Ce roman faisait partie de la sélection Coup de Coeur 2009 (voir rubrique « événements »)
On disait qu’autrefois un conteur captivait tous les hommes de la ville au point que le muezzin oubliait d’appeler à la prière. Habib Tengour aussi réussit à captiver son lecteur de la première à la dernière ligne.
«Les Turcs ont coupé la tête à ton frère ! Va à Alger la chercher !» Que ça lui plaise ou non, le jeune homme n’a qu’à se plier à l’ordre paternel. Roman de formation, récit picaresque, ironique et tendre, Le Maître de l’heure est une exploration jubilatoire et rageuse du temps dans les méandres insolites d’une hagiographie. Les prétendants à la maîtrise de l’heure sont nombreux.
Habib Tengour est né à Mostaganem en 1947. Poète, écrivain et anthropologue, il vit et travaille actuellement à Paris.
La Différence a publié de lui : Gravité de l’ange (2004), L’Arc et la cicatrice (2006) et Le Vieux de la montagne («Minos», 2008).
Extrait du livre :
«Tu ne devrais pas contrarier ton père.» Zerrouqi ne peut pas répondre. D’accord. Il n’est pas d’accord. Il va éclater. Ne dit rien, et puis il plie. Toujours s’écraser quand on est jeune. Avec eux on est toujours mineur, une tare à perpétuité. Ce n’est pas juste. De la tyrannie avec ostentation. À bas tout ça ! D’accord. D’accord. Laisser passer le blâme. Faire contrition, il n’est coupable de rien.
«Non, ça n’est pas bien. Pas bien du tout. Surtout en cette veille de fête. Heureux ceux qui se recueillent au mont Arafat… Tu te comportes avec insolence. Cela n’agrée pas à Dieu.»
Et après ? Qu’est-ce que ça change ? Je n’ai rien fait. C’est lui le plaignant. J’ai été humilié !
Mbarek s’emporte rarement. Il trouve peut-être que j’exagère. Le père est déjà passé faire son rapport. Sûr qu’il le croit, lui. Ce que je peux dire ne pèse rien, une bagatelle. Si je parle j’en dis trop, je me tais c’est pire encore. Je ne vais pas attendre des cheveux blancs pour m’exprimer, j’ai le droit de me défendre. Ne me regarde pas comme ça, père Mbarek, tu vois bien que je baisse la tête. Qui ne dit mot consent, c’est toi qui me l’as appris, je ne fais pas exception à la règle. Mon silence ne cache aucune rébellion. Tu as plus de soixante-dix ans, père Mbarek, tu as passé l’âge de sermonner un jeune homme, car j’ai vingt ans, Dieu me conserve ! Personne ne le remarque ici.
La chape n’est plus supportable. Seulement là, coincé. Pris de court, comme un débutant. Le père l’a houspillé ce matin. Violemment. Au moment où Zoulikha s’apprêtait à danser sur la margelle du puits. Juste quand elle nouait son foulard orange. Les franges s’enflammaient. Ah, la cambrure ! Dieu l’a gâtée. Et moi, j’étouffe.