnographique nourrit une puissante réflexion sur la façon dont les enfants portent la responsabilité des choix de leurs parents, dont l’identité personnelle est façonnée par les forces impersonnelles de l’histoire et dont la violence elle-même s’insinue dans chaque aspect de la vie humaine.
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