Mabrouk Rachedi dès l’abord prend en main chaleureusement notre cercle de Coup de soleil. Il nous en dira le moins possible sur son nouveau roman Tous les hommes sont des causes perdues. On comprend que le thème principal est celui de l’importance des malentendus, des hasards, des événements fortuits, dans les rencontres amoureuses. Il joue avec des personnages dont les racines sont certes dans « les banlieues » et, au delà, quelque part au Maghreb, mais là n’est pas l’essentiel. Contrairement à ses romans antérieurs, il n’utilise plus la langue des banlieues, puisqu’Adam et Sofia, le couple dont nous suivons l’histoire habite en plein cœur de Paris.

 

au restaurant, Mabrouk, Sofia et les autres après la réunion

au restaurant, Mabrouk, Sofia et les autres après la réunion

Mabrouk nous en dit plus sur sa trajectoire personnelle. Son père, d’une famille de Petite Kabylie en Algérie, est arrivé seul pour travailler comme manœuvre dans la région parisienne dès le début des années 1950, rejoint seulement une dizaine d’années plus tard par sa mère. L’un et l’autre sont illettrés et le couple parlait entre soi un mélange de kabyle (tamazight), d’arabe et de français. Mabrouk est l’avant dernier de 11 enfants. Elevés en France, tous « poussés » vigoureusement par les parents pour réussir à l’école… et dix passent le bac, vont parfois beaucoup plus loin (un frère avocat, une sœur médecin, lui-même spécialiste d’analyse financière). Plutôt que de rester dans ce milieu, où il gagne fort bien sa vie, vers 30 ans il se lance dans l’écriture, découvre les arcanes de l’édition. Il a compris que la question n’est pas de « devenir écrivain » mais d’avoir envie d’écrire un livre, d’aboutir, de continuer…[1]

 L’autre face de son métier d’écrivain est d’animer des ateliers d’écriture, souvent en milieu scolaire défavorisé, mais aussi pour des cercles de lecture chez des adultes. Il nous dit à quel point il importe de convaincre ceux qu’il rencontre là qu’ils « valent » quelque chose, qu’ils peuvent y arriver. Pour la plupart la liberté d’écrire qu’il leur donne est inquiétante : pour contourner ce risque il doit imposer des règles, le plus souvent sous forme de jeu : chaque joueur, à partir de la même anecdote, la racontera sous un angle différent.

Le lendemain de notre réunion, Mabrouk « est intervenu au collège Vauquelin de Toulouse dans le cadre de la semaine de la presse. Un établissement du quartier du Mirail marqué par la vidéo d’un adolescent qui a exécuté un homme la semaine dernière en Syrie : c’était un élève du collège. Les personnels scolaires du collège lui ont expliqué les méthodes de BFM TV qui, le lendemain, filmait sans accord et s’engouffrait par toutes les portes sans autorisation. De cette intervention qui met l’accent sur l’engagement citoyen et la lutte pour les libertés, Mabrouk retiendra la question répétée plusieurs fois par Elias, un élève de 3ème après son laïus sur la nécessaire valorisation de soi : Monsieur, vous croyez en moi ? Non mais sérieux, vous croyez vraiment en moi ?

Oui, je crois en eux, répond Mabrouk. » (extrait du message posté sur Facebook).

 Mabrouk nous parle dans un français précis (s’il n’était pas « de famille algérienne, l’aurait-on souligné ? Pas sûr : en tout cas il tient évidemment à cette rigueur). Il aime jouer avec la langue et ne cesse d’en plaisanter pour souligner chaque lapsus… chez lui et chez nous, ses interlocuteurs.

Le lieu de notre rencontre est favorable : l’Espace de la diversité et de la laïcité, 38 Rue D’Aubuisson à Toulouse, où se tient une exposition « L’IMMIGRATION ARABE EN FRANCE« , du 21 mars au 4 avril 2015, réalisée par l’Institut du Monde Arabe (Paris). En attendant le début de notre réunion, chacun va jeter un coup d’œil : on peut devant ces panneaux se souvenir de ce que l’immigration algérienne en France commence il y a un siècle, avec la première guerre mondiale. Se souvenir aussi que depuis les années 1960 la majorité de la « communauté » juive de France est composée de sépharades d’Afrique du Nord (après Paris, Toulouse accueille le groupe le plus nombreux). Jusqu’au début du Xxe siècle ces sépharades parlaient la même langue arabe que les musulmans nord africains. L’exposition nous apprend que les deux groupes les plus nombreux de « nationaux » étrangers vivant en France sont actuellement les Portugais et les Marocains : ces derniers particulièrement nombreux à Toulouse…

Ce texte est depuis le  8 avril 2015 sur le site de Coup de soleil Midi Pyrénées, mais je l’accueille encore quelque temps, par plaisir…

 

[1] Mabrouk Rachedi a publié sous forme d’une nouvelle, « Tahar », une courte histoire de sa famille (p. 225- 234) dans le livre collectif Algéries 50, sous la direction de Yahia Belaskri et Elisabeth Lesne, Ed. Magellan & Cie/ Cité nationale de l’histoire de l’immigration, Paris, 2012, 287 p.

(Marc)