Éditorial

Editorial
4 romans, 3 notes, 2 essais et 1 film , voilà le riche programme que nous vous proposons pour ce mois-ci .
–L’avantage des romans c’est que l’extrême liberté de ce genre permet à chacun(e) d’y présenter à sa guise son obsession principale, de l’exhiber,  de la mettre en forme et peut-être de s’en libérer.Il est parfois facile d’identifier l’auteur et son personnage principal, on peut penser que tel est le cas pour “La décoloniale” de Maleyka Fredj. De manière plus sociologique, parlant de lui-même mais aussi de nombreux compagnons (tunisiens)  qui ont connu Paris de la même manière que lui, Saber Mansouri fait dans “Paris est une dette” le portrait ces étudiants-gardiens de nuit qui sont si l’on peut dire une spécialité parisienne (ou qui l’ont été). Lamine Benallou Oranais qui enseigne les littératures latino-américaines, prend appui  sur ce domaine qu’il connaît bien pour parler, dans “Les vies (multiples) d’Adam” de son propre rapport à la littérature et à l’écriture. Et dans Les gens du peuplier”, Arezki Metref raconte  de manière souvent ludique et avec une grande liberté d’allure une vie qui sans doute ressemble souvent à la sienne.

–Le travail inlassable des équipes de chercheurs et chercheuses universitaires apparaît dans cette Lettre à propos de migrations qui avant de viser l’Europe conduisent souvent les migrants de l’un à l’autre des pays africains ;  dans “Routes africaines de la migration”, c’est  de l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb qu’il est question.
On peut considérer comme un autre essai le livre que recense Mohammed Yefsah, à propos de l’ entretien entre le journaliste Mustapha Aït Mouhoub et celui qui fut l’un des  premiers pilotes de chasse algérien, Mohamed-Tahar Bouzeghoub ; dans leur livre sous le titre “Des sentiers aux cieux de la liberté”, le journaliste a recueilli les mémoires d’un homme au parcours hors du commun.

–Les notes de ce mois-ci sont d’une grande diversité, elles sont le signe du rapport très fréquent entre nos lectures actuelles et le Maghreb passé ou présent, côté nature (les singes magots) ou côté culture (histoire, ethnographie) aussi bien.
Il faut saluer l’excellente initiative de Yamna Sahli, bien connue à Coup de soleil RA, qui a souhaité soutenir en nous en parlant le film “Amal, un esprit libre” de Jawad Rahlib où sont  dénoncés les méfaits de l’intolérance islamiste  dans l’enseignement public belge.
Et vous trouverez comme d’habitude à la fin de cette Lettre l’article BD dont nous gratifie Michel Wilson ! Il concerne l ‘album “Rwama Tome 1 Mon enfance en Algérie” de Salim Zerrouki.
Denise Brahimi

 

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« Et de nous qui se souviendra ? », créé et produit par Nicole Guidicelli, auteure indépendante, est un podcast qui donne la parole aux derniers pieds-noirs. Il est en ligne sur toutes les plateformes d’écoute et de téléchargement (Google Podcast, Apple Podcast, Spotify, Deezer…). 

Hommage à une communauté en voie de disparition, il a pour objectif d’aider les pieds-noirs à transmettre. Il s’adresse à leurs descendants, aux enseignants qui souhaitent parler de la guerre d’Algérie, et plus largement à tous ceux qui s’intéressent aux exils et à la résilience. Il interroge l’exil comme acte fondateur ainsi que les questions d’identité, d’invisibilité et d’intégration. Il pose également la question de la transmission et de la mémoire des pieds-noirs.

Le projet a démarré en janvier 2022, année de commémoration du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie.

Pour écouter les épisodes déjà parus : https://podcast.ausha.co/et-de-nous-qui-se-souviendra

 

“LA DECOLONIALE” par Maleyka Fredj, éditions Altava 2024
Ce livre n’est pas donné comme appartenant à la catégorie « roman », alors que c’est en général la solution adoptée pour tout espèce de récit dont on ne sait au juste quel genre lui assigner ni quelles y sont les parts respectives de la fiction et du document. Il en est ainsi pour ce livre, le premier de son auteure qui pourtant a dépassé maintenant la soixantaine. On se rend bien compte à le lire qu’il comporte une part importante d’autobiographie, mais elle porte plus un ensemble de réflexions que sur des faits. Les éléments de récit y sont donnés à la première personne, mais la narratrice ne développe guère les éléments factuels de sa propre vie. Fille d’un militaire rattaché à l’armée française mais non harki (elle s’en défend avec véhémence) elle est née en France et c’est là qu’elle a vécu en tant que Française, mais tout le problème vient de ce qu’elle n’arrive pas à s’en satisfaire ni même à s’en accommoder tout simplement.
Raphaël Confiant (né en Martinique, universitaire dans son pays et écrivain français), dans la courte préface qu’il a donnée à ce livre, a raison de dire que le terme d’identité est aujourd’hui complétement galvaudé. Cependant il serait trop facile de considérer que les gens qui ont un problème de cet ordre peuvent se contenter de l’ignorer. Maleyka Fredj donne la preuve que malgré les efforts d’une vie ou presque, il se peut qu’on ne parvienne pas à s’en débarrasser. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de prendre des décisions raisonnables, par exemple celle de rester en France lorsqu’on y a acquis une position sociale plus que satisfaisante, à la fois preuve de compétence et assurance de succès financier. N’importe si cette description correspond pleinement à l’auteure elle-même ou plutôt à sa narratrice, la contradiction apparente est la même : pour employer une expression commune et familière, il s’agit d’une personne qui a « tout pour être heureuse » mais qui continue à s’interroger sur le lieu d’ancrage qu’elle doit donner à sa vie. Ce qu’elle fait avec angoisse et véhémence, en se battant sans doute autant contre elle-même que contre son entourage et ses proches. Là est la raison d’être de « La décoloniale » et de ce mot inventé comme certains autres de ceux qu’elle emploie, tels que « Les désenfantés ».
Maleyka Fredj n’aurait sans doute pas écrit si elle avait pu faire autrement, en s’épargnant le combat dont il est principalement question dans la cinquième et dernière partie de son livre, où l’on a l’impression d’assister presque physiquement, en tout cas mentalement et moralement, aux débats qu’elle affronte, pour savoir si oui ou non elle doit quitter la France et aller s’installer en Algérie. A l’époque romantique on aurait parlé d’une tempête sous un crâne (l’expression est de Victor Hugo) !
Dans « La décoloniale » et en partie grâce à ce titre, on comprend que ces tourments sont datés historiquement, et propres aux gens qu’on désigne comme la deuxième génération. Leurs parents, ceux de la première génération, ont eu une attitude tout à fait différente, et leur seul but était de s’intégrer au moins en apparence (mais ce n’était pas la question) à tout ce qu’impliquaient leur appartenance ou plutôt leur désir d’appartenance à la nationalité française. Ceux et celles de la deuxième génération se montrent souvent révoltés par le prix à payer pour cette intégration et notamment par tous les renoncements qu’ils ont acceptés à la suite de leurs parents. La résignation de ceux-ci, généralement morts aujourd’hui, reste pour eux une sorte de contre-exemple qu’ils vivent continûment comme une douleur, et peut-être comme un remords. La décoloniale est aussi le nom qu’on pourrait donner à la période très actuelle que hantent de tels sentiments.
Denise Brahimi

 

“PARIS EST UNE DETTE” par Saber Mansouri, roman, éditions Elyzad, 2024

On voit bien que ce titre est légèrement parodique , il imite mais en lui donnant un sens tout différent celui que l’Américain Hemingway a donné en son temps à l’hommage qu’il rend au Paris où il a vécu après la Première guerre mondiale. Ici ce n’est pas un Américain qui parle mais un Tunisien, qui s’exprime au nom de ses semblables, Maghrébins en général, qui pendant quelques années du moins partagent le même sort.
Ce sont des jeunes hommes qui n’ont guère plus d’une vingtaine d’années et qui viennent à Paris en tant qu’étudiants avancés, où ils sont parfois appelés en tout cas cautionnés par d’éminents professeurs de l’Université française. Las, le chemin qu’ils parcourent—et il semble qu’il n’y en ait guère d’autre possible dans leur cas—suit une courbe descendante qui est un renoncement à leurs belles espérances. Au lieu de devenir de brillants chercheurs, ou à leur tour de brillants universitaires et écrivains, ils ne continuent leurs études que de manière très aléatoire et ont cessé de rêver qu’elles les conduiraient au succès. Prioritairement il leur faut gagner leur vie, si réduite soit-elle matériellement, ce que beaucoup d’entre eux font en étant gardiens de nuit dans des hôtels modestes, dont il existe une liste qu’ils peuvent consulter, sachant qu’ils auront quelques obligations à respecter, du temps libre pendant la journée et une absence criante de perspectives d’avenir au-delà de leur survie au quotidien.
Le jeune Tunisien qui est le narrateur de ce livre suit ce chemin, que les plus lucides de ses semblables lui avaient d’ailleurs prédit, et l’on peut à peine dire que « Paris est une dette » en constitue le récit. Sans doute n’y a-t-il pas matière, pour le narrateur qu’il est, à raconter de manière suivie des faits constituant une histoire digne d’intérêt. Et pourtant il réussit à réunir une collection d’épisodes tirés de sa vie au quotidien —mais plus encore, et c’est là le fait remarquable, à en parler sur un certain ton qui fait toute la qualité de son livre.
Ce ton est d’ailleurs difficile à définir, car il est un mélange aboutissant à une création personnelle. On y reconnaît certes de l’ironie et de l’humour avec la connotation particulière que leur donnent le désenchantement, un certain dégoût de soi et une très grande nostalgie du pays d’origine, dont les souvenirs leur reviennent en contrepoint de ce qu’ils vivent à Paris, sans que le retour chez eux apparaisse vraiment comme une option. Plutôt qu’à un seul mot en français, ce ton correspond davantage à ce que les Anglais appellent ‘tongue in cheek’ (littéralement la langue dans la joue) pour désigner un mélange difficile à analyser de plaisanterie et de sérieux : pince-sans rire en serait peut-être la traduction.
Parmi les passages du livre qui pourraient illustrer cette tentative de définition, il y en a un, bien développé, que l’auteur consacre au sac à main de la Parisienne, s’interrogeant gravement et interrogeant même les autres sur son contenu, au risque de donner à croire qu’il a de mauvaises intentions. Saber Mansouri invente là une sorte de sociologie romanesque amusante, satire qui sans doute n’est pas très méchante mais pas très indulgente non plus : l’esprit d’observation de l’étranger jadis désigné dédaigneusement comme métèque est aussi un esprit de revanche, qui ne peut guère se satisfaire que par les mots.
Il est vrai que le livre de Saber Mansouri relève de cet état d’esprit, cependant il n’est pas un pamphlet (dont il n’a pas le ton), pas totalement dénonciateur non plus, du fait que le narrateur finit par rencontrer autour de lui des gens qui deviennent des amis, et qui vont l’aider à trouver sa place sans amertume ni rancœur : il semble du moins qu’il parvienne finalement à dépasser ces sentiments, qu’il a d’abord éprouvés. Pour ce qui est de l’auteur lui-même, sa connaissance de l’antiquité grecque, et notamment du rôle que jouaient les métèques dans la démocratie athénienne, l’a sans doute aidé dans sa réflexion. Et d’une manière plus générale (selon de très nombreux témoignages) il est certain que l’écriture de livres est un moyen, le plus sûr peut-être, d’échapper à la détresse et au nihilisme.
Denise Brahimi

“LES VIES (MULTIPLES) D’ADAM” par Lamine Benallou, roman, éditions Altava 2023
L’auteur de ce livre est un écrivain d’origine oranaise, et pourtant on n’y reconnaît pas ce à quoi nous ont habitués les auteurs francophones algériens en matière de fiction. Il est vrai que Lamine Benallou est aussi enseignant, principalement dans le domaine espagnol et hispano-musulman. Le présent roman est certainement très inspiré de la littérature latino-américaine à laquelle il fait d’abondantes références, citant par exemple « Cent ans de solitude » qui a valu au Colombien Garcia Marquez le Prix Nobel en 1982 et qui passe pour l’exemple de ce qu’on appelle le réalisme magique. Mais il n’est pas le seul écrivain convoqué et l’on trouve aussi, entre autres, dans le roman de Lamine Benallou la présence du Cubain et Français Alejo Carpentier, auteur de nombreux romans dont le « Siècle des Lumières » (1962).
A côté de cette source importante qu’est le roman latino-américain, le mysticisme arabe est aussi une référence dont s’inspire le livre. Celui-ci en effet est imprégné par le sentiment que la rationalité est un accès insuffisant à toutes les émotions et à toutes les intuitions que contient l’expérience du monde pour l’homme (Adam, évidemment !) auquel les circonstances permettent d’entrer dans une multiplicité de vies : c’est d’elle que naît pour le personnage et pour le lecteur le sentiment du fantastique.
Lamine Benallou joue habilement sur une double impression d’où découle finalement la pensée intime au cœur de son roman. Il y met en jeu à la fois l’imaginaire et sa réfutation, sans qu’aucun des deux ne nuise à l’autre et ne l’emporte dans la construction du livre. A la mort de sa femme, Adam entre sans crier gare dans une étrange aventure et le moins qu’on puisse dire est que le romancier ne nous y avait pas préparés : au lieu d’enterrer la défunte, il la met en réserve dans son frigo, et c’est pendant les quarante jours de deuil obligatoire (pas un de plus, pas un de moins) que va se passer toute l’histoire qui suit !
Adam rencontre un personnage mystérieux et étonnant qui l’invite à venir s’installer chez lui—superbe maison et encore plus superbe bibliothèque—pour s’y adonner à la passion de l’écriture qui sommeillait en lui. Cette vocation qu’il ne soupçonnait pas l’emporte et le bouleverse mais il ne parvient pas à mettre sur le compte de son imaginaire en émoi tout un ensemble de faits troublants et mystérieux qui se produisent dans le même temps. Il les attribue au caractère étrange de son hôte, protecteur et mécène, bien que celui-ci lui affirme qu’il n’y a rien de fantastique en tout cela. Adam se fâche, veut partir, mais le goût de l’écriture le retient. Son hôte, Don Pablo, est un vieil homme très fatigué qui s’achemine vers sa mort prochaine et la sait imminente, ce qui l’incite à faire d’Adam, à tous égards, son héritier.
Pour celui-ci les quarante jours du deuil tirent à leur fin, mais il ne sait pas encore comment il veut terminer ou poursuivre son étrange aventure et laisse aussi les lecteurs que nous sommes en suspens. L’idée pourrait être que nous nous sommes laissés emporter, lui et nous, par l’écriture du roman et que là réside le fantastique, c’est-à-dire ce qui nous arrache à la réalité. D’où l’importance de ce qui nous est décrit, au début du livre, de la vie paisible que mènent alors Adam et sa femme : on peut aller jusqu’à dire que, dès son entrée dans l’aventure, Adam l’a pratiquement oubliée. Cependant on voit bien ensuite qu’il lui est difficile, voire insupportable de renoncer à toute rationalité —même s’il ne s’agit que de son sentiment subjectif, ce qu’on peut dire du fantastique également. Celui-ci est un choix, une interprétation du monde, il fait un peu ou beaucoup peur, mais c’est à ce prix que l’on peut accéder aux autres vies, ces vies multiples au seuil desquelles se trouve désormais Adam.
L’assimilation du fantastique et de la littérature se fait pour Adam et sans doute aussi pour Lamine Benallou en référence à celui qui apparaît comme un maître en la matière, l’Argentin José Luis Borges par lequel on voit bien que notre hispaniste oranais est subjugué. La connaissance de cet écrivain extraordinairement fertile a commencé pour beaucoup de francophones par la traduction de son recueil de nouvelles , « Fictions » en 1951 mais ce qui apparaît le plus visiblement dans le roman de Lamine Benallou est la référence au Labyrinthe, qui pour Borges signifie l’insuffisance de toute rationalité univoque et l’inévitable égarement des humains en ce monde. Le labyrinthe est évidemment une métaphore mais il appartient aux romanciers de lui donner une réalité concrète et tangible, sans qu’il cesse pour autant d’être angoissant.
Si l’idée de magie devait nous conduire à celle d’un philtre, ce serait chez Lamine Benallou la boisson récurrente dont il ponctue son récit, et qui est le café—breuvage susceptible de susciter une passion qui ici serait non celle de l’amour (pudeur maghrébine oblige) mais plutôt celle de l’écriture, au sens le plus fort de ce qu’elle implique comme engagement. On voit par là que si magie il y a, elle est aussi réaliste et liée au quotidien. Bonne occasion de souligner que ce livre, malgré l’abondance des sources qui vient d’être soulignée, n’en est pas moins un récit d’une totale et agréable lisibilité.
Denise Brahimi

“LES GENS DU PEUPLIER” par Arezki Metref, roman, Casbah éditions, Alger 2023

Arezki Metref a déjà beaucoup écrit, dans des genres variés, mais il semble y prendre toujours autant de plaisir et ce plaisir est communicatif. On s’amuse beaucoup pendant toute une première partie du livre, qui est de loin la plus développée, et l’on est charmé d’une autre manière par la suite et fin du livre, qui ne se donne d’ailleurs même pas la peine d’offrir pour finir un véritable dénouement. L’une des questions qu’on est amené à se poser concerne le lien entre les deux parties du livre, ce qui est une autre façon de se demander, selon une formule familière « où l’auteur veut en venir ». Et pour répondre à cette dernière question, la réponse pourrait bien être « nulle part », car la liberté de ton et d’allure de son roman est une sorte de démenti opposé à l’idée qu’un roman devrait suivre un schéma narratif conduisant un individu ou un groupe d’un commencement à une fin.

Ce n’est pas que l’auteur se refuse à toute chronologie, bien au contraire. En fait, celle qui correspond à son narrateur à la première personne correspond à peu près semble-t-il à la vie de l’auteur, si l’on s’en tient à quelques événements : naissance juste au début de la guerre d’Algérie, installation à Alger pendant ladite guerre, vers 1957-58, ce qui veut dire que la première partie du livre se passe autour de l’indépendance de l’Algérie, dans les années d’enfance qui la précèdent (OAS inclusivement) et dans les années qui la suivent de très près, alors qu’a pris le pouvoir celui que le livre désigne comme Col Mao, en qui il est très facile de reconnaître le président Ben Bella, ou son sosie puisque la grande fantaisie de l’auteur consiste à lui en prêter un. De toute façon, ce premier président de l’Algérie indépendante apparaît bien plus dans le livre pour son goût voire sa passion du football que pour sa politique —bien que ce domaine soit généralement présenté comme très important par les auteurs qui parlent de cette époque ; mais ce n’est pas le choix d’Arezki Metref , en tout cas pas pour ce qu’il transfère de lui-même sur son personnage et qu’il nous laisse le soin d’évaluer.

Ce qui est incontestablement le sujet de toute la première partie est la vie menée par un groupe d’enfants et de jeunes adolescents dans un quartier d’Alger, la cité du Peuplier. On peut sans doute épiloguer sur ce nom et dire qu’il n’est pas sans rapport avec le mot peuple, mais si peuple il y a, ce n’est pas au sens où cette cité serait un lieu des origines, encore moins des racines, la caractéristique commune de tous ceux qui s’y retrouvent, comme par hasard semble-t-il, étant de venir d’un peu partout, par l’effet d’un regroupement hétéroclite ou de migrations internes comme en a provoquées la guerre d’Algérie. En revanche, il y a bien un trait commun qui les unit et les définit, c’est le partage volontaire et délibéré d’une imagination sidérante, dont on comprend très vite qu’elle est ce qui les fait vivre, à dire vrai leur seule raison d’être avec le football (mais ce dernier fait partie de l’imaginaire autant que de la réalité quotidienne). Ce flot incessant de récits extravagants, prenant appui sur des noms connus par l’école ou la légende, fait apparaître quelques figures de remarquables jeunes conteurs, dont le souvenir très vif accompagnera le personnage principal pendant toute la suite. Le goût de la parole et de ce qu’on appelle plus pompeusement l’oralité apparaît comme consubstantiel à la vie qu’il leur est donné de vivre, et qui sans cela serait sans doute de plus maigrichonnes mais qui grâce à cela paraît comme d’une foisonnante richesse.

L’entrée dans l’âge adulte ou presque semble bien piètre par comparaison, et d’ailleurs l’auteur n’y insiste pas. Mais le récit trouve un souffle nouveau pour une dernière partie qui s’intitule « Maya » et qu’on pourrait désigner comme sa partie hollywoodienne puisqu’elle commence en effet à Los Angeles dans le milieu du cinéma, dont la jeune et exquise Maya est à l’époque une des plus brillantes étoiles. Le narrateur qu’on a connu dès l’enfance est amené par les circonstances imprévisibles de la vie et de ses aléas à séduire presque malgré lui la célébrissime Maya qui lui demande, par caprice ou par l’effet d’un désir plus profond, de lui faire visiter son pays l’Algérie. Le voyage qui s’ensuit passe par Paris, c’est-à-dire par le milieu populaire des bistrots que le narrateur a connus en son temps, mais il est évident que Maya n’est aucunement préparée à cette découverte, non plus qu’à celle de l’Algérie elle-même, le tout étant compliqué par le fait que vu sa célébrité elle doit impérativement voyager incognito. Le narrateur vit donc cet épisode de sa vie sur un mode contradictoire, c’est une chance totalement inespérée et à dire vrai inouïe mais c’est aussi une inquiétude qui le déstabilise, comme s’il n’était plus vraiment apte à s’accommoder d’un imaginaire qui ne correspond plus au moment où il en est désormais. La mort d’un des plus grands conteurs de son enfance, Baba Salem, est évidemment symbolique : le temps n’est plus où il pouvait faire une telle place au rêve et supporter d’en vivre l’incandescence. Oui, les temps ont changé et nous lecteurs sommes invités à le comprendre sans autre commentaire. Mais les temps ne sont pas seulement ceux d’une vie individuelle, ils sont aussi des moments de l’histoire collective, dans laquelle même un lointain sosie de Col Mao n’aurait plus sa place. Il était peut-être excessif de dire que la politique n’est pas le sujet de ce roman. Elle y est bien présente sous une forme indirecte voire cryptée.

Denise Brahimi

“ROUTES AFRICAINES DE LA MIGRATION” par Salim Chena, Aïssa Kadri (dir.), éditions du Croquant 2024
Il faut d’emblée préciser que le titre ici donné pour ce volume ne représente que la moitié de son contenu, et que l’autre moitié correspond à un sous-titre un peu plus savant : « Dynamiques sociales et politiques de la construction de l’espace africain ». Nous nous en sommes tenue pour évoquer ce livre à sa première partie dont le propos est désigné clairement : « Des migrations entre marginalisation et intégration ». Elle comporte une huitaine d’articles de type monographique, c’est-à-dire consacrés à un sujet bien délimité, strictement localisé et ne cherchant pas à dépasser des constats partiels ; ceux-ci ont du moins le mérite de la précision, reposant sur des observations que chaque auteur(e) a pu faire sur le vif, sans chercher d’emblée à en généraliser la portée.
Avant de donner quelques exemples de ce type d’études, il faut préciser le projet très souligné de l’ensemble qu’elles constituent et de l’entreprise menée par les maîtres d’œuvre du volume, au moins dans cette première partie : en finir avec l’idée simpliste et même tout à fait fausse que les migrations vont toutes dans le même sens et sont toutes de même nature : il s’agirait de migrations orientées du sud vers le nord, animées d’un mouvement irrépressible par des groupes humains qui contre toute raison veulent quitter leur pays pour s’établir dans un autre, en dépit même du rejet que celui-ci cherche à leur opposer. Or en dehors des chiffres précis, qui de toute manière sont irréfutables, on trouve dans la suite du livre cette affirmation significative : « Les migrations subsahariennes vers l’Europe sont minoritaires par rapport aux migrations intra-africaines ».
Il est d’autant plus important de lutter contre une vision unique et réductrice des migrations en cours actuellement que celle-ci crée des blocages et des situations sans issue. Et c’est particulièrement contre cette idée de blocage que nous oriente la lecture des articles ici réunis, car s’il est bien vrai qu’ils ne cachent rien des difficultés voire des hostilités auxquelles se heurtent la quasi-totalité des migrants dans les lieux où ils arrivent, il n’en apparaît pas moins que tous à leur manière et selon leurs compétences ou leurs acquis antérieurs font des efforts considérables pour trouver des moyens de s’adapter et de survivre là où ils sont venus. Ils inventent, c’est le trait le plus saillant de leurs comportements, et peut-être faudrait-il dès maintenant employer un « elles » féminin plutôt qu’un « ils » car ce n’est pas céder à l’air du temps que d’attribuer un bon nombre de ces efforts aux femmes migrantes : il s’agit la plupart du temps dans les articles ici réunis de femmes subsahariennes que leur migration a conduites, au moins dans un premier temps, jusqu’à des villes du Maghreb, notamment marocaines. On croit d’ailleurs comprendre que nombre d’entre elles, qui avaient prévu plus ou moins d’aller jusqu’en Europe (irrésistible attrait de ce supposé Eldorado !), s’arrêtent au Maghreb au moins provisoirement, pour peu qu’apparaisse une possibilité d’y travailler et d’y survivre. Les femmes venues ainsi de plusieurs pays d’Afrique, surtout occidentale, assument traditionnellement et de longue date des activités commerciales qui sont évidemment modestes, de très faible rapport mais qui n’en témoignent que davantage de leur ingéniosité. On mesure au passage le courage de ces femmes qui ont accepté de quitter leur pays et donc leurs enfants devant l’impossibilité évidente d’élever ces derniers en restant sur place.
Une autre raison pour laquelle la lecture de ces articles fait naître considération et admiration pour migrants et migrantes est que contrairement à une idée peut-être implicite mais très répandue, ils font preuve pour tenter de s’intégrer d’une remarquable discrétion. Et ce aussi bien dans leur recherche d’éventuels emplois que dans leur vie quotidienne comportant parfois de modestes plaisirs. Un article passionnant à cet égard (mais ce n’est pas le seul) nous fait connaître les « insertions urbaines des migrants camerounais dans la ville d’Oran (Algérie) ». Certaines formes de sociabilité s’y trouvent étudiées, l’une d’elles sans doute assez peu connue passe par l’existence des « maquis » ou « nganda », restaurants populaires qui servent de lieu de rencontres, d’échanges et de divertissement. Ces lieux sont gérés par des femmes, sans que pour autant la prostitution y soit répandue, mais on y vend de l’alcool, ce qui fait que les Algériens ne les fréquentent pas ostensiblement. Les relations entre Algériens et Camerounais sont réglées de manière subtile et efficace, les actes de violence sont rares et les migrants parviennent à garder une partie de leurs valeurs dans un environnement qui pourtant ne leur est guère favorable.
Il y a sans doute beaucoup à apprendre à partir d’exemples comme celui qui vient d’être évoqué. Ils nous incitent à une vision affinée de ce que sont les migrations africaines, multiples et complexes, en tout cas très différentes de ce que serait une binarité Nord-Sud ; mais celle-ci est très utilisée à des fins de propagande et imprégnée d’un racisme qui est malheureusement l’approche la plus fréquente dans tout discours sur les migrations.
Denise Brahimi

“DES SENTIERS AUX CIEUX DE LA LIBERTE” de Mohand Tahar Mouzeghoub, propos recueillis par Mustapha Aït Mouhoub. Editions Rafar 2024
Aux origines de l’armée de l’air algérienne
« Des sentiers aux cieux de la liberté » offre une plongée fascinante au cœur du parcours de vie du combattant et Lieutenant-Colonel Mohand- Tahar Bouzeghoub. Cette œuvre comble une lacune historique en nous éclairant sur la genèse et l’évolution de l’armée de l’air, composante vitale des forces militaires algériennes.
Né le 2 février 1937 à Ilmayene, village perché sur les hauteurs de la Kabylie, Bouzeghoub incarne dès son plus jeune âge la détermination d’un peuple en quête de liberté. Son parcours, jalonné d’épreuves et de sacrifices, trouve son élan dans son exclusion de l’examen du Certificat d’Études Primaires, premier acte d’une saga héroïque qui le conduira aux côtés des grands artisans de l’indépendance.
Après des années d’études à Tunis, où il s’imprègne des idéaux de la révolution en marche, Bouzeghoub rejoint les maquis de l’intérieur en avril 1956. Bravant les rigueurs du climat et les périls de la clandestinité, il raconte en détail son périple pour aller au cœur battant de la Révolution, les Aurès-Nememchas, dans la wilaya I.
Le récit de Bouzeghoub évoque les dissensions internes au sein de la Révolution, illustrées par les différends entre les responsables locaux et la direction nationale, notamment après la disparition tragique de Mostefa Ben Boulaïd en mars 1955. Il révèle les intrications de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, où les luttes de pouvoir, les rivalités et les tragédies humaines s’immiscent dans un tableau complexe, reflétant les enjeux cruciaux de l’époque. Ses rencontres avec les figures emblématiques de la lutte armée, telles qu’Abbès Laghrour et Adjal Adjoul, et sa collaboration étroite avec le colonel Amirouche avancent des éclairages inédits sur les coulisses de cette épopée révolutionnaire, où se mêlent bravoure et désarroi, espoir et désillusion.
Mais au-delà des conflits internes et des rivalités de pouvoir qui agitent les rangs de la Révolution, le récit du pilote de chasse Bouzeghoub apporte un précieux témoignage sur l’émergence de l’armée de l’air.
L’idée d’une force aérienne au service de la lutte pour l’indépendance prend racine au Congrès de la Soummam. À travers des programmes de formation orchestrés dans des pays solidaires de la cause algérienne (Chine, Égypte, Irak, Syrie, URSS), une poignée de jeunes est initiée à l’art du pilotage d’avions de chasse et de la maintenance des aéronefs. Les dirigeants du FLN mettent en place les structures essentielles de cette future force aérienne, conscients de son importance stratégique dans la lutte contre la domination coloniale. Des plans sont élaborés pour l’acquisition d’aéronefs, la construction de bases aériennes et la formation de pilotes et de personnels qualifiés, jetant ainsi les fondations de ce qui deviendra l’armée de l’air algérienne.
Cette institution se révèle être un maillon essentiel dans la défense ou la dissuasion de l’ennemi après l’indépendance du pays en juillet 1962.
Bien qu’encore embryonnaire, elle est déjà opérationnelle, prête à défendre les frontières du nouveau pays et à protéger sa souveraineté contre toute menace extérieure. D’ailleurs à peine un an après l’indépendance, l’Algérie est confrontée en octobre 1963 à une agression marocaine.
Sous la direction de Saïd Aït Messaoudène, ancien déserteur de l’Armée française formé en Chine, Bouzeghoub et ses camarades sont déployés aux frontières ouest du pays pour assurer la sécurité nationale. La flotte est composée principalement de MiG-15 offerts par l’Égypte. Cette agression démontre la vulnérabilité de la nouvelle nation face aux menaces externes et pousse la Direction de l’aviation militaire naissante à renforcer ses capacités de défense. C’est dans ce contexte que les pilotes formés par l’ALN se retrouvent pour la première fois en position de guerre et tentent de contrôler un territoire vaste et stratégique.
Au fil des années, Bouzeghoub est impliqué dans la construction et l’aménagement de bases, et a participé à des missions opérationnelles cruciales. Il a ainsi dirigé le premier escadron de MiG-17 envoyé au Caire pour remplacer la flotte égyptienne détruite par Israël lors d’une attaque surprise en juin 1967 (Guerre des Six Jours). En plus de la guerre d’octobre 1973 (Guerre du Kippour) contre Israël, il est envoyé en Libye et en Égypte pour des missions de sécurité visant à protéger les intérêts arabes menacés par l’entité sioniste. Il a également pris part à la Guerre d’usure en Syrie en 1974.
Les mémoires de Bouzeghoub proposent un panorama extraordinaire de l’histoire méconnue des forces aériennes algériennes, révélant les défis rencontrés face aux menaces extérieures et leur contribution à la sécurité régionale. Elles éclairent par ailleurs les luttes internes et les défis organisationnels auxquels l’ALN était confrontée, notamment la crise de la wilaya I. Les souvenirs de Bouzeghoub témoignent du courage et de la résilience du peuple algérien face à l’adversité.
Livre-témoignage d’une époque tourmentée et d’une lutte acharnée pour la liberté, « Des sentiers aux cieux de la liberté » est le cinquième ouvrage de Mustapha Aït Mouhoub. Scénariste, biographe, traducteur, consultant en géopolitique et journaliste chevronné, il s’est distingué pendant la sombre “décennie noire” en tant que grand reporter, enquêtant sur les violences et le mouvement islamiste armé. Pionnier dans le lancement de périodiques d’information, il a dirigé avec succès le service numérique de l’Agence Presse Algérie (APS), où il est actuellement responsable. Son intérêt pour l’histoire se reflète dans ses nombreux ouvrages sur des figures de la guerre de libération algérienne.
M. Y

“RWAMA  Tome 1 Mon enfance en Algérie” de Salim Zerrouki 2024 Editions Dargaud

Salim Zerrouki est un auteur-illustrateur algérien, installé en Tunisie. Caricaturiste (voir son blog Yahia Boulahia), il publie là sa troisième bande dessinée, après « 100 % Bled Comment se débarrasser de nous pour un monde meilleur ? », en 2018, et « Comment réussir sa migration clandestine » en 2021 que nous pensons commenter dans une Lettre prochaine. Ces titres font deviner l’humour caustique, limite trash parfois, qui est la marque de cet auteur.
Dans ce livre, annoncé comme le premier tome d’une autobiographie, l’auteur met son style au service d’une histoire personnelle, ici son enfance, qui est aussi l’histoire de l’Algérie de 1975 à 1992, découpée en 5 périodes. Si l’unité de temps est étalée sur une longue période, l’unité de lieu est respectée, la narration se passant dans le quartier de la « Cité olympique du 19 juin 1965 » construite à sa gloire par Boumediene pour accueillir les Jeux Méditerranéens de 1975. Ce complexe assez remarquable comprend l’ISTS, institut d’enseignement du sport, où travaille le père de l’auteur, ce qui leur vaut d’être logés dans l’immeuble surnommé Rwama (les Français), alors qu’y sont logé toutes sortes de nationalités amies, y compris les personnels d’entretien algériens de l’ISTS, mais pas de Français. Ce surnom provient d’un malentendu social, les habitants de la « cité CNS » voisine, d’habitat social construite par les français dans les années 50, regardant avec envie depuis la colline qui héberge ce grand ensemble, la relative prospérité de leurs voisins, ne pouvant logiquement bénéficier qu’à des rwamas… Une bonne partie du parcours de Salim consistera à déconstruire cet a priori…
L’auteur donne aussi la parole à l’immeuble, à l’architecture originale en arc de cercle sur des piliers, qui va peu à peu se dégrader au fil des aléas de la situation économique, politique et même tellurique de l’Algérie.
Les débuts dans ce bâtiment entouré d’un parc et d’équipements sportifs sont idylliques. Des couples mixtes franco-russes ou franco-allemands de l’est font profiter leurs voisins algériens de leur meilleur confort de vie. Un crocodile gonflable en plastique russe fait le bonheur de Salim et de son copain Lyes, algéro-allemand. Leurs équipements de sports sont de vrais ballons de football ou de vraies raquettes de tennis, qui détonnent face aux ballons de chiffons de leurs voisins pauvres et aux ersatz en plastique moulé que fabriquait l’Algérie à cette époque…
Tous ces détails de vie, vus à auteur d’enfant, sont énumérés avec une fausse naïveté par Zerrouki, en une charge d’humour noir et d’autodérision, bien algéroise… Citons la description du partage «en « trois huit » des appartements trop exigus, des stratégies pour éviter de ses faire attaquer par les « voyous » de la CNS sur le chemin de l’école (réciter une prière à haute voix en passant devant un « hittiste » menaçant…), le remplissage d’eau dans divers contenants par toutes sortes de zombis quand l’eau revient dans les canalisations au milieu de la nuit… Tour cela sent le vécu !
Puis vient la montée de l’islamisme qui prend des formes diverses, toujours vues à hauteur d’enfant, par exemple cette institutrice expliquant que le Prophète est mort le même jour que sa naissance, et qu’il leur fallait prier pour avoir le même privilège… Commentaire de l’auteur : « Aujourd’hui je me rends compte que c’était complètement perché de demander à des enfants de prier pour mourir le jour de leur anniversaire ! ».
On ne peut tout évoquer dans cet album très riche en anecdotes drôlatiques. Mais citons tout de même la manière dont l’auteur raconte les émeutes de 1988 : chaque fois que quelque chose de grave se passait dans le pays, l’unique chaîne de TV passait des documentaires animaliers, ce qui nous vaut de lire des détails sur ces événements sanglants sur un très beau fond nocturne de scènes de chasses animales dans une savane africaine, les massacres des fauves illustrant le récit des tueries humaines. De fil en aiguille, le récit prend une tournure dramatique, comme l’évocation des abus sexuels sur les plus jeunes, de la part de nouveaux venus, sous prétexte d’aller piéger des chardonnerets : de nouveau l’horreur et racontée en quelques mots sur des images de petits oiseaux se faisant capturer… Commentaire de l’auteur, en arabe et en français : « D’ailleurs on le dit, « celui qui a été abusé sexuellement pendant son enfance n’est pas homosexuel « Heureusement en Algérie, être homosexuel est pire que de se faire violer étant enfant ! ».
Petit à petit le sévère père de l’auteur le sépare de ses copains de l’immeuble, l’envoyant notamment dans le collège proche de la CNS et pas dans un collège plus huppé. Ce qui lui vaut un certain nombre de raclées de ses camarades, mais lui fait aussi découvrir l’humanité de ces voisins, qui cessent d’être ces « voyous » qui l’effraient, et qui découvrent qu’il n’est pas un roumi… Découvrir l’amitié de Salah, fréquenter un islam de menace et de terreur au sein de cercles de prière…
Leur immeuble subira quelques dégâts lors du séisme de 1989, qui ne furent jamais réparés. Mais le séisme génèrera aussi les prédictions apocalyptiques : « le soleil se lèvera à l’Ouest, Yajouj et Majouj viendront nous terrasser ». Ces croyances seront aussi stimulées par le nuage en forme de Allahou Akbar lors du meeting électoral du FIS en décembre 1991…
L’album se termine sur les menaces liées à la répression et au départ dans les maquis de certains des militants du FIS…
« C’étaient les prémices d’une guerre qui s’annonçait, et moi j’étais un gamin inconscient qui s’apprêtait à entrer au lycée »… Nous attendons avec impatience le tome 2 !
Mention particulière pour le dessin, très graphique et ligne claire, les couleurs soignées, un style BD pour jeunesse, bien en accord avec ce récit d’enfance.
Un bel album qui peut intéresser toute personne qui a l’Algérie au cœur…

Michel Wilson

 

Note sur Germaine Tillion.

“GERMAINE TILLION” biographie par Lorraine de Meaux, Perrin 2024
Malgré son entrée au Panthéon (mai 2015), unanimement appréciée semble-t-il, la figure de Germaine Tillion n’était pas encore aussi connue qu’on aurait pu le souhaiter jusqu’à ce mois de mai 2024, qui voit sortir sa biographie très approfondie. Il y a lieu d’en parler dans la Lettre de Coup de soleil, du fait que les liens de Germaine Tillion avec l’Algérie ont été nombreux et de plusieurs sortes, avant et après la guerre d’indépendance, en deçà et par delà la très sombre période que fut pour elle la seconde guerre mondiale et sa déportation à Ravensbrück.
Germaine Tillion, ayant choisi de devenir ethnologue, accomplit de nombreuses missions dans les Aurès entre 1934 et 1940 et y collecte tout un matériel très précieux, avec l’aide de son amie Thérèse Rivière : photographies, films et enregistrements des chants propres à étayer sa connaissance des Berbères chaouis. C’est l’invasion allemande de la France qui l’oblige à rentrer en France. Mais on peut dire que dès lors, l’Algérie a déjà conquis une place définitive dans sa vie.
Elle y sera impliquée encore pendant la guerre d’Algérie, du fait que Jacques Soustelle, lui-même ethnologue en même temps qu’homme politique, venant tout juste d’être nommé gouverneur d’Algérie (janvier 1955), a recours à elle pour la question délicate entre toutes des relations avec le FLN. Et cette mission restera la sienne bien après le départ de Soustelle (février1956). Elle est connue pour un épisode en effet remarquable, sa rencontre avec Yaceg Saadi en peine bataille d’Alger.
Germaine Tillion s’inscrit résolument dans une perspective anti-terroriste et fait partie de ceux et de celles qui dénoncent l’usage de la torture. Comme Gisèle Halimi, elle prend la défense de Djamila Boupacha, militante du FLN, arrêtée en 1960 pour une tentative d’attentat à Alger.
Albert Camus lui vouait une grande admiration, ils étaient amis et partageaient les mêmes opinions.
Denise Brahimi

Note sur le départ de colons en Algérie (1869)

Le court roman de Maryline Desbiolles, « Il n’y aura pas de sang versé » est consacré à un épisode historique qui a eu lieu en 1868-69 et qui est connu sous le nom de « grève des ovalistes ». Les personnages principaux sont des jeunes femmes, ouvrières dans des ateliers lyonnais où l’on prépare le fil de soie. L’une d’entre elles à laquelle elle donne le nom de Marie Maurier est originaire de Haute Savoie ; après la fin de la grève, de retour dans son village, elle épouse un jeune métayer. Pauvres parmi les pauvres, ils répondent à une offre publicitaire qui leur propose de partir en Algérie et l’employé de mairie remplit pour eux une fiche de renseignements destinée au Préfet du département. Dans les quinze jours leur demande est acceptée grâce à une certaine souplesse de l’administration qui passe sur le fait que pour partir, il leur faudrait posséder la somme de 2000 Francs. Ayant vendu le très peu de chose qu’ils possèdent, ils partent sans rien et surtout sans le moindre renseignement sur ce qui les attend à tous égards, sinon qu’on leur a attribué un lot de terres proches de Constantine. Ce départ vers l’inconnu est brièvement commenté par l’auteure qui en sait un peu plus long : « Ils ne savent pas du tout, écrit-elle, qu’ils vont sans doute occuper des terres spoliées aux Algériens, ils ne savent pas que les soulèvements des Algériens se multiplient en cette année 1871, l’année de leur départ. Ils ne savent pas que ces temps derniers, les calamités se sont abattues sur l’Algérie, sauterelles ravageant les cultures, tremblement de terre à Blida le 2 janvier 1867, sans compter les sécheresses, le choléra et les famines. »

Note sur les singes magots dans les forêts du Maroc et d’Algérie

Journée mondiale pour la biodiversité
Tous les 22 mai, depuis 1993, date d’entrée en vigueur de la Convention sur la diversité biologique, il s’agit de rappeler qu’un million d’espèces végétales et animales sont menacées d’extinction, que les trois quarts de l’environnement terrestre et les deux tiers du milieu marin sont transformés par l’action humaine, et que la biodiversité est un enjeu majeur de santé et de démocratie. L’essayiste et militante altermondialiste indienne Vandana Shiva explique dans Monocultures de l’esprit (Wildproject, 2022) que « la disparition de la diversité est aussi une disparition des alternatives ». En toutes lettres vous invite à relire l’enquête de Fedoua Tounassi, « Espèces menacées : la biodiversité en danger », paru dans Maroc, justice climatique, urgences sociales (collection Enquêtes, 2021, 2ème édition 2024).

Le singe magot en voie de disparition
« Seul macaque vivant sur le continent africain à l’état sauvage, dans les forêts du Maroc et d’Algérie, cette espèce animale menacée de disparition a été classée comme espèce en danger par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et figure sur la liste des espèces protégées par la législation nationale en vigueur au Maroc. En dépit des nombreuses mesures prises par les autorités de tutelle, que ce soit en matière de législation ou de sensibilisation, l’espèce est soumise à plusieurs menaces dont la disparition de ses habitats, le braconnage et le commerce illégal.
Pour le Haut-commissariat aux Eaux et Forêts et à la lutte contre la désertification, la destruction de l’habitat de cette espèce est principalement due à plusieurs facteurs d’origine humaine tels que le surpâturage, le défrichement ou le commerce illégal des jeunes singes, les plus convoités par les trafiquants. En cause aussi les changements climatiques qui affectent les forêts marocaines par des phénomènes de dépérissement et de rareté des ressources en eau. […]
En dehors de la destruction de l’habitat naturel du singe magot, le braconnage et le commerce illicite sont aussi à l’origine de sa disparition. D’après Fayçal Boutlib, le macaque de Barbarie serait vendu à Casablanca entre 2 000 et 3 000 dirhams, un chiffre qui augmente à Marrakech et Agadir (entre 5 000 et 7 000 dirhams) pour culminer à 1 000 et 1 200 euros à l’étranger. Ce braconnage cible surtout les jeunes primates. Petits, les singes magots sont en effet très prisés par les Européens en tant qu’animaux de compagnie. Arrivés à l’âge adulte, ils deviennent plus agressifs et sont abandonnés par leurs propriétaires. Dans le meilleur des cas, ils sont placés dans des parcs en France, en Espagne ou en Allemagne.

“AMAL; UN ESPRIT LIBRE” de Jawad Rhalib 2023
« Pas de vagues », voilà ce qui, longtemps après le visionnage du film Amal : un esprit libre, résonne en mémoire. Ce long métrage aborde courageusement le sujet du prosélytisme et de la radicalisation islamiste au sein du système scolaire belge, témoignant d’une question encore trouble et malaisante.
Dans ce lycée, Amal, une jeune professeure de littérature, observe ses élèves se radicaliser progressivement et manifester une intolérance certaine envers une camarade homosexuelle. Le duo Amel et Nabil, brillamment interprété par Lubna Azabal et Fabrizio Rongione, incarne avec justesse l’injonction actuelle au « pas de vague ». Amal, une femme passionnée au tempérament de feu, se retrouve face à Nabil, son opposé : un homme à la voix mielleuse et au comportement consensuel, calme en apparence, mais qui mène une stratégie de Taquîa1 efficace. « C’est un salafiste en costume cravate ! », s’exclame Amal devant la directrice de l’établissement, visiblement sceptique face aux soupçons de la jeune femme. Amal s’emporte et s’énerve devant le déni et l’aveuglement de sa hiérarchie. Nabil réussira-t-il à discréditer les propos de la jeune femme, trop rebelle?
Cette intrigue captivante est portée par le réalisateur belgo-marocain Jawad Rhalib, connu pour ses documentaires tels qu’El Ejido : “la loi du profit” et “Au temps où les Arabes dansaient”. C’est sans doute le choix du style documentaire empreint de réalisme social qui confère à ce film une justesse et une précision glaçantes. Il met en lumière les fragilités d’un système scolaire belge où les cours de religion sont obligatoires, mais où l’enseignement public n’a aucune visibilité sur leur contenu. « Je n’ai même pas le droit de pénétrer dans sa salle de classe s’il ne m’y invite pas ! », se plaint la directrice. Révoltée, Amal s’engage à défendre un islam beaucoup plus joyeux et progressiste en proposant les textes d’amour du poète arabo-musulman, bisexuel : Abou Nawas. Un véritable « bras d’honneur » que lance Amal à l’intégrisme religieux !
« Amal », qui signifie « Espoir » en arabe, ne baisse jamais les bras. Une leçon de vie en ces temps mélancoliques…
Yamna Sahli

Et toujours ces deux films sur la richesse de la vie associative algérienne que nous vous invitons à visionner.

Utiles
de Bahia Bencheikh-EL-Feggoun

Cliquez ici pour voir le film et le mot de passe utilesjoussour

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Entre nos mains

de Leila Saadna

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Et sa bande-annonce, cliquez ici

 

 

 

 

 

  • 1 et 2 juin, Maghreb des Livres à l’Hôtel de Ville de Paris
  • 4 juin, visite de la ferme permacole L’Oasis de Gleizé avec les élèves de 1ère STMG du Lycée Pierre Brossolette de Villeurbanne, dans le cadre du projet RECITAL mené avec ce lycée.
  • 8 juin 30 ans de l’association Terre et Humanisme à Lablachère (Ardèche).
  • 12 et 13 juin, Salon du patrimoine artisanal algérien Place Lyautey à Lyon, organisé par le Consulat.
  • 29 juin Gala de Coup de Soleil AuRA à Lyon 44 rue saint-Georges.

N’hésitez pas à nous signaler livres, films, expositions relatifs au Maghreb, et même à nous envoyer des petits textes à leur sujet.