Café littéraire 3 : « Littérature algérienne 1 :

la fêlure »

 Charles Bonn: Universitaire chercheur à l’IMAG, spécialiste de la littérature maghrébine. En 1969 se retrouve par hasard nommé à l’université de Constantine. Découvre l’Algérie, via la littérature. « Le premier texte que j’ai lu c’est « Le polygone étoilé » de Kateb Yacine. Je ne connaissais rien à la littérature algérienne. J’ouvre le texte et je sens que c’est un grand texte, même si je n’y comprends rien, ce qui est vexant pour un prof de français…

J’ai passé ma vie à essayer de montrer la « littérarité » des textes de la littérature algérienne de langue française, très mal connue en France. J’ai passé ma vie à essayer d’aborder l’aspect politique ou documentaire de ces textes, mais à travers leurs qualités littéraires. Mon approche interroge le fonctionnement littéraire de ces textes. »

Yves Chemla « Avec des pierres dans ma poche » de Kaouther Adimi qui raconte les appels récurrents d’une mère à sa fille qui vit à Paris, c’est l’histoire d’un écart, d’une « fêlure » sous jacente ?

Kaouter Adimi

Kaouter Adimi… en signature

 Kaouther Adimi « Il ne reste que toi à ne pas être mariée » lui dit sa mère. Le thème du mariage est un prétexte d’écriture. Le livre des souvenirs. Ce que c’est de grandir en Algérie pour une trentenaire. La narratrice a plein de fêlures. C’est un personnage brisé qui a du mal à se construire à cause des pierres qu’elle a dans sa poche ( sa mère, les souvenirs, et ses angoisses). Pourquoi se retrouve t’elle en France seule ?

Yves Chemla L’univers du livre est construit à partir de ces « pierres dans sa poche » et des personnages rencontrés par la narratrice. L’enfance de la narratrice s’est déroulé pendant les années de la guerre civile.

Maïssa Bey (Nouvelles d’Algérie) « Il s’agit d’un livre plus ancien réédité cette année. C’est un recueil de nouvelles qui mettent en scène des personnages des années 90, dont des femmes qui racontent le quotidien des Algériens à ce moment là. Il s’agissait de  mettre des mots sur quelque chose que plus personnes ne maîtrisait. Mettre des mots sur une sorte de folie, de déraison dans la tourmente de ces années là. Les éditeurs m’avaient reproché que ce soit un livre trop poétique. Ils voulaient des témoignages. Choisir le genre de la nouvelle était un pari risqué. Finalement ces textes ont été publiés et quelques uns restent d’actualité ».

 Yves Chemla « Le lecteur n’est pas mis en position de voyeur. C’est un objet esthétique fort, et qui tient le lecteur à distance. »

Maïssa Bey « Beaucoup de textes de cette époque là ont été qualifiés de « littérature de l’urgence ». Cette catégorisation déniait le droit à toute personne d’être écrivain. »

Yves Chemla Amine Zaoui dans « Incendie au paradis » vous exprimez votre colère ?

Amine Zaoui Universitaire essayiste. « Femme, religion et culture ». Chronique, journal. Incendie au paradis.  C’est une méditation sur la société algérienne. Essai, journal nocturne autour de trois axes :

  • Les femmes, moteur essentiel de la modernité, malgré le machisme ambiant.
  • La religion, devenue un fond de commerce politique et une main armée qui tue dans le monde arabo-musulman, elle est vidée de toute spiritualité et liberté. Seule la laïcité peut sauver la religion de la sauvagerie politique.
  • La complexité et la pluralité culturelle et linguistique ( arabe, tamagiz, dialectes, français ). Le pays ne peut pas être en bonne santé sans le respect de cette diversité. Les meilleurs poètes algériens écrivent en dialecte.

Ces concepts sont exposés à travers une touche romanesque.

 Yves Chemla Il y a un déficit de la lecture en Algérie. Bachir Mefti écrit en arabe et publie en Algérie

Bachir Mefti Publie en arabe et en français. A quoi sert la littérature dans un pays qui a un paysage culturel pauvre ? Que peut la littérature. Les écrivains écrivent et s’interrogent sur leur société ?

« En ce moment je reviens sur les années 60 pour essayer de comprendre comment les Algériens ont vécu cette période, se sont soumis à un pouvoir non démocratique. A travers un personnage qui revient chez son oncle. Le jeune héros idéaliste devient un lâche car il ne sait pas dire non à son oncle. Est-ce que le bonheur a un prix et ce prix est la lâcheté ?

Depuis la fin des années noires on est sorti de la violence dans une période un peu absurde, avec une incapacité de changer quoi que ce soit. Mais on continue d’écrire. »

Yves Chemla L’écriture est dans l’insoumission. Yves Chemla lit un extrait du livre de Kaouther Adami sur un prêcheur de la TV algérienne. Dérision et fiction ? Qu’elle est la place de la littérature ?

 Kaouther Adami « On nous demande toujours de témoigner, alors que moi avant tout je fais de la littérature. Mon questionnement est avant tout sur la langue. C’est parce qu’on vient de ces pays là qu’on ne doit pas travailler sur la structure de la langue quand on est écrivain ? »

Charles Bonn Le texte littéraire ne peut pas n’être que le reflet de la réalité d’un pays sans avoir de qualités littéraires. Ne demander que des témoignages et non des textes littéraires à un auteur Algérien ( ou Africain) est une attitude paternaliste. Le témoignage est nécessaire mais non suffisant pour un écrivain qui fait de la littérature.

Maïssa Bey La langue du texte écrit. « Toutes les assignations nous les vivons au quotidien : questionnements d’ordre sociologique qui n’ont rien à voir avec le littéraire, qu’on nous fait de ce côté ci de la méditerranée à nous auteurs algériens. L’auteur, contrairement aux sociologues, journalistes, essayistes, propose de rentrer dans l’intime. La fiction emprunte au réel mais donne à voir l ‘intime des personnages, raconte des histoires. »

Amine Zaoui Le travail de l’écrivain est d’abord un travail sur la langue qui permet de casser les tabous, élargir la liberté du lecteur, lui permettre de reculer les barrières, d’aller un peu plus loin.

« J’écris dans plusieurs langues, j ‘entend différentes langues dans ma tête, avec différentes sonorité linguistiques ». Comment écouter ces langues qui nous habitent ?

Bachir Mefti « Je ne me pose pas ce genre de question sur les procédés littéraires. Je ne crois pas que ça intéresse le public. J’écris en arabe. J’ai mon petit public (400 personnes attendent mes livres). Beaucoup d’écrivains algériens cherchent la célébrité ailleurs, à l’étranger, en France… Alors qu’il y a un public en Algérie. »

Questions du public Aujourd’hui en Algérie il y a des écrivains qui écrivent en arabe mais ont du ressentiment pour ceux qui écrivent en français. Il a eu du succès quand il a été traduit…

Amine Zaoui « La langue de l’écriture c’est une recherche. Les Algériens parlent le français poétiquement très fort mais avec une cassure dedans. L’écrivain enfante le texte qui devient un objet qui forme le lecteur. »

(Aldona Januszewski)