Le Sahel comme le Sahara a tout pour que la beauté du film soit époustouflante. Cela se passe au bord du fleuve Niger. C’est filmé en fait en Maurétanie, dans la localité de l’auteur du film, Abderrahmane Sissako, mais qu’importe ? Ce nord-Mali est habillé d’une poésie incroyable : celle des musiques, interdites par les djihadistes, celle des femmes, faisant face avec encore plus de courage que les hommes à ceux qui veulent nier leur existence, celle des footbaleurs qui dansent un ballet sans ballon. Un pays dur, de soleil, de sable, de poussière et de vent, où tous se protègent la tête et le cou avec un chèche (un foulard, un voile, un keffieh, un litham). La décence veut que les hommes se voilent le visage avec leur chèche, pas les femmes.
Subtilité d’un pays où cohabitent ceux qui parlent tamachek (la langue berbère des nomades touaregs), ceux qui parlent bambara (la langue principale des sédentaires et gens du fleuve)… et un peu d’arabe, seule langue réellement connue des djihadistes venus d’ailleurs… à moins qu’ils ne soient libyens, dont certains parlent aussi tamachek. Et là dessus, les deux langues de culture, le français, murmuré en connivence par tout un chacun, en particulier pour parler de certaines choses essentielles : le foot, le « réseau » [du téléphone portable]. Mais aussi l’anglais (qui se souvient que GPS est un mot anglais ?), langue de quelques paumés, peut-être venus du Nigeria des « Bokoaram » (qui se souvient qu’en anglais cela veut dire « le livre est interdit » ?) L’écrit est réduit à presque rien : le « magistrat » qui note difficilement au bic sur un cahier, en arabe, ce que dit l’inculpé.