27 février 2021 dans l’atelier d’Annelise
Ce samedi 27 février 2021, nous avons pu discuter à une dizaine (dans un stricte respect des règles sanitaires) en profitant d’une convivialité qui nous manque à tous depuis des mois.
(Marc, Claudine, Laura, Soraya, Georges, Sabah, Isabelle, Françoise, Claude, Anne-Lise qui nous accueillait sur son lieu de travai).
En profitant du témoignage de Georges,nous avons consacré l’essentiel du temps à comprendre la relance actuelle du Hirak algérien et ses racines (voir ci-dessous le texte résumant la discussion sur notre site)
En fin de réunion, un tour d’horizon sur le rapport Stora: pour signaler des « manques », mais aussi pour rappeler son but: réconcilier les mémoires de la guerre d’Algérie en France même, constater que ses préconisations permettent d’avancer vers une histoire commune des deux côtés de la Méditerranée… ce qui est le but fondateur de Coup de soleil.
Une réunion est à organiser fin mars (modalités, lieu et heure à déterminer selon les consignes sanitaires du moment.
Revenir sur la laïcité dans nos sociétés comme thème de discussion.
Comprendre le Hirak
Le groupe de Coup de soleil à Toulouse a longuement discuté le 27 février 2021 sur les développements du Hirak en Algérie. La table ronde de 40 minutes tenue sur France 24 le 23 (avec entre autres Amel Boubeker et Hasni Abidi) marque cette relance de la protestation, qui a maintenant deux ans https://www.youtube.com/watch?v=qZ0EuIyqQ2A. (merci à Claudine pour ce lien).
Si personne ne s’étonne depuis des années de l’absence d’interventions policières dans les Kabylies, dans les manifestations qui se déroulent dans toutes les villes du pays il est clair qu’une large « tolérance » permet la réunion de foules non autorisées, de mise en avant de drapeaux amazigh utilisés partout comme symboles d’une nation algérienne libre et non comme insigne « séparatiste ». En contre partie, l’Etat se manifeste par l’incarcération de figures connues (journalistes en particulier) condamnées avec incohérence puis libérées au gré d’une politique de soupape aléatoire. Certes pas de leaders proclamés : à la fois une méfiance vis-à-vis du pouvoir, mais aussi une tradition ancienne de politique « horizontale » par consensus (que décrit par exemple Gilbert Grandguillaume) .
Mais de nombreux clubs de réflexion, quelque 800 propositions pour fonder un régime démocratique. Les manifs évitent tout affichage « fractionnel », islamiste entre autre, sauf les « carrés féministes » tantôt contestés (on leur dit que mieux vaut manifester en couple ou en famille), tantôt protégés. Les institutions qui pourraient contrecarrer les manif (syndicats) s’en gardent bien.
La société algérienne est en train de changer sur des questions fondamentales (même si c’est à bas bruit…) comme l’homosexualité (en particulier féminine). Si les femmes « modernes » préfèrent se réunir dans les centres culturels français, les femmes « voilées » choisissent… les locaux disponibles (nombreux) de l’Eglise catholique (Pères blancs ou leurs rivaux Jésuites). On souligne que le problème d’être athée ne se pose pas : c’est après la fin de la prière du vendredi que les manifestations commencent. Mais pour de plus en plus de gens la séparation du religieux et du politique s’impose.
Le hirak ne met pas en cause le fonctionnement global de la société, mais y fait passer des vents de nouveauté, symbolisés par le caractère pacifique et festif des manif (chants repris des clubs de foot, danses)
Nous avions commencé la discussion en janvier…
Le débat, entre nous, sur le rapport Stora
En cette fin de janvier 2020 un nouveau sujet qui nous intéresse. Le rapport établi par Benjamin Stora sur la réconciliation mémorielle entre Algérie et France commence à être connu
(un supplément de 8 pages dans Le Monde du 22 janvier, une entrevue en matinale de France Inter.). On peut lire ce rapport en ligne et constater que dans ses conclusions il donne une place à notre association comme à la relance d’un musée à Montpellier https://histoirecoloniale.net/IMG/pdf/le_rapport_de_benjamin_stora.pdf
Et très vite des critiques que nous signale Isabelle https://www.jeune-independant.net/colonisation-benjamin-stora-preconise-du-mouvement-dans-le-statu-quo/
Sur France Télévision, La 5, émission C Ce soir du 27 janvier 2021 (visible en replay), une table ronde avec Benjamin Stora qui parle de ses priorités dans la lutte pour une mémoire de la guerre d’Algérie.
De même un dossier dans le Obs du 29 janvier.
Plus récemment une analyse de Denise Brahimi dans la lettre mensuelle (1er février 2021) de la section de Lyon de Coup de soleil https://www.coupdesoleil-rhonealpes.fr/lettre-culturelle-franco-maghrebine-51
Une table ronde dans Le Monde http://alger-mexico-tunis.fr/wp-content/uploads/B-Stora-Le-Monde.pdf
Dans le journal en ligne Médiapart, divers articles et commentaires, dont un texte de Gilles Manceron du 1er février 2021 http://alger-mexico-tunis.fr/wp-content/uploads/Gilles-Manceron.pdf qui nous invite à une reconnaissance mutuelle des faits liés à la guerre.
Enfin un site d’historiens met en ligne un document de Claude Basuyau sur cette mémoire de la guerre d’Algérie qui nous intéresse directement http://espaceguerredalgerie.com/index.php/2021/01/29/mise-en-ligne-du-cours-propose-par-claude-basuyau-professeur-agrege-lycee-buffon/
Premiers commentaires
L’un ou l’une d’entre nous indique un point de vue critique exprimé par Olivier Le Cour Grandmaison, à lire ici:
Après une lecture par Marc, Claude a récupéré l’article de Kamel Daoud dans l’hebdomadaire Le Point du 23 janvier 2021 Kamel daoud le point (61.09 Ko)
Annelise, concernant les Harkis, parle de Fatima Besnaci-Lancou qui estime que la panthéonisation de Gisèle Halimi est une mauvaise idée. À lire ici: https://www.lefigaro.fr/vox/societe/nous-filles-et-femmes-de-harkis-recusons-le-rapport-stora-sur-la-guerre-d-algerie-20210127
Claude signale une tribune parue dans le journal Le Monde : France-Algérie : « Les harkis méritent mieux qu’un rapport mémoriel lacunaire et cynique à leur égard » de Dalila Kerchouche, journaliste, et Charles Tamazount, juriste
Abder est lui aussi critique sur ce rapport. Il s’étonne que le dossier mémoriel soit construit par 2 États. Pour lui la mémoire appartient aux peuples. Ce rapport légitime les pouvoirs et instrumentalise la mémoire Re action au rapport stora(50.89 Ko)
Jean pense que c’est peut-être le cas mais que c’est déjà un pas que le débat soit ouvert.
Yasmina nous propose la lecture de l’article de H. Benhaoua ( Algérie: Mémoire, Oubli, Repentance) en page 10 de L’Echo d’Oran du 4 février 2021 Null (1.21 Mo)
Georges nous envoie plusieurs textes, dont un provenant Mohamed Benchicou [erreur de nom sur le titre Benichou…] provenant de nos amis de l’Association 4ACG http://www.4acg.org/Mohamed-Benichou-rapport-Stora-de-quoi-je-me-mele
Le 3 février Monique Chaibi envoie un texte sur le pardon:
« Il faut pardonner beaucoup à soi-même pour s’habituer à pardonner à autrui »
Anatole France
En ce moment, et depuis le rapport contesté de Benjamin Stora sur l’Algérie (qui a au moins le mérite d’exister), on voit circuler beaucoup de commentaires sur le « pardon ». Un certain nombre d’algériens exige des excuses de la France pour 132 ans de colonisation et pour une guerre qui n’a jamais voulu dire son nom.
En 2017, en visite en Algérie, Emmanuel Macron a qualifié la colonisation de « crime contre l’Humanité » ce qui a déclenché un tollé à droite. C’était un pas, mais entre une déclaration et des excuses, il y a un gouffre.
Et puis, un pardon « pour faire plaisir », pour « arranger les échanges économiques » entre deux pays, est-ce un véritable pardon?
De l’autre côté de la Méditerranée, doit-on « exiger » des excuses? C’est complexe. Pour que l’Algérie puisse pardonner à la France il faudrait qu’elle ait exprimé spontanément sa volonté de contrition car si elle obtient l’exigeant ce n’est pas sincère.
Dans mon enfance, j’ai vécu avec la haine du nazi, du boche, du frisé, du chleu ou tout simplement de l’allemand parce que maman ne s’est jamais remise, ni physiquement, ni psychologiquement de ses deux années de déportation. Je n’ai jamais pu apprendre la langue de Goethe, ni porter du vert (à cause de l’uniforme nazi) Par chance, et sans l’exprimer réellement, j’ai compris que c’était son histoire, que cela ne me concernait pas et je n’ai donc pas hérité ses haines.
Et parce que j’ai la chance de ne pas posséder de gène de la haine en moi.
J’ai toujours considéré que la haine exige plus d’énergie que l’amour donc je garde celle-ci pour la lumière et me refuse à m’enfoncer dans les ténèbres de l’exécration.
Pour en revenir à l’Algérie, je ferai un parallèle que d’aucuns n’accepteront pas, pourtant pour moi c’est une évidence
Nous acceptons tout ce que le gouvernement d’extrême droite d’Israël impose aux palestiniens et au monde par honte d’avoir été acteurs ou complices du Troisième Reich et de l’extermination de millions de juifs. Et Netanyahu sait appuyer sur notre sentiment de responsabilité. Vichy, le Vel d’Hiv, bref, notre Histoire lors de la seconde guerre mondiale comprend toute une liste de lâchetés qui nous ronge.
Je ne reviens pas sur l’horreur de la Shoah et sur le besoin que les jeunes générations ont de savoir ce qu’ont subi les juifs avant et pendant la guerre.
Les allemands ont officiellement demandé pardon aux juifs à plusieurs reprises! On peut se demander pourquoi aujourd’hui les palestiniens doivent subir la vengeance des colons israéliens dont les ascendants ont été victimes d’Hitler alors que le pays commerce depuis fort longtemps avec l’Allemagne sans une once de rancoeur.
En France, quand Jacques Chirac a prononcé un discours au Vél d’Hiv proche d’une demande de pardon aux juifs, un tollé s’est élevé à droite prétextant que le régime de Vichy n’était pas officiel !
Mais on le sait, la France n’aime pas revenir sur son passé peu glorieux. C’est Kubrick qui a osé filmer « Les sentiers de la gloire » sur les atrocités de l’Armée française durant la première guerre mondiale (film qui fut interdit chez nous pendant 18 ans), Le film de René Vautier « Afrique 50 » fut interdit quatre décennies parce qu’il montrait la réalité sur la colonisation en Afrique noire, et plusieurs films sur la guerre d’Algérie ont eux mêmes été interdits, dont le fameux « Avoir vingt ans dans les Aurès » (de René Vautier à nouveau)
En ce qui me concerne je n’ai aucune opinion tranchée quant à la demande de l’Algérie.
Est-ce que les algériens entre eux ont échangé des excuses et des pardons pour l’horreur des années 90?
Est-ce que des excuses amèneront un peu plus de tolérance envers les algériens qui vivent chez nous, qui sont de chez nous parce qu’arrivés depuis plusieurs générations?
Et envers les maghrébins en général? Ou continuera-t-on à voir en eux des musulmans insolubles dans la République judéo chrétienne pourtant si fière de sa laïcité?
Que peut-on attendre d’un peuple si longtemps humilié si nous refusons de demander son pardon? Et si nous acceptons, renoncera-t-il à ses ressentiments?
Jankélévitch notait que Dieu, qui est sensé être tout Puissant,n’a pourtant jamais réussi à faire qu’une chose passée n’ait jamais existé. L’amnésie n’est pas la solution.
Tous les peuples à un moment ou un autre de leur Histoire ont été victimes ou bourreaux.
Est-il encore trop tôt ou au contraire trop tard? En quoi la France d’aujoud’hui est-elle responsable des actes de celle d’hier?
Les deux pays doivent avancer, l’un savoir pardonner, l’autre savoir trouver les mots pour apaiser les tensions dues à une période sombre de son Histoire.
Pardonner mais ne pas, oublier, sinon l’Histoire bégaie.
Et nous avons continué avec un article de El Watan…
Le rapport Stora et ses suites:
transmets un point de vue d’historiens
algériens sur l’accès aux archives,
à Alger comme dans les wilayas:
un des thèmes sensibles du rapport Stora.
Les historiens réclament l’ouverture des archives
Ils dénoncent des dépassements par la direction des archives nationales de ses prérogatives
Mohamed El Korso affirme que les historiens algériens en sont réduits à faire les «scribes», du fait qu’il leur est interdit d’introduire un téléphone, un ordinateur ou tout autre appareil.
Plusieurs chercheurs et historiens ont adressé une lettre au président de la République pour réclamer l’ouverture des fonds d’archives et mettre fin à une situation qu’ils jugent «ubuesque», selon les mots de l’initiateur de la lettre, l’éminent historien Mohamed El Korso.
«Malgré nos nombreux appels et protestations à travers les médias nationaux, nous n’arrivons toujours pas à accéder aux fonds d’archives, pourtant légalement communicables, particulièrement ceux portant sur le mouvement national et la Révolution algérienne», écrivent-ils, en réclamant l’application de la loi régissant les Archives nationales, à savoir la loi 88-09 du 26 janvier 1988, «sans qu’interfèrent des interprétations personnelles qui vont à l’encontre de l’esprit même des archives qui sont un patrimoine de la nation, de mettre fin à toutes les entraves bureaucratiques qui viennent à bout des chercheurs les plus opiniâtres».
Ils revendiquent le droit d’accéder au contenu des dossiers communicables en lieu et place des feuillets communiqués un à un aux chercheurs ainsi que «le droit de reproduire les fonds communicables sous quelque forme que ce soit, comme cela a cours dans les différents centres d’archives à travers le monde».
Mohamed El Korso affirme, à ce propos, que les historiens algériens en sont réduits à faire les «scribes», du fait qu’il leur est interdit d’introduire un téléphone, un ordinateur ou tout autre appareil. «Nous sommes contraints de prendre des notes au stylo, exactement comme nous le faisions à Aix-en-Provence dans les années 1978 et 1979», commente El Korso.
Pour lui, «il est inconcevable de demander l’ouverture des archives en France, et de ne pouvoir les consulter convenablement en Algérie». «Il y a pourtant, dit-il, une loi qui réglemente la communication d’archives en Algérie.» «La direction des Archives nationales s’abrite derrière la protection des secrets de l’Etat. De quels secrets de l’Etat s’agit-il, sachant que les faits remontent à plus de 60 ans ? Il y a là des documents qui se rapportent à notre histoire, au GPRA, à la Fédération de France, etc.», soutient-il, en évoquant la récente déclassification de quelques archives liées à la Guerre de Libération nationale décidée par le président français.
El Korso se dit doublement gêné du fait qu’il fait partie du Conseil scientifique. «En tant que membre, je peux affirmer que je n’ai été convoqué à aucune réunion», glisse-t-il néanmoins. Les chercheurs, qui se disent aujourd’hui «privés de leurs archives», craignent de se voir distanciés par leurs homologues français dans l’écriture de leur propre histoire.
«Nous serons contraints à réécrire ce que les historiens français auront découvert bien avant nous, car ils auront eu la primeur des documents, regrette El Korso. Nous serons ainsi mis, de fait, dans une situation de ‘‘suivistes’’.»
L’application de la loi 88-09 du 26 janvier 1988 permettrait, selon les signataires de la lettre, de rendre le Centre national des archives et les services d’archives de wilaya, attractifs aussi bien pour les chercheurs nationaux qu’étrangers, de domicilier la recherche historique en Algérie et non pas à l’étranger, de hisser la recherche et les études historiques ainsi que dans les domaines des sciences humaines et sociales à un rang académique mondial.
Amar Mohand-Amer, chercheur au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc), également signataire de la lettre, considère que ce n’est pas seulement un «blocage» auquel les consultants des archives font face, mais un «scandale».
«Les Archives nationales, dit-il, sont un service public, mais les pratiques qui y sont exercées ont fini par transformer cette institution en forteresse. Avant de demander aux Français de restituer les archives, il est essentiel de réparer ce déni.»
Plus que cela, Amar Mohand-Amer dénonce une «atteinte à l’image de l’Algérie». «A l’indépendance, raconte-t-il, nous étions parmi les pays les plus en avance en matière de gestion des archives. Puis, les choses se sont dégradées, mais cette dernière décennie a été particulièrement catastrophique.»
Parmi les signataires de la lettre, figurent également Daho Djerbal, directeur de la revue Naqd, ainsi que les professeurs d’histoire Ahmed Charafeddine, Ali Tablit, Mustapha Nouisser, Allal Bitour, Affaf Zekkour et Lazhar Bedida. Ils soulignent que leur démarche s’inscrit au cœur même de la «Journée nationale de la mémoire».
Ils comptent sur le fait que le président Tebboune porte un intérêt particulier à l’Histoire nationale et plus particulièrement à l’histoire du mouvement national et la Révolution algérienne de façon particulière – dont la création de la chaîne d’histoire (Edhakira) et la nomination d’un Conseiller chargé des Archives et de la mémoire nationale sont quelques-uns des témoignages – pour trouver une oreille attentive à leurs doléances.
Directement visé par la lettre en question, le directeur des Archives nationales, Abdelmadjid Chikhi, contacté par El Watan, dit ne pas avoir pris connaissance de la lettre, se refusant ainsi de la commenter.
Amel Blidi, El Watan 25 mars 2021
Marc