Arrêtées, frappées à terre, jetées dans la Seine, plus d’une centaine de personnes furent assassinées.
Longtemps, ce massacre a été occulté.
Ce ne fut pas le seul. Le 8 mai 1945 et les jours qui suivirent, le pouvoir colonial français arrêtait, bombardait, tuait des milliers d’Algériens qui, inspirés par la toute fraîche victoire de la liberté, réclamaient la leur.
Cette date marque le début « d’événements », puis d’une guerre qui de 1954 à 1962 devait séparer nos deux pays, emportant tant de vies sous le rouleau compresseur des bombardements, des attentats, de la torture, des enlèvements, des camps, des assassinats, des ratonnades et de l’exil.
Ce fut une guerre d’une grande violence, nourrie par l’attachement narcissique à l’Empire, le racisme colonial, et une soif de liberté et d’autodétermination d’un peuple colonisé.
Nous portons toujours, collectivement et individuellement, les stigmates de ce conflit ravageur. Le 15 février dernier, candidat en déplacement en Algérie, le nouveau Président de la République française qualifiait la colonisation de « crime contre l’Humanité ». Au-delà des débats sur la validité juridique de cette expression utilisée pour qualifier l’abomination du colonialisme, les réactions violentes qu’elle provoqua en France témoignent bien « d’une névrose française ». Cette agressivité et cette incapacité à parler du passé sont le fruit d’un silence et de mémoires conflictuelles, trop longtemps entretenus. Des blessures non soignées, legs des violences et des exils, continuent de miner le corps social. Elles poussent nombre d’entre nous vers la haine et le racisme et nous empêchent tous de respirer.
Mais nous sommes aussi cette France métissée et cette Algérie qui, dans sa diversité, souhaitons aujourd’hui lire la page du passé pour se parler.
Nous, jeunesse de France et d’Algérie, nous voulons construire des liens pour parler avec calme et sans acrimonie de ce que fut ce régime colonial dans lequel la France bafouait tous ses principes, de ce qu’il s’est passé à Dahra en 1845, à Sétif cent ans après, dans les Aurès et à Alger pendant la Guerre d’Indépendance, à Paris en 1961, à Oran en 1962, à la ferme Ameziane ou à la villa Sessini, à MontLuc ou Rivesaltes, du sort qui attendait ceux qui durent prendre la route de l’exil.
Nous voulons construire des projets en commun, des récits apaisés qui reflètent la pluralité des histoires et que seuls guident la vérité et la justice pour lutter contre les discours racistes et négationnistes.
Nous voulons construire des avenirs qui nous permettent enfin de nous rencontrer, nous parler, voyager et étudier ensemble.
Nous voulons construire des ponts pour découvrir Paris, Oran, Bejaia, Lyon, Alger, Lille, Sétif et Marseille, apprendre l’arabe, le français et le tamazight sans craindre les foudres de ceux qui voient dans l’Autre, non une chance, mais leur propre perte.
L’expérience franco-allemande nous offre aujourd’hui des modèles pour surmonter les tourments du passé. Après trois guerres sales et sombres, nous célébrons cette année 72 ans de paix, un couple moteur d’un rêve européen appuyé sur des jeunesses connectées. Dans ce processus, il nous parait essentiel de saluer le rôle joué depuis 1963 par l’OFAJ[1] dont la création, le dynamisme et l’efficacité nous ont ouvert tant de portes que nous croyions fermées.
C’est ce modèle qui aujourd’hui inspire la réconciliation dans les Balkans où tant d’espoirs et d’efforts ont été placés dans RYCO[2] pour que des jeunes dont les parents s’entretuaient puissent croire en un avenir débarrassé de la haine.
C’est pourquoi, prêts et inspirés par ces expériences, nous appelons ardemment de nos vœux la création d’un Office Franco-Algérien/Algéro-Français de la Jeunesse et vous appelons, Messieurs les Ministres, à porter à ce projet l’attention, l’ambition et les moyens à la hauteur des enjeux et du travail à accomplir.
Cet outil actera la réconciliation, mettra les institutions et la société civile au travail pour investir dans la jeunesse et dépasser les tensions.
Depuis l’Antiquité, l’espace méditerranéen est un cœur battant au sein duquel la circulation des êtres humains, des idées et des biens rythme et nourrit notre enrichissement mutuel. Depuis 55 ans, une partie de cet espace semble s’être refermé et cela nie notre histoire et la réalité de nos identités. Il est plus que temps d’ouvrir ces portes.
Associations en France: Dominique Sopo, Président de SOS Racisme – Hassan Benhsain, Président de la FIDL – Fédération Indépendante et Démocratique et Lycéenne – Clara Jaboulay, Présidente de l’UNL – Union Nationale Lycéenne – Lilâ Le bas, Présidente de l’UNEF – Union Nationale des Etudiants de France – Jimmy Losfeld, Président de la FAGE – Fédération des Associations Générales Etudiantes – Samy Chelli, Président de l’UEAF – Union des Etudiants Algériens de France – Benjamin Lucas, Président des Jeunes Socialistes – Aurélien Sebton, Président de l’UDI Jeunes – Florian Humez, Président des Jeunes République En Marche – Célia da Costa Cruz et Hugo Cordier – Co-secrétaires des Jeunes Ecologistes
Associations en Algérie: Firas Ferhat, Président de CIVIC Oran – Comité d’initiative et de Vigilance Citoyenne – Nourdinne Benissad, Président de la LADDH – Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme – Metair Kouider, Président de Bel Horizon (Oran) – Nadira Benketira, Présidente de Graine de Paix – Ali Mansouri, Président de l’ADCE – Association de Développement des Capacités des Etudiants – Abdelouhab Fersaoui, Président de RAJ – Rassemblement Actions Jeunesse
Initiative soutenue par: Mustapha Bouras, Président du CEFIR, Alain Desjardin, Président de la 4ACG – Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis contre la Guerre – Jacques Pradel, Président de l’ANPNPA – Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis.- George Morin, Président de Coup de Soleil – Hakim Addad, membre fondateur et ancien secrétaire général de RAJ.
[1]Office Franco-Allemand pour la Jeunesse.