« LE CHAT DU RABBIN » Numéro 8, (Editions Poisson pilote 2018).
Le huitième opus du célébrissime félin bavard m’a donné l’envie de partager ma passion pour cette série et ma sympathie admirative pour son auteur.
En souvenir d’Imhotep, le vrai chat de Joann Sfar, en photo en page 4 de l’album, parti à 18 ans rejoindre le paradis des chats. Grâces lui soient rendues pour avoir inspiré à son maître ce génial petit personnage, qui entre autres choses nous aide à pénétrer dans l’âme juive algérienne.
Et aussi parce que pour cet album Joan Sfar a donné à ses lectrices et lecteurs le choix de la couverture, choix difficile entre deux belles œuvres. C’est finalement la belle blonde qui veut apprendre à être juive par amour qui l’a emporté, face au jeune rabbin, mari de Zlabya. Il faut dire à propos de Zlabya que toutes les jeunes filles juives chez Sfar portent des noms de gâteux savoureux, allez savoir pourquoi. Le tome 8 est sous-titré « Petit panier aux amandes », alias Knidelette, le nom de l’amie de Zlabya, légèrement foldingue, et un peu allumeuse. Et leurs amies, Makroute et Beustel (mais celle-ci, je ne suis pas sûr qu’elle ait un nom de gâteau…).
La relation homme-femme dans la société juive est au centre de cet album, et le chat joue son rôle de révélateur de certaines incongruités et faux semblants en usant sans modération de son pouvoir de parole. Il faut dire que non seulement ce chat est doué de raison (mais cela, toute personne ayant le privilège de vivre chez son chat le sait bien !), mais son don de parole est mis au service d’une expression qui ignore tout du politiquement correct. Sa vision sans concessions des aberrations des comportements humains est une potion amère mais salutaire. Ce qui lui vaut moults taloches et expulsions vigoureuses, dont il abuse pour se faire câliner, de préférence par les belles dames qui l’entourent.
Cet album est aussi un des plus drôles de la série. On croit entendre les accents des personnages tant les phrases mises dans les bulles restituent le caractère coloré des parlers algérois. Et le chat a même un temps un accent bourguignon après s’être fait balancer par la fenêtre par une sorte de marin Popeye à qui il faisait la morale. « Tu as un accent bourguignon » lui dit Aline, la jeune femme de la couverture ? « Non, Je krois que je me chuis auchi fendu le palais ».
Recommandons tout particulièrement les relations cocasses du chat avec la mère du fiancé d’Aline, mère juive, comme il se doit, qui sans lunettes, le prend pour Toulouse Lautrec… en l’appelant Grenoble ! Leurs conversations en jouant aux cartes méritent le déplacement. « En attendant, la mémé, elle me met la misère à la belote » raconte le chat.
L’Alger de Sfar est imaginaire et onirique, mais aussi belle que l’originale.
La lecture de Sfar est aussi une exploration vertigineuse au fil des albums de cette série de la vision juive du monde, pas dépourvue d’une forme de poésie baroque, sujets à débats sans fin. Nul doute que la fantaisie débridée de l’auteur n’en fasse une lecture assez personnelle, mais elle donne toujours à réfléchir, et finalement amène les lecteurs et lectrices à entrer aussi dans la ronde des questionnements perpétuels.
Les chats sont des marqueurs de l’humanité, celui de Sfar en est le champion toutes catégories.
Michel Wilson
(Cet article est repris de la Lettre culturelle franco maghrébine, N° 28 de novembre 2018)