La vérité sort de la bouche du cheval, Meryem Alaoui, Ed. Gallimard
Un texte conséquent de 260 pages. Un récit à la première personne, une sorte de journal daté qui s’étale, avec des ruptures dans le temps, de juin à octobre 2010, de janvier à mai 2011, d’avril à mai 2013 jusqu’à l’épilogue en 2018. Huit ans donc de la vie d’une femme forte, en deux temps : la galère puis la gloire…
La narratrice vient de Berrechid, un bourg situé à quelques kilomètres au sud de Casablanca. Après un mariage raté avec un garçon de son village, paresseux, violent et profiteur, dont elle a une fille, elle devient prostituée à Casa. Et c’est cette vie et la vie de son quartier qu’elle décrit, elle se raconte, nous raconte, elle apostrophe le lecteur, le prend à témoin, car cette Jmiaa est une grande gueule et elle a des idées, des idées sur tout et sur tous : Chaîba, son amoureux, Samira, sa meilleure amie, sa mère, Halima et beaucoup d’autres… qu’elle nous livre avec un langage cash, un franc-parler sans concessions. Un coup de projecteur donc sur une micro société aux diverses ramifications, avec ses codes et ses règles ; misère, sexe, alcool, drogue, petits trafics sont les lots quotidiens des protagonistes. Ce monde qui pourrait être sordide et désespérant devient à travers sa bouche de Jmiaa, un lieu de vie foisonnant, sensuel et haut en couleurs. On partage, on adhère, on comprend, et c’est tout l’art de la narratrice et de son style que de rendre palpable ce milieu, où la survie repose sur la rage de vivre, la débrouille toujours et l’entraide, parfois.
Jmiaa rencontre Chadlia, une jeune réalisatrice, (qu’elle surnomme « Bouche de cheval ») qui va l’embaucher pour l’aider à crédibiliser son scénario et même lui donner le premier rôle dans son film. « C’est comme ça la vie, tu ne sais pas pourquoi les choses arrivent, mais elles arrivent. » Jamiaa la prostituée devient une vedette. On dépasse vite la réticence à admettre un tel retournement de situation parce que Jmiaa reste le fil conducteur et qu’elle raconte sa nouvelle vie avec sa verve habituelle, ses jugements à l’emporte pièce, son bon sens, elle a gardé sa curiosité, son appétit de vivre, son énergie. Confrontée à ce monde inconnu, Jamiaa n’a pas perdu son esprit critique, elle manie la dérision et nous livre ses analyses souvent drôles et pertinentes. Tout le monde en prend pour son grade… « Trop d’organisation rend con. »
Un plaidoyer donc pour la vie, la vie à prendre à bras le corps. On peut saluer le courage de l’auteur qui s’est mise en danger en abordant un sujet difficile, dans un contexte politique et social hasardeux.
Une réussite que ce premier roman, un beau texte donc, attractif, cohérent de bout en bout, le rythme est tenu, l’attention soutenue.
Marie-France de Mirbeck