IMG_0942Hommage à Malek Chebel,

Anthropologue, psychanalyste, islamologue, politologue

 

Le journaliste Akram Belkaid, modérateur passe tout de suite la parole à Michael le fils de Malek Chebel qui explique que dès la disparition de son père en novembre, nombre de ses amis ont proposé à son fils de créer une fondation Malek Chebel. Celle-ci est née officiellement fin décembre 2016.

Il explique ce que seront les deux objectifs de cette fondation pour le savoir et la culture qui se situe dans le prolongement de l’œuvre du penseur.

  • Continuer à faire vivre l’enseignement de l’œuvre et de la pensée
  • Partager une vision du monde dans la reconnaissance mutuelle

Pour cela trois outils

  • Mettre en place des cycles de recherche universitaires
  • Monter un Musée du coran et de la civilisation musulmane
  • Constituer un groupe de recherche pour mener à bien les travaux initiés et les publier

Michael Chebel nous parle aussi de la revue Nour dont le troisième numéro est en préparation.

Rachid Benzine prend ensuite la parole en nous disant comment au sortir d’une conférence où comme toujours il avait invité à faire du Coran des lectures capables de nous réconcilier avec l’histoire et l’humanisme, où il avait parlé à un public curieux des chemins tortueux du doute sans autres promesse que la déconstruction nécessaires de nos certitudes et sans autres horizon que de dépasser les blocages qui nous barricadent, donc en sortant de cette conférence où il s’était senti rassuré par l’échange qu’il avait eu avec ce public ouvert, il se sentit brusquement seul en apprenant le décès de Malek Chebel.

Au-delà de la perte, douloureuse d’un ami, Il nous parle du manque terrible – face au rétrécissement de la pensée critique – de la plume de Malek Chebel, après celle de Mohamed Arkoun et Mohamed Abdel Wahab. Rachid Benzine prend conscience que toutes ses plumes, qui à leur manière essayent de nous sauver, sont des plumes amies face à la terreur imposée, et qu’il faut veiller sur elles car elles sont comme des éclaireurs face à l’obscurantisme. Rachid Benzine nous dit que Malek Chebel a su reconstituer face aux yeux aveuglés par les violences physiques et symboliques, une autre vérité celle d’un islam classique empreint d’hédonisme et d’humanisme qui place la connaissance, la science, le culte du corps au centre de ses préoccupations. Oui cela a existé et il est important de le rappeler. Il a eu le mérite de rappeler ce qui fut dans la réalité des temps passés et dans les imaginaires musulman de ces époques. Et si cela a été, cela peut encore être. Rappeler ce qui fut pour que cela puisse encore être.

Il rappelle aussi qu’il n’y a rien de sacré, mais seulement des processus de sacralisation opérés par les hommes. Il responsabilise ainsi les hommes sans lesquels rien ne se fait et ne se pense. Et rappelle les trois dimensions de l’islam: l’éthique à la manière de Paul Ricoeur, basée sur les conditions d’une vie bonne pour soi, mais aussi bonne pour autrui et pour les institutions. Le cognitif c’est à dire l’ensemble des traditions, c’est la dimension qu’il est urgent de renforcer L’identitaire avec la notion d’appartenance qui trop souvent exclut, c’est elle qui est prééminente aujourd’hui au détriment de l’équilibre.

Pour Rachid Benzine, le chemin que prend l’islam aujourd’hui dépend des hommes et uniquement d’eux et non d’une vérité qui leur imposerait des normes ou une manière d’être au monde au nom d’une vérité passée, qui s’imposerait dans le présent. Ce que faisait Malek Chebel c’est inviter les hommes et les femmes d’aujourd’hui à découvrir des époques occultées, à connaitre, ce qui fut, cet islam plus hédoniste plus humaniste, pour aider à conjurer le présent.

Il faut enseigner toute l’histoire, et pas seulement celle apprise dans des manuels orientés et sacralisés. Apprendre les sociétés dépeintes par Malek Chebel tellement plus libres et tellement plus diversifiée. Nous devons leur proposer une raison d’aimer cet héritage non pas pour les brandir comme une identité mais pour les vivre d’une manière apaisée qui les réinscrive dans la grande histoire de l’humanité.

Pour tout cela nous dit Rachid Benzine, nous devons continuer à nous ancrer dans une pensée subversive, quoiqu’il puisse nous en couter. Nous n’avons plus le temps d’attendre. Il faut tenir cette promesse tendue depuis les temps anciens de l’histoire car les questions qui nous tuent ne sont pas celles que l’on ose, mais celles que l’on n’ose pas. Malek Chebel savait oser et pour cela Rachid Benzine en conclusion le remercie.

Fadila Mehal élue de Paris rappelle combien Malek Chebel était un ardent défenseur de la cohésion sociale. Elle site Malek Chebel qui dans un article parle de la période qui suit l’installation de l’islam en disant à quel point cet âge d’or fut riche en innovations, en créativités, en poésie, en amour de la beauté et de la femme, inventant des nouveaux codes, le raffinement, les civilités, une période extraordinaire ou se déploie les sciences, les arts, l’architecture, la poésie, la philosophie, c’est le temps des lumières de l’islam. Elle dit que Malek Chebel étant d’une curiosité insatiable, osait aller au-delà des interdits, dans des explorations où le corps et la sexualité ne sont pas exclus. Puis elle expose un itinéraire de pensée en s’arrêtant sur plusieurs de ses ouvrages. Ceux qui montrent à quelle point les rapports entre hommes et femmes et la sexualité étaient pour Malek Chebel beaucoup moins rigoristes que le disent ceux qui tendent à fossiliser les pratiques dans un passé et une tradition qu’ils connaissent souvent mal. Elle parle ensuite de son travail de traduction du Coran en 2009. Et de façon générale son travail de vulgarisateur de l’islam. Notamment son Islam pour les nuls, ou d’autres ouvrages facilement accessibles. Sa démarche nous dit-elle était subversive et dérangeante. Pour cela elle a proposé à la ville de Paris de donner le nom de Malek Chebel à une voix ou une place publique, proposition votée à l’unanimité du conseil municipal. Elle annonce aussi le soutien par la ville de Paris d’un futur colloque sur le penseur avec la fondation Malek Chebel à l’automne 2017. Enfin, elle souhaite qu’un événement permettant la transmission orale et la publication à l’adresse d’un large public sur la pensée de Malek Chebel puisse se faire dans toutes les bibliothèques parisiennes.

A la question : En quoi Malek Chebel était subversif, Rachid Benzid reprend les catégories mises en place par Michel Foucault et reprises par Mohamed Arkoun : Le pensable, l’impensable et l’impensé. Malek Chébel a écrit sur l’impensable, ce qui maintenant est impensable alors que cela a été pensé. Et en tant qu’héritier il est fidèle à un héritage, qu’il reprend pour en faire autre chose. Il a une fidélité infidèle au sens de Dérida, c’est prendre un héritage pour le retourner, et ainsi il exhume des pans de la pensée islamique occultée, notamment sur la question du corps et de la sexualité.

C’est subversif car cela est généralement nié. Mais cette subversion n’est pas une guerre, ce n’est pas contre quelqu’un, mais plutôt contre une maladie de l’esprit qui focalise sur les interdits vestimentaires, alimentaires ou autres.

A une question sur le travail de vulgarisateur de Malek Chebel Rachid Benzid répond : La pensée sert-elle à quelle chose ? On peut se poser la question. Un chercheur est là pour interroger les imaginaires, il peut parler à ses pairs chercheurs, mais il peut aussi prendre le risque de descendre dans l’espace publique pour donner accès à la connaissance et ainsi faire monter le niveau de savoir. Il insiste sur le fait que le vulgarisateur travaille à partir d’un corpus déjà produit. Il dit qu’il s’agit alors d’un travail de traduction, la traduction comme mode de pensée pour faire monter le niveau de savoir d’une société.

A une autre question sur la sexualité tabou ou non en islam, Rachid Benzid dit que maintenant depuis une cinquantaine d’années la sexualité devient un tabou avec les interrogations sur le corps, le voile, la mixité, la laïcité. Il insiste sur la nécessité de prendre conscience que les discours normatifs, religieux ou politiques essaient de normer et de contrôler le corps et il ajoute que le travail de Malek Chébel permet de déconstruire cette vision normative du corps et notamment du corps féminin (Marilaure Garcia Mahé)

Et aussi le témoignage écrit de Monique Chaïbi:  Après la disparition d’Abdelwahab Meddeb, c’est au tour de Malek Chebel, anthropologue et écrivain, de nous quitter. Deux voix d’un Islam des lumières qui vont manquer au monde.

Nous avons souvent croisé Malek à Montpellier ou dans la région pour un débat, une signature à la Comédie du livre ou chaque février à Paris au Maghreb des livres. Cette année, alors qu’il était au programme, sa chaise est restée vide. Déjà marqué par la maladie il a manqué son rendez-vous annuel et peu à peu sa voix s’est tue.

Mais il nous laisse nombre d’ouvrages sur un Islam joyeux, chaleureux, ouvert, un Islam « auberge espagnole » comme il aimait à le préciser. Il nous laisse le souvenir d’émissions religieuses où il intervenait face à l’abbé de la Morandais et au rabbin Haïm Korsia, cela s’appelait « Les enfants d’Abraham » et tous trois, les gens du Livre, y discutaient avec franchise, humour, respect, de ce qui les unissait et de ce qui les séparait. Un livre témoigne de cette expérience.

Bien sûr, il avait ses détracteurs. Lui qui déclarait qu’on pouvait critiquer Allah du matin au soir sans que cela Le dérange, parce que le Créateur est transcendant et ne supportait pas que l’on s’en prenne aux Hommes. Pour Malek, la liberté d’expression était un principe non négociable.

A sa famille, à ses proches, Coup de soleil 34 adresse ses condoléances les plus sincères.

« Dans le monde agité que nous vivons, il est bon qu’une catégorie de gens, appelés soufis, puisse tenir pour nous ce rôle précieux d’éveilleurs. Ils sont des bougies qui s’allument au fur et à mesure que le doute s’épaissit »

Monique Chaïbi (Coup soleil-Languedoc-Roussillon)