Une exposition au Centre culturel algérien à Paris :
Témoignages autour de « La Question » d’Henri Alleg.
Cette exposition, qui a été préparée minutieusement depuis plusieurs mois par l’Association « Art et mémoire au Maghreb », se trouve coïncider avec la reconnaissance officielle par l’Etat français du rôle qu’il a joué dans l’assassinat de Maurice Audin (le 21 juin 1957). Il aura donc fallu attendre 60 ans pour qu’on puisse parler ouvertement de ce qui s’est passé de moins glorieux de la part de la France et de son armée pendant la Guerre d’Algérie. Comme en 60 ans, un bon nombre de ceux qui ont eu connaissance des faits à cette époque ont maintenant disparu, il est urgent de recueillir des témoignages irremplaçables, et c’est justement ce que fait cette exposition. Et comme par ailleurs elle ne dure que jusqu’au 10 novembre 2018, il nous a paru nécessaire d’attirer l’attention sur son très précieux apport.
On sait que dans La Question, Henri Alleg raconte comment il a été arrêté, immédiatement après Maurice Audin, et torturé par l’armée française. Ce qui ne l’a pas empêché de publier dans des conditions très difficiles voire rocambolesques ce livre qui a été immédiatement censuré. Censuré mais pourtant lu, il a provoqué un effet considérable, sur le moment même et encore longtemps après ; d’où cette exposition dont les buts sont ainsi très clairement exprimés par sa commissaire Anissa Bouayed:
« Cette exposition veut rendre hommage aux anticolonialistes, hommes et femmes, qui comme Henri Alleg et Maurice Audin, se sont battus pour l’Indépendance de l’Algérie. Depuis cette période de guerre jusqu’à nos jours, des intellectuels et des artistes lucides et vigilants ont témoigné contre les désastres que porte en elle la guerre coloniale. Dans l’exposition, textes et œuvres de l’époque dialogueront avec des créations plus récentes qui depuis font inlassablement retour sur cette part obscure et occultée de l’Histoire. Ces éclats de conscience nous interpellent comme autant de jalons suppléant le déni ou l’oubli et exigeant une mise à jour critique et partagée. »
Une des caractéristiques intéressantes de cette exposition, du fait qu’elle est organisée comme on l’a dit par l’association « Art et mémoire au Maghreb », est qu’elle fait une large place aux œuvres des artistes qui se sont associés à la dénonciation initiée par le livre d’Henri Alleg. On retrouve un certain nombre de celles qu’avait rendues visibles une grande et belle exposition au Musée d’art moderne d’Alger, d’avril à juillet 2008 : Les artistes internationaux et la révolution algérienne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’exposition actuelle du Centre culturel algérien n’est pas transportable, vu sa grande richesse en œuvres originales. Les moments où les artistes et les écrivains se sont ainsi trouvés unis dans une même inspiration méritent d’être soulignés, comme le fait ici encore Anissa Bouayed dans l’un de ses textes de présentation :
« Les œuvres picturales montrent bien dans leur chronologie et leurs sujets, ce que les artistes ont puisé dans les textes qui dénonçaient les désastres de la guerre coloniale, comme « La question » d’Henri Alleg ou » L’affaire Audin » de Pierre Vidal-Naquet. Cette présence des textes, même invisible, sous-tend la création et constitue une sorte d’infra texte qui court d’une œuvre à l’autre, ce que l’exposition met justement en valeur. »
Il est d’ailleurs très impressionnant de voir que cette source d’inspiration se retrouve encore chez de jeunes artistes contemporains, que l’exposition a le mérite de présenter. D’ailleurs, deux des œuvres qu’on peut y voir ont été créées spécialement pour l’exposition, celle de Mustapha Sedjal, (né en 1964) qui entre autres formes d’hommage, a peint à l’aquarelle un écrit graphique dans les pages de La Question, et celle de Kamel Yahiaoui, enfant de la casbah (né en 1966) qui a beaucoup entendu de récits autour de la guillotine et s’en est inspiré.
Loin de nous enfermer dans un moment d’histoire, cette exposition montre au contraire des ouvertures et des circulations, à partir des faits et au-delà de ce qu’ils ont été (à condition évidemment qu’ils ne soient pas oubliés).
Denise Brahimi
(article repris du N° 27 (novembre 2018) de la lettre mensuelle de la section Auvergne- Rhône- Alpes de Coup de Soleil)