Première réunion (vidéo) algérois- française d’historiens en mai 2023: un espoir pour avancer à propos des archives franco-algériennes https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invité-afrique/20230519-benjamin-stora-il-faut-commencer-à-procéder-à-des-restitutions-des-archives-algériennes

Le rapport Stora en débat à Marseille

Conférence débat organisée par Coup de Soleil PACA

 Marseille – Samedi 19 juin 2021

Débat animé par Jean Robert HENRY* et Hassan REMAOUN**

Modérateur : Ahmed MAHIOU

*   JR Henry : Directeur de recherches honoraire au CNRS (AMU – IREMAM)

** H. Remaoun : Historien, Professeur Université d’Oran

 Sommaire

  1. Intervention de Jean Robert Henry : Du rapport Stora à la réactivation du projet de musée sur la France et de l’Algérie 
  2. Résumé de l’intervention de Hassan Remaoun 
  3. Rappel résumé des propos tenus par le Modérateur de la Conférence :  Ahmed MAHIOU  
  4. Quelques notes de Claude BATAILLON (participant par visioconférence) 
  5. Communiqué de la section de Toulouse 

 

 

 

I. Intervention de Jean Robert Henry : Du rapport Stora à la réactivation du projet de musée sur la France et de l’Algérie

Le rapport de Benjamin Stora sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » a soulevé lors de sa parution en janvier 2021 beaucoup de débats en France et en Algérie.

En France, on lui a parfois reproché d’être un travail de commande, confié à un chercheur qui a été depuis 15 ans, à des degrés divers, un conseiller sur l’Algérie de quatre présidents de la République : Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron. Dans cet esprit, on va jusqu’à reprocher à B. Stora de faire figure à travers ce rapport de porte-parole de la politique algérienne du président Macron.

Ce reproche lui a été fait également en Algérie, de même qu’on a trouvé qu’il n’allait pas assez loin dans la critique du système colonial et la reconnaissance des responsabilités historiques françaises ni dans la nécessité d’éclairer davantage le passé pour apaiser le présent. Mais de part et d’autre, rares sont ceux qui ont récusé sa compétence d’historien, ni son désir profond d’œuvrer à une réconciliation entre les sociétés algérienne et française et entre les divers groupes et communautés issus du rapport franco-algérien.

On ne peut surtout lui reprocher le caractère unilatéral de ce rapport, privé d’un volet algérien initialement prévu, puisque la personne désignée par le président Tebboune pour le réaliser s’est révélée hors d’état de le faire, par incompétence ou par choix politique. Peu à peu, cette critique de la carence du rapporteur algérien l’a emporté, dans les débats publics tenus en Algérie, sur les critiques faites au rapport Stora. Le risque était malheureusement couru d’avance : Le rapporteur désigné, M. Chikhi, directeur général des Archives algériennes, était davantage connu comme journaliste et comme homme politique que comme historien ou archiviste. Or, sa pratique en la matière n’est pas convaincante. C’est ce qu’a rappelé une pétition signée par une cinquantaine d’historiens et professionnels algériens. Nombreux sont les chercheuses ou chercheurs algériens qui auraient pu utilement être associés à l’entreprise, comme Ahmed Djebbar, Hassan Remaoun, Ouanassa Siari Tengour, Fouad Soufi, Amar Mohand-Amer, Zineb Ali ben Ali, Malika Rahal, Khaoula Taleb…

Tel qu’il est, malgré ses limites réelles ou supposées, et faute de pouvoir s’inscrire dans une perspective bilatérale, le rapport Stora a le mérite d’exister, même s’il se trouve seul en scène pour affronter le débat public dans les deux pays et faire des propositions. Paradoxalement, ce repli involontaire du rapport sur une dimension franco-française, ainsi que la prudence et l’empirisme de sa démarche sont peut-être à même de faire davantage avancer sur certains points l’objectif de pacification des mémoires franco-algériennes et de réduire la confrontation des imaginaires que si l’opération avait été vraiment bilatérale, et par définition diplomatique.

Le rapport est un document substantiel de 157 pages (dont un tiers de documents) qu’il serait trop long de résumer en vingt minutes et qui se divise globalement en 3 parties :

 

Première partie :

La première partie fait un point rapide sur l’état des recherches historiques sur le passé colonial, menées par les chercheurs français et algériens, et revient sur la question importante du rapport entre histoire et mémoires.

Le travail de mémoire est un processus complexe, légitime et nécessaire qui touche les individus, les familles, les groupes. Mais il aboutit souvent à dresser les mémoires les unes contre les autres. Le recours à la démarche historique est alors le plus sûr moyen pour aider à sortir de cette « guerre des mémoires » : c’est par la recherche exigeante des faits, par l’étude des archives et sources indiscutables qu’on arrive à dépasser ou à relativiser les conflits mémoriels, qui sont eux-mêmes évolutifs, et à redonner à chacun (individus et groupes) sa place dans une histoire revisitée en commun.

Comme le souligne B. Stora, « La liberté d’esprit et le travail historique sont des contre-feux nécessaires aux incendies de mémoires »

Concernant le bilan des travaux historiques faits sur la colonisation et la guerre d’Algérie depuis 1962, B. Stora en dresse un tableau globalement pertinent pour les dernières décennies, où il rappelle notamment son apport personnel ; avec des ouvrages importants comme La gangrène et l’oubli (1990) et La guerre d’Algérie, codirigé avec Mohamed Harbi (2004).

On peut discuter par contre de ce qu’il appelle « l’oubli de l’Algérie » dans les années qui ont suivi l’indépendance. Or, le travail universitaire en histoire n’est pas resté en friche, particulièrement en Algérie. Au contraire, le moment de la coopération a été plutôt favorable à une redécouverte du passé colonial par les chercheurs algériens et français., influencés par C. André Julien, André Noushi, Jacques Berque et surtout Charles-Robert Ageron, dont le petit Que sais-je, Histoire de l’Algérie contemporaine, paru en 1964 pour remplacer l’Histoire de l’Algérie de Esquer, sera tiré à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires et deviendra une source incontournable sur le sujet pour les enseignants et étudiants de l’époque.

Sur place, Mahfoud Kaddache, René Gallissot, André Mandouze (spécialiste de Saint-Augustin et éphémère directeur de l’enseignement supérieur algérien), Mohamed Harbi (historien non universitaire) sont déjà actifs. Très vite, des chercheurs nouveaux émergent, coopérants ou Algériens stimulés par la nécessité de décrypter les racines de la nouvelle Algérie : Claude Collot (qui algérianise complètement ses enseignements et ses recherches), Jean-Claude Vatin et Jean Leca, A. Djeghloul (sociologue et historien qui copilotera avec Bouteflika à la fin des années 2000 une série bilingue sur les sources de l’histoire algérienne), Slimane Chikh (thèse sur le FLN), Hassan Remaoun, Omar Carlier à Oran (réputé pour sa maîtrise du rapport entre histoire orale et études des archives), Madame Tengour et Gilbert Meynier à Constantine (L’Algérie révélée par la première guerre mondiale). Beaucoup de thèses se préparent en Algérie et sont soutenues en France par des chercheurs qui tiendront ensuite une place non négligeable dans le paysage universitaire français. Paradoxalement, à la fin des années 60 et au début ders années 70, beaucoup de choses se passent à la Faculté de Droit d’Alger, fréquentée par de nombreux anciens militants ou anciens maquisards, friands d’histoire algérienne, et sont encouragées pas l’administration de cette Faculté pilotée par A. Mahiou. Il est vrai que c’est une institution qui fonctionne encore largement en français jusque dans les années 70, contrairement aux départements d’histoire arabisés de la Faculté des lettres. Des séminaires de 3ème cycle organisés par J. C. Vatin rassemblent professeurs français, chercheurs algériens et anciens responsables et acteurs nationalistes, qui ouvrent libéralement leurs archives et leurs souvenirs, comme Abdennour Ali Yahia, mort centenaire en 2020. Assistant de Collot, je peux témoigner de la très grande confiance qui règnait alors entre chercheurs et acteurs. Il y a quelques historiens nationalistes repliés sur un quant à soi ultra-nationaliste, mais ils sont rares (Saadallah). Les années soixante sont une époque où les chercheurs coopérants sont très bien accueillis par la société et par les anciens militants. On travaille beaucoup sur le mouvement national algérien, sur l’histoire du droit colonial, sur la littérature coloniale et algérienne, sur le cinéma algérien, avec l’aide de bibliothécaires engagées (J. Guerroudj, Z.Bekkadour). Les travaux sont publiés notamment dans la Revue Algérienne.

Hors de l’Université, les milieux religieux sont aussi un espace de recherche très actif sur certains sujets (culture berbère). Une figure y est très visible, celle de Henri Teissier, archevêque d’Alger, très bon arabisant, qui devient un des spécialistes les plus réputés d’Abdelkader.

C’est plus tard, avec l’arabisation, que « l’absence d’histoire comblée par un trop-plein de la mémoire », comme l’observe Stora, se fera davantage sentir. Mais beaucoup de militants continuent à publier en français leurs mémoires de guerre (2/3 sur 1500 ouvrages vers 2018).

Deuxième partie :

Dans une seconde partie, le rapport Stora retrace l’évolution de la « politique mémorielle » française au cours des dernières décennies. C’est une partie très intéressante, où B. Stora livre, du moins pour les deux dernières décennies, des observations de première main. C’est un bon observateur participant des évolutions de la politique mémorielle française à propos de l’Algérie.

Stora a raison d’affirmer que le « couvercle de la mémoire » se soulève avec Jacques Chirac. Auparavant, les présidents français avaient été sensibles à l’enjeu bilatéral et international des rapports franco-algériens. De Gaulle, qui jouissait d’une forte popularité en Algérie et dans le Tiers-monde, avait joué à fond la carte de la coopération avec l’Algérie qui, d’une certaine façon, poursuivait les réformes engagées sous le Plan de Constantine, y compris en matière de scolarisation où les retards accumulés sous la période coloniale avaient été désastreux. En Algérie, des cartes postales largement diffusées célébraient 1963 comme « L’Année de la coopération ». Mais De Gaulle ne se livre pas aux actes symboliques espérés et notamment ne se rend pas en Algérie. Pompidou maintient le cap d’une coopération culturelle étroite, tout en faisant face à des revendications algériennes de plus en plus fermes sur la souveraineté des hydrocarbures. En 1975, le voyage en Algérie de Giscard suscite beaucoup d’espoirs mais se traduit par de nombreux malentendus. Il en fut de même sous la présidence de Mitterrand, qui n’arrivera pas à promouvoir avec l’Algérie la « coopération exemplaire » qu’il avait souhaitée dans son voyage de novembre 1992.

C’est sous la présidence de Chirac que des avancées significatives finissent par être accomplies dans les rapports franco-algériens. L’Assemblée nationale française reconnait en 1999 la « guerre d’Algérie », au moment où la question de la torture revient dans le débat public en France. En 2000, Bouteflika effectue un voyage officiel en France, où il exprime devant l’Assemblée nationale sa vision des rapports franco-algériens et le « dette imprescriptible » de la France envers l’Algérie.

Mais c’est surtout 2003 qui est un point fort de ces nouveaux rapports : Depuis longtemps reportée, une Année de l’Algérie en France est organisée (dont le rapport ne parle pas), avec de très nombreuses initiatives privées venues majoritairement de l’immigration (2500 manifestations) qui débordent largement le cadre officiel. 2003, c’est aussi la position française contre la guerre en Irak, très bien perçue en Algérie, comme le montre l’accueil triomphal réservé à Chirac par la population d’Alger et d’Oran, lors du voyage qu’il accomplit quelques mois plus tard et durant lequel il prône une « nouvelle alliance » entre les deux pays. A cette occasion est paraphé le schéma d’un projet de Traité d’amitié et de coopération entre les deux pays, dont la signature est prévue en 2005. Pour répondre aux attentes de ses interlocuteurs algériens, sans mobiliser le vocabulaire des excuses ou de la repentance, Chirac fait employer par son ambassadeur puis par son ministre des AE la formule paradoxale de « tragédie inexcusable » pour évoquer le 8 mai 1945 (un fait tellement grave qu’il en devient inexcusable). Malheureusement, ce moment euphorique des rapports franco-algériens achoppe brutalement sur le vote d’un amendement sur l’enseignement des « aspects positifs de la colonisation », qui sera finalement supprimé de la loi du 23 février 2005, mais fait sombrer l’ambitieux Traité d’amitié et de coopération entre les deux pays à quelques jours de sa signature à Alger. Les Algériens hostiles au Traité reprochent à Chirac de mener un double jeu : il ne faisait en réalité que jouer sur les mots.

Après Chirac, les présidents Sarkozy et Hollande continuent à avancer plus ou moins vite dans la reconnaissance des injustices du système colonial. C’est à la fin de la présidence Sarkozy qu’est inaugurée en 2012 la remarquable exposition sur l’Algérie du musée des Invalides, qui n’hésite pas à présenter des photos de tortures. Hollande reconnait la répression sanglante des manifestations algériennes du 17 octobre 1961 à Paris. Il soutient avec une certaine mollesse le nouveau projet de musée sur l’histoire de la France et de l’Algérie à Montpellier et fait du 19 mars une journée de commémoration de toutes les victimes de la guerre d’Algérie. Quelques mois avant la fin de son mandat, il relance sans conviction le projet de musée sur l’histoire de France et d’Algérie.

La présidence Macron est plus active sur la question coloniale et ses prolongements postcoloniaux. En décembre 2018, la disparition et la mort de Maurice Audin sont reconnues comme des effets du « système répressif » qui l’a permis et le président proclame la nécessité faire toute la vérité sur la guerre d’Algérie pour parvenir à une véritable réconciliation. Il donne mission à Benjamin Stora en décembre 2018 de rédiger un rapport sur cette question.

Est-ce une pièce d’une nouvelle politique mémorielle française, où se retrouveraient le rapport Duclert sur les responsabilités françaises dans le génocide du Rwanda, la rénovation du Musée de l’immigration, la restitution d’objets à des musées africains, et la réactivation du projet de Montpellier sur l’histoire de France et d’Algérie ?

Troisième partie :

Dans sa troisième partie, le rapport Stora détaille des « défis à relever » (le rapport entre archives de souveraineté et archives de gestion reste-t-il pertinent face à la notion de patrimoine commun, la question des disparus, l’efficacité ou non des excuses publiques) et il conclut par 22 préconisations de plus ou moins grande ampleur, moins ambitieuses peut-être que celles qui avaient été formulées en 2003-2005 dans la perspective de la signature du Traité d’amitié et de coopération. C’est un ensemble relativement composite où tout ne s’impose pas de la même façon aux acteurs.

  1. Certaines de ces préconisations exigent une action concertée des deux Etats dans laquelle ceux-ci se sont parfois déjà engagés.
  2. La gestion de certains fonds d’archives coloniales comme un « patrimoine commun » (Soufi)
  3. La recherche des disparus algériens et français, dont peu seront faciles à retrouver. Il faudrait y ajouter un calcul plus exact des victimes de la guerre d’Algérie, en s’appuyant notamment sur les travaux des statisticiens (Bahri, ancien moudjahid et sous-directeur des statistiques, consulté en 1964 par le président Ben Bella sur le nombre de victimes algériennes de la guerre, s’était appuyé sur des projections statistiques pour avancer un chiffre d’environ 500.000 personnes, considérable pour une population musulmane de 9 millions d’habitants). Il recoupe des évaluations faites par des historiens et s’éloigne beaucoup du chiffre de 1, 5 millions de mrtyrs adopté par le discours officiel et scolaire algérien. Il faudrait faire de même pour évaluer le nombre des victimes du 8 mai 1945 et celui des disparus européens de la guerre. Cette recherche de la vérité des chiffres est une démarche historique indispensable à toute tentative de pacification des mémoires. Elle a joué un rôle évident dans la construction européenne.
  4. Les effets sur la population algérienne des essais nucléaires français au Sahara
  5. La préservation et l’entretien des cimetières « européens » et juifs en Algérie
  6. L’identification des tombes de condamnés à mort algériens pendant la guerre
  7. La circulation du déplacement des harkis entre la France et l’Algérie
  8. Le renforcement de la coopération universitaire entre chercheurs algériens et français avec facilités de visas
  9. Un office franco-algérien de la jeunesse (reprise d’un vieux projet maintes fois avancé)
  10. D’autres préconisations sont des gestes et paroles symboliques attendus des acteurs publics français: reconnaissance de l’assassinat d’Ahmed Boumendjel par les parachutistes durant la bataille d’Alger, stèle d’Amboise en hommage à Abdelkader, noms de rue, poursuite des commémorations, poursuite de la révision des manuels scolaires français, largement entamée (même si on reste loin de l’idée caressée en 2005 d’un manuel d’histoire franco-algérienne, sur le modèle du manuel franco-allemand).

On peut rattacher à la dimension franco-française des préconisations la création d’une commission « mémoire et vérité », chargée, selon le rapport, d’impulser des initiatives mémorielles communes, mais réduite finalement, faute de répondant algérien, à une opération unilatérale française. Diverses personnalités ont été contactées, mais leur nom n’a pas encore été diffusé.

L’envoi au Panthéon d’une personnalité anticolonialiste serait une bonne initiative, mais ne faut-il pas ouvrir le choix, et commencer par dresser une liste de noms dont Gisèle Halimi ferait certainement partie, mais qui pourrait aussi s’ouvrir à des personnalités comme le général Paris de la Bollardière, compagnon de la Libération, mis aux arrêts de forteresse pour avoir refusé et dénoncé publiquement la torture durant la guerre.

  1. Parmi ces préconisations, la 20ème propose, sans dire plus, de « réactiver le projet de Musée sur l’histoire de la France et de l’Algérie à Montpellier ». C’est en réalité le plus gros projet proposé par le rapport Stora, qui connait aujourd’hui un début de réalisation significatif, à l’initiative de l’Elysée et de la mairie de Montpellier. J’ai été amené par ces acteurs à donner mon avis sur ce projet en raison de mon implication dans le précédent projet de MHFA et d’un article sur son échec, paru en 2018 dans L’Année du Maghreb.

Il est heureux que ce projet complexe, qui avait demandé tant d’efforts depuis sa redéfinition en 2011 avant d’être abandonné de façon précipitée en 2014 par le nouveau maire de Montpellier soit aujourd’hui reconnu et revalidé. Mais il est peut-être difficile à reprendre dans les mêmes termes, pour plusieurs raisons :

  • Le bâtiment qui avait été aménagé pour accueillir le musée sur l’Algérie est actuellement occupé par un espace dédié à l’art contemporain, le MOCO. La cohabitation de celui-ci avec un musée ou des expositions sur l’Algérie ne serait pas évidente.
  • Les collections rassemblées pour le MHFA ont été déposées pour cinq ans au MUCEM de Marseille où elles font l’objet depuis trois ans d’une valorisation confiée à la conservatrice qui avait piloté le projet de MHFA à Montpellier. Cette valorisation se fait en coopération avec d’autres institutions nationales ou étrangères.
  • Il y a aussi un problème de moyens financiers à régler : la création du MHFA, son abandon et sa reconversion en MOCO ont coûté cher aux collectivités locales associées au projet. Il n’est pas certain que de nouveaux moyens soient disponibles localement pour relancer un musée ambitieux sur l’Algérie, sauf si l’Etat en prend une lourde part. Plus globalement, il n’est pas facile pour une collectivité locale de mener un projet d’intérêt national en matière de politique mémorielle sans le soutien institutionnel, moral et financier de l’Etat. C’est ce qu’avait souligné Madame Filippetti, ministre de la culture, quand elle nous a reçus en juillet 2014 après la décision du maire de Montpellier d’arrêter le projet.

La légitimité d’un nouveau projet muséal pourrait être renforcée par un meilleur ancrage au contexte local. Diverses populations de la ville sont originaires d’outre-Méditerranée : notamment, des Français d’Algérie, des Arméniens, des Marocains, plus nombreux que les Algériens. Un musée ou des expositions qui montreraient la part de ces diverses populations dans la fabrication et l’entretien du lien social à Montpellier susciteraient un intérêt certain auprès des diverses couches de la population, y compris les scolaires, surtout si c’est en lien avec la recherche universitaire. Une équipe est en train de se reconstituer dans cette perspective. Toutefois, il serait souhaitable d’élargir l’horizon de la nouvelle structure aux rapports avec tout le Maghreb et pas seulement avec l’Algérie. Cette approche aurait l’avantage d’éviter une crispation diplomatique sur les rapports franco-algériens et de subir l’hostilité des associations algérianistes.

Un musée, ou même simplement un espace permanent affecté à des expositions, des échanges, des conférences sur le Maghreb destinés au grand public, serait par définition un lieu de médiation entre un discours savant vulgarisé par les spécialistes et les attentes du public en quête de connaissance, de mémoire et d’histoire ; Il y a place à Montpellier pour un tel espace sur la façon dont les rapports avec le Maghreb configurent l’identité, l’humanité et la sociabilité de la ville. La réalisation d’un tel musée permettrait aussi à Montpellier de valoriser la place active qu’elle occupe en Méditerranée occidentale.

Montpellier dispose d’atouts pour réussir l’opération, notamment la présence de la conservatrice qui avait conduit avec compétence le projet arrêté en 2014. Elle a ensuite suivi l’opération de dépôt au MUCEM de Marseille des collections rassemblées par le MHFA, et surtout accompagné la valorisation de ce dépôt depuis trois ans par des conférences et expositions. Par ailleurs, plusieurs membres de l’ancienne équipe scientifique du MHFA sont disponibles pour apporter leur contribution au développement du nouveau projet et enrichir le réseau sur lequel il s’appuierait (équipe locale dans le cadre d’un conseil scientifique national ?)

Le projet est attentivement suivi par le maire de Montpellier et ses collaborateurs d’une part et par l’Elysée d’autre part où une équipe à été mise en place sous la direction d’une conseillère d’Etat chargée de mettre en œuvre les préconisations du Rapport Stora. Une réunion de travail a eu lieu en juin à Montpellier et a débouché sur la décision de confier à un bureau spécialisé une étude de faisabilité qui devrait être rendue à l’automne.

*Je partage le sentiment exprimé par plusieurs intervenants au cours de ce débat sur le fait que le rapport Stora accorde une place peut-être trop importante aux antagonismes mémoriels hérités du temps colonial et de la guerre d’Algérie. J’ai essayé de faire comprendre à mes différents interlocuteurs que le débat débridé et décomplexé qui se développe aujourd’hui en France sur l’islam et les musulmans, y compris sous la forme de caricatures inadaptées au public scolaire, nuisait plus à l’apaisement des mémoires et des imaginaires dans l’espace franco-maghrébin que la méconnaissance de l’histoire de la guerre d’Algérie, dont les derniers combattants algériens et français auront 80 ans en 2022. Du moins, le problème n’est pas seulement historique.

 

II. Résumé de l’intervention de Hassan Remaoun

Voici les points essentiels abordés par Pr. Hassan Remaoun, lors de cette rencontre en tenant compte des difficultés de connexion que nous avons pu avoir.

Point 1 :

Tout d’abord, certaines interventions de nos collègues ont mis l’accent sur le fait que les questions de mémoire dans les relations entre la France et l’Algérie aient tendance à être surestimées. Sans doute parce qu’il y a des courants d’opinion divers dans les deux sociétés, qui ont intérêt à instrumentaliser le débat à des fins politiques et électoralistes et ceci nous le savons assez. Il ne faudra pas perdre de vue pour autant que la question du rapport au passé est sérieuse en Algérie notamment au vu de la spécificité de la colonisation menée en Algérie. Celle-ci ne correspond pas tout à fait au type de colonisation mercantiliste et de peuplement qui se déploie, disons entre les XVIe et XVIIIe siècles à partir de l’Europe (Amérique, Australie, Afrique du Sud…) et qui pouvait se traduire par une large marginalisation ou même extermination des populations locales. Elle ne correspond pas non plus à la forme ultérieure de type semi-colonies et protectorats, plus marqués à la lisière des XIXe et XXe siècles, par l’exploitation de ressources, en relation avec l’évolution capitaliste qui fera suite aux processus de révolution industrielle en Europe (Chine, Indochine, Afrique sub-saharienne et autres pays du Maghreb).

Le contexte français en Algérie à partir de la 1ère moitié du XIXe siècle est marqué par une violence particulière contre les populations locales et déstructuration profonde, avec une destruction de la société traditionnelle, aussi bien en ce qui concerne sa base économique dans les campagnes notamment où vivaient 95% de la population que dans ses modes d’encadrement et d’expression idéologique (dépossession foncière et effondrement des tribus et des confréries religieuses…). Nous avons ainsi des phénomènes que nous ne retrouvons avec une telle ampleur, ni en Tunisie, ni au Maroc, occupés à la lisière des XIXe et XXe siècles, où l’Etat et les élites traditionnelles ont été relativement préservées, ainsi que la langue arabe éradiquée pour l’essentiel du système d’enseignement en Algérie.

Point 2 :

Le rapport à la mémoire et aux représentations identitaires ne peut qu’être marqué par un traumatisme profond et les séquelles d’une violence physique et symbolique sur les populations, qu’on ne retrouve pas dans toutes les anciennes colonies ce qui expliquerait la radicalité du Mouvement national puis des mesures prises suite à l’indépendance du pays et dont l’impact se perçoit jusqu’à nos jours.

A cela, il faudra ajouter le fait qu’on a tendance souvent à réduire le contentieux entre la France et l’Algérie, aux effets de la Guerre de libération (1954-1962), alors que la réalité est marquée par un passif des plus lourds et remontant jusqu’en 1830. Le débarquement du corps expéditionnaire français, la terrible répression subie par la population locale en résistance, et sa marginalisation, ainsi que le statut dominant octroyé au peuplement venu d’Europe ou assimilé auront profondément marqué les caractéristiques de la société, du Mouvement national qui verra le jour ensuite et en fin de processus de la Guerre de libération.

Hassan Remaoun ne manque pas de signaler ici que ce jour du 19 juin 2021 marque à lui seul la date anniversaire de deux évènements particulièrement traumatisants au point d’imprégner encore la mémoire des vivants :

  1. Les enfumades le 19 juin 1845 dans des grottes du Dahra opérées par l’armée française contre une tribu de plus de 1000 personnes et son bétail y cherchent refuge face aux soldats qui les pourchassaient, et c’est loin d’être un massacre unique en son genre.
  2. L’exécution par guillotine le 19 juin 1956 d’un 1er combattant pour la cause nationale, Ahmed Zabana et qui sera suivie par des milliers d’autres. Nous ne nous étendrons pas ici sur les 130 années de colonisation…

Point 3 :

On ne peut parler de questions liées à la mémoire et aux représentations identitaires sans faire référence au travail des historiens qui effectivement, et le rapport Stora le souligne suffisamment, peut beaucoup contribuer à la clarification des séquences du passé qui nous hantent encore au présent. Sans trop nous attarder la-dessus, nous rappellerons cependant ici que la mémoire ne s’appuie pas toujours sur les travaux d’historiens et qu’elle a ses propres normes de fonctionnement. De plus si la mémoire est un phénomène universel, dont on peut trouver trace dans chaque société humaine, ce n’est pas le cas pour l’historiographie critique par essence et qui a besoin de conditions bien particulières pour émerger, et encore plus pour déployer les résultats de ses approches dans l’espace social, très souvent dominé par la sacralisation de la mémoire et la prégnance des mythes plus ou moins fondateurs. Toujours est-il que le travail des historiens originaires des deux rives de la Méditerranée commence à s’affirmer et il ne pourra qu’être au moins en partie porteur à moyen et à long terme. Ceci nous renvoie aussi à deux questions importantes, celle des archives et celle de l’enseignement et des problèmes scolaires, abordées aussi dans le rapport Stora.

Point 4 :

Pour ce qui est des archives, la question a certes progressé depuis 1962, mais il existe encore un contentieux qu’il faudra régler dans l’intérêt bien compris des deux Etats et bien entendu de la recherche qui mobilise les historiens en vue de la possibilité d’y accéder dans les deux pays et à des fins essentiellement de savoir scientifique. Aussi couteuses financièrement parlant soient-elles, les possibilités informatiques et électroniques disponibles de nos jours devront largement être investies, en prenant en compte évidemment et de manière équitable les impératifs de souveraineté et ceux liés à la gestion quotidienne des infrastructures et des personnes. Je ne rappellerai ici que le cas des milliers de victimes des mines anti-personnelles (les archives n’ayant été remises qu’en 2007), ou celui des explosions nucléaires dans le Sud algérien dont les effets continuent encore à se faire ressentir dans le pays. Des états des lieux et de nombreuses négociations ont été menés à ce propos depuis des décennies déjà avec quelques résultats qui devraient être consolidés dans l’intérêt des deux parties, et cela devient pressant.

Point 5 :

La question de l’enseignement de l’histoire se pose bien entendu de façon différente dans les deux pays, vu la spécificité des mémoires et des processus de légitimation propres à chacun d’eux, et l’assise des structures étatiques et citoyennes remontant à des siècles en France et seulement à quelques décennies en Algérie. Il n’y aurait à ce propos qu’à rappeler que la Révolution française a attendu près d’un siècle pour être enseignée dans son pays d’origine, alors que la Guerre de libération en Algérie le sera très vite après l’indépendance du pays, de même que les trajectoires pédagogiques empruntées dans les deux Etats divergeront largement, le rapport à la période coloniale étant vécu très différemment dans chacune des deux sociétés. Ceci entrainant dans l’ancienne métropole tantôt une glorification (œuvres civilisatrices et colonisation « positives »), tantôt une marginalisation et tendance à l’oubli d’anciennes possessions devenues étrangères et dérangeantes, tandis que dans les anciennes colonies, les voies de la consolidation du sentiment national transitaient par la dénonciation de l’oppression et la glorification de la résistance autochtone ainsi que de la restauration de l’identité agressée.

Le travail des pédagogues dans ce domaine prendra du temps, surtout face aux contraintes étatiques ici et là pour concilier les exigences plus idéologiques pour imprégner les jeunes générations d’une mémoire nationale, et celles plus exigeantes d’une historiographie portée par la pensée critique. La question de l’élaboration des manuels et des possibles convergences entre programmes scolaires demeurera donc longtemps encore tributaire aussi bien de représentations que se feront les Etats de leurs impératifs identitaires et de souveraineté, que du rigoureux et méthodique travail de recherche que tentent de mener des historiens dans les deux pays (ce qui renvoie encore à l’accès aux sources fiables et aux archives).

En tout état de cause le volume horaire d’enseignement des programmes d’histoire est trop réduit dans les deux pays pour permettre des solutions complétement satisfaisante, et il faudra imaginer d’autres formes d’intervention à portées pédagogiques. On pourra citer le film documentaire, et le livre de vulgarisation et pourquoi pas le passage par la fiction romanesque et cinématographique, les conférences, l’art et la visite de musées thématiques à édifier et à ouvrir largement aux enfants des écoles, comme d’ailleurs aux adultes (une idée dans laquelle Jean-Robert Henry s’est largement investi avec notamment le projet du musée de Montpellier). Bien entendu tout cela dans le cadre de systèmes éducatifs qui cibleraient une promotion de l’esprit citoyen allié à une pensée critique, ce qui nécessiterait un combat de tous les jours, avec les moyens disproportionnés entre les 2 pays (c’est le cas des visites de musées par exemple dont la tradition est beaucoup plus ancrée en France).

Point 6 :

Il existe certainement d’autres questions non complétement résolues et qui sont à mettre au compte du passif colonial, et Hassan Remaoun ne dira ici que quelques mots pour ce qui est de deux d’entre elles, dans une large mesure, liées à la recherche de témoignages disponibles et à l’occasion aux archives.

  • La question des disparus qui a été à l’origine de pas mal d’enquêtes sans épuiser tous les cas posés par les proches. Il y a les Algériens dont on sait qu’ils étaient plus de 3000 à Alger seulement lors de la grève des 8 jours et de la Bataille d’Alger qui s’en suivi à partir Janvier – février 1957. Si le cas d’Alger est largement connu, ce nombre devra largement être démultiplié à l’échelle du territoire algérien ou les découvertes d’ossement enterrés dans des fosses commune à la suite d’exécutions sommaires continuent à être signalés jusqu’à nos jours. Les Européens d’Algérie et des Harkis ont eu aussi leurs disparus, notamment durant la période de passation des pouvoirs en 1962 entre autorités coloniales et FLN. On cite notamment la provocation du 5 juillet à Oran dont les origines n’ont pas été suffisamment élucidées et ou les tueurs de l’OAS avaient largement sévi jusque-là aggravant à l’excès les ressentiments entre les populations. Il est nécessaire que les autorités et les historiens des deux pays continuent leurs investigations pour que soit mis fin aux deuils de familles et de toutes les populations qui d’une manière ou d’une autre ont été profondément marquées par les tourments provoqués par la mésaventure coloniale et ses effets. Quelques soixante années après l’indépendance de l’Algérie toutes les victimes encore vivantes doivent autant que possible bénéficier du droit à l’apaisement, avec d’éventuelles réparations.
  • La question des séquelles des 17 explosions nucléaires, opérées par l’Armée française dans les années 1960 (avant et après l’indépendance du pays), n’a que trop duré aussi. Il faudra absolument que les discussions menées entre les deux Etats, aboutissent au plus vite à la décontamination des sites touchés par ces essais, et à une juste réparation des préjudices subis par les populations et prise en charge médicale des victimes encore en vie de ce véritable cataclysme d’origine humaine.

Point 7 :

Tous les aspects signalés dans cette brève contribution, ont été abordés par Benjamin Stora dans son rapport remis au Président Macron. Le travail de Stora très fouillé et son expertise en histoire des relations franco-algérienne y est pour beaucoup, constitue une synthèse, à de l’avis du conférencier, pertinente pour aller dans la voie de l’apaisement. Comme en France, en Algérie même ce rapport a été accueilli de différentes manières, allant de l’insatisfaction chez certaines franges de l’opinion à l’accueil favorable chez d’autres franges.

Il s’agit d’un texte rappelons-le, ce que tout le monde n’avait pas perçu, dont l’objectif ne consistait pas en une réécriture de l’histoire de la colonisation française en Algérie, mais qui répondait à une commande de l’Etat français pour l’éclairer quant aux positions et agenda que ce dernier pourrait arrêter pour progresser dans l’assainissement des rapports franco-algériens, encore tributaires des séquelles du passé colonial. Il a donc été rédigé de façon à être aussi exhaustif que possible et en tenant compte du poids dans la société française des différentes catégories encore concernées par la mémoire dans les rapports au passé français en Algérie. De ce point de vue, il essaie d’être pragmatique et de proposer des mesures qui soient effectives tout en relevant de l’ordre du possible en attendant que le temps puisse contribuer à faire progresser vers plus de reconnaissance par les différentes composantes de la société française des méfaits et crimes coloniaux. Nous attendons qu’un texte équivalent précisant les positions algériennes soit élaboré, comme cela semblait avoir été annoncé. Il a été récemment déclaré par M. Chikhi, conseiller présidentiel sur la question, qu’une conférence sera convoquée pour arrêter un « programme sur la mémoire ».

Le temps devrait aussi aider à mettre en évidence, le fait pour les Algériens, qu’en arrachant la libération de leur pays, ils ont pour l’essentiel, lavé l’opprobre coloniale dont ils ont été l’objet. C’est à l’Etat français et à ses citoyens de décider, s’ils seront en mesure de se libérer définitivement un jour et pour leur propre honneur, de l’emprise de l’idéologie et de la glorification du passé colonial telles qu’elles continuent à hanter encore de larges franges de leur société. Puisse le rapport Stora aider dans la progression vers ce type de solution !

En tout état de cause, la contestation par des associations des hommages accordés dans les anciennes métropoles coloniales à des acteurs liés aux conquêtes coloniales et à la promotion de l’esclavage remontant à la période mercantiliste et à l’économie de traite, peut constituer un indicateur quant aux avancées qui sont déjà en cours.

Ceci, bien entendu, sans oublier que le solde du passé colonial est aussi tributaire du solutionnement des postures d’inégalités, occupées par les uns et les autres dans la balance des rapports Nord-Sud qui continuent encore à dominer les enjeux planétaires.

 

III. Rappel résumé des propos tenus par le Modérateur de la Conférence : Ahmed MAHIOU

Point 1 :

En intervenant dans le débat, A. Mahiou a d’abord souligné la complexité des rapports algéro-français, sur les problèmes mémoriels, comme l’ont expliqué les deux conférenciers, Jean-Robert Henry et Hassan Remaoun pour plusieurs raisons et il serait trop long de vouloir en rendre compte. Aussi, il s’est limité à souligner quatre raisons principales.

  • D’une part, il y a eu 132 ans de relations entre un pays colonisateur et un pays colonisé, période pendant laquelle les confrontations ont été incessantes, qu’il s’agisse de terribles guerres proprement dites ou d’autres formes de domination et de résistance plus ou moins violentes. Cela ne peut évidemment que laisser des mémoires conflictuelles, communes d’ailleurs aux multiples colonisations entreprises par la France et d’autres pays européens dans d’autres parties du monde.
  • D’autre part, il y a une particularité de la colonisation française, comparée notamment à la colonisation anglaise (indirect rule), en ce sens que les colonisateurs français prenaient en main la gestion totale du pays occupé, alors que les colonisateurs anglais se contentent de contrôler la gestion du pays sur le plan des relations extérieures, en laissant en place les autorités locales et en respectant leur mode de fonctionnement interne, mais tout en veillant à ce que cette gouvernance ne contrevienne pas à la domination coloniale.
  • Ensuite, il y a une particularité de la situation algérienne, par rapport aux autres colonies françaises, dans la mesure, y compris les voisins maghrébins directs (Maroc et Tunisie), à partir du moment où une colonisation de peuplement a été largement engagée (au point qu’à la veille de l’indépendance de l’Algérie, la population européenne représentait environ 1 million de personnes, soit 10% de la population du pays), alors que dans toutes les autres colonies elle était beaucoup plus modeste.
  • Enfin, la dernière et la plus importante particularité est que la France a tenté d’assimiler l’Algérie en niant en quelque sorte son existence, d’abord en la transformant en trois départements français, puis en proclamant, dans les années 1950-60, la thèse de l’Algérie française, intégrée à la Métropole. Il est loisible de rappeler le fameux slogan : « la Méditerranée sépare la France de l’Algérie comme la Seine sépare Paris en deux rives ! »

Point 2 :

Cette histoire longue a entraîné des influences et des intrications respectives, heureuses ou malheureuses entre les deux pays. On peut illustrer cela en prenant simplement trois exemples.

  • Le premier est celui des archives.
  • Le second est celui du canon Baba Merzoug
  • Le troisième est celui des essais nucléaires au Sahara, entre 1960 et 1966, qui nécessite d’avoir accès à ces archives nucléaires, notamment pour identifier leurs conséquences sur l’environnement etl’indemnisation des éventuelles victimes. Certes un assouplissement des restrictions dans l’accès aux archives « secret-défense » est intervenu, mais il n’en demeure pas moins que divers obstacles empêchent un réel et libre accès pour les documents de nature à donner les informations nécessaires pour faire un bilan objectif sur ce dossier et ses conséquences antérieures ou présentes.

Si Emmanuel Macron a annoncé la facilitation de l’accès aux archives au-delà de la guerre d’Algérie et de la période coloniale jusqu’à l’année 1970, ces mesures d’assouplissement ne règle pas le problème de l’accès à ces documents qui bénéficient d’«un verrou supplémentaire ». A titre d’exemple, Patrice Bouveret, Directeur de l’Observatoire des armements, signale dans le journal Le Monde un verrou qui limite l’accès aux informations sur les dix-sept essais nucléaires que la France a réalisé au Sahara entre 1960 et 1966 et, bien sûr, sur leurs conséquences sanitaires et environnementales.

Pour Patrice Bouveret ces archives nucléaires sont, en quelque sorte, frappées d’une « double peine » : les freins administratifs liés à l’application plus étroite des précautions en matière de sécurité mais aussi à travers la loi de 2008 selon laquelle les archives publiques sont librement consultables au bout de cinquante ans, exceptées celles qui portent sur la fabrication ou la localisation d’armes nucléaires. Si cette mesure de sécurité élémentaire paraît évidente à première vue, elle interdit aussi d’explorer la question des irradiés, victimes de ces expériences françaises : Algériens employés sur place, populations alentours et militaires, appelés ou engagés, et mobilisés sur les sites sahariens. Les déchets de ces essais nucléaires et leurs retombées toxiques sont toujours là, après la restitution des sites à l’État algérien en 1967 (le matériel contaminé avait simplement été enterré sous quelques mètres de sable). Un dossier qui pèsera de plus en plus lourd dans les relations algériennes, avec une négligence française admise et le malaise d’un État algérien qui avait concédé dans les accords d’Évian, l’usage des sites nucléaires du Sahara pour une période de cinq ans.

S’il est normal que l’Algérie ne puisse pas avoir accès aux secrets de conception des armes nucléaires développées à l’époque par la France, elle est en droit d’accéder aux documents donnant de nécessaires et utiles informations sur les retombées de ces essais, indispensables aux victimes et à leurs proches pour faire valoir leurs éventuels droits à une réparation.

Un travail d’histoire indispensable sur les relations franco-algériennes, n’apparaît pas faisable sans mise à ce jour et modification de la loi de 2008.

Point 3 :

Les mérites du Rapport Stora

Le premier mérite est celui de son existence pour servir de base à une approche apaisée de l’histoire, plus que tumultueuse, des relations franco-algériennes, depuis le débarquement français sur une plage d’Alger, qui remonte à bientôt deux siècles (juillet1830).

Point 4 :

En conclusion, il tient à remercier toutes les personnes associées à cette rencontre du 19 juin 2021.

  • Tout d’abord, l’ancienne présidente et le nouveau président de Coup de soleil PACA, qui ont décidé de relancer l’Association restée inactive depuis le début de la pandémie. Il faut espérer que, non seulement, les obstacles à cette relance s’atténuent, mais disparaissent pour de nouvelles rencontres ainsi que d’autres activités puissent avoir lieu prochainement.
  • Ensuite nos deux conférenciers, qui sont deux grands connaisseurs et spécialistes des relations anciennes et actuelles franco-algériennes, dont ils ont rappelé et évalué l’intérêt et la complexité.
  • Enfin les participants en présentiel ou par visioconférence et leurs interventions respectives

IV. Quelques notes de Claude BATAILLON (participant par visioconférence)

  • Rappel de l’exposition au Musée de Rouen sur l’école en Algérie (un article sur cela dans les « archives » du site de Coup de soleil, qui espère-t-on verront bientôt à nouveau le jour)
  • Rappel du rôle essentiel du Senatus Consulte (législation démembrant les terres collectives des tribus et en attribuant des morceaux aux opérations de colonisation) dans la déstructuration des sociétés rurales algériennes
  • Rappel du mécanisme très précoce de l’émigration vers la métropole dans cette déstructuration
  • Les élites algériennes ont été beaucoup plus que dans d’autres colonies transformées et beaucoup plus vite, déstructuration / acculturation exceptionnelles
  • Une arabisation scolaire plus traumatique que dans les deux protectorats

En conclusion la possibilité de s’exprimer sur des thèmes originaux pour plusieurs des assistants « en présentiel » a beaucoup enrichi cette séance, en plus de deux exposés importants. Une preuve tangible de la vitalité du milieu marseillais de Coup de soleil.

V. Communiqué de la section de Toulouse

Séance de conférence débat, organisée par Coup de soleil Marseille le 19 juin sur le rapport Stora (Claudine, Claude et Françoise depuis Toulouse y assistaient). Public en présentiel d’une quinzaine, nombre d’écrans » ouverts en distanciel au moment maximum : environ 60. Donc une prouesse technique et une séance d’une richesse exceptionnelle. Un exposé de Jean Robert Henry, un autre de l’historien Hassan Remaoun (très peu audible par ailleurs) depuis Oran. Ces deux exposés vont être mis en ligne prochainement. Plusieurs intervenants « en présentiel » commentent les spécificités de ce que fut la colonisation en Algérie (seule « colonie d’assimilation » dans l’histoire depuis le 18e siècle), les possibilités actuelles de mettre à plat les problèmes mémoriels, les espoirs raisonnables de voir naître un Musée des deux rives de la Méditerranée à Montpellier, consacré aux trois pays nord-africains et sans y impliquer directement ces trois Etats.

Textes rassemblés et compilés par Hafid TABET

Président de la section Coup de Soleil PACA