Abla Gheziel, L’éveil politique de la société algérienne, révoltes, soumission, assimilation et nationalisme, 1830 1936, préface de Guy Pervillé, l’Harmattan, Histoire et perspectives méditerranéennes, 336 page, index des noms propres et des tribus, 2018.
Abla Gheziel est bilingue arabe-français, elle a fait ses études en Algérie comme élève et étudiante, puis y a été professeure. Elle a donc connu l’histoire telle qu’elle est enseignée en Algérie. Puis l’histoire à la française lors de ses recherche, d’abord sur l’Algérie orientale avant la conquête, puis sur l’éveil politique algérien entre 1830 et 1936. Un vaste panorama où elle prend le risque d’embrasser un sujet immense. Aujourd’hui elle étudie « la laïcité et la langue arabe dans le système éducatif français ».
Eveil populaire des masses ? Il s’agissait pour de « futurs Algériens » qui étaient un peu sujets de ceux qui gouvernaient de façon autoritaire, mais surtout participants d’une religion universelle, et plus encore membres d’une communauté traditionnelle, de devenir des citoyens d’une nation sans souverain. Les Algériens, beaucoup plus que les autres « nations » du monde arabe ont connu la longue pénétration d’une pensée démocratique, mais frustrée, empêchée en permanence et ceci de façon particulièrement durable : cela dure cent trente ans en Algérie, contre 70 ans en Tunisie et 40 au Maroc. Par ailleurs, plus qu’ailleurs, il est difficile en Algérie de savoir à quelle légitimité attacher une nation. Les multiples discours républicains français concernaient l’assimilation à la nation française, en particulier depuis 1848. Mais parallèlement des légitimités dynastiques essaient de s’imposer : beaucoup plus que la « république » des corsaires d’Alger, le rattachement aux dynasties de la Turquie, ottomans, puis jeunes Turcs. Mais aussi les dynasties de la Tunisie, ou du Maroc.
L’auteur pour connaître les masses populaires et leur éveil politique doit chercher quelles élites parlent en leur nom : les leaders sont multiformes, élites francisées, mais aussi héritiers des grandes familles politiques, maraboutiques, confrériques. Le nationalisme se cherche parfois au nom d’une nation française idéalisée et accueillante, parfois dans une Umma (communauté des croyants) identifiée à la Turquie modernisée, parfois dans un Maghreb qui aurait ses spécificités au sein de l’Umma. Les moments clés de cette recherche d’identité nationale se trouvent autour de 1907 quand le système colonial veut imposer à la fois le recensement des populations et le service militaire, en 1919 quand reviennent d’Europe les travailleurs recrutés pour l’effort de guerre et les soldats démobilisés. Mais le moment le plus intense est vers 1926-1936 au moment où s’entre croisent les tentatives de plusieurs leaders : Ben Badis, Messali Hadj, Ferhat Abbas.
Les sources utilisées par l’auteure sont sans doute pour plus des 2/3 en français, le reste en arabe. Certes une masse de livres édités, mais plus encore l’immense archive du Gouvernement Général de l’Algérie et sa section d’affaires indigènes : on y trouve relatées les moindres réunions de toutes personnalités politiques, aussi bien en France que dans les moindres recoins de l’Algérie.
Un livre certes « brut de décoffrage » : l’éditeur a pris le texte de l’auteure tel quel et celle-ci est trop prise par son récit pour se soucier de détails d’écriture. Le lecteur, s’il est pris par sa lecture, a trop de choses à apprendre pour s’en soucier lui aussi. La recherche toulousaine sur l’histoire maghrébine s’enrichit et ça nous intéresse, à Coup de soleil!
Claude Bataillon