Nouvel an berbère

A l’occasion du Nouvel An Berbère (Yennayer), les associations COUP DE SOLEIL PACA et MARSEILLE PLUS avec le soutien du Conseil de la Communauté des Algériens en PACA, ont organisé une soirée festive le vendredi 20 janvier 2023, à la Mairie XIII-XIV à Marseille (Salle du CAQ), avec au programme:

  • Yennayer dans la tradition et la culture berbères – Conférence donnée par Malika ASSAM: Maître de conférences Université Aix Marseille (Voir texte de la conférence ci-dessous)
  • Collation de bienvenue
  • Animation musicale avec le groupe ‘’A cordes et à Cœur’’
  

 

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Texte de la conférence donnée par Malika ASSAM, Maitre de conférences à l’IREMAM, Université d’Aix Marseille, à l’occasion de la soirée organisée par Coup de Soleil PACA, Marseille Plus et l’ACA, le 20 janvier 2023, à la Mairie du XIII/XIV à Marseille

Yennayer, le nouvel an berbère – Un évènement fêté en Afrique du Nord

Yennayer constitue un repère non seulement pour les populations berbérophones mais aussi pour l’ensemble des populations du Nord de l’Afrique appelé Maghreb depuis la conquête arabo-musulmane au VIIème siècle de notre ère. Et c’est un moment qui permet d’évoquer la longue histoire des Berbères, c’est- à-dire selon moi du Nord de l’Afrique dans son ensemble car ce moment articule les multiples dynamiques historiques et sociales qui ont traversé cet espace et donné sa spécificité actuelle par rapport aux ensembles dans lesquels il s’insère : l’Afrique, le monde arabo-musulman ou l’ensemble méditerranéen.

A travers ce moment très particulier de la mesure du temps au Maghreb, on peut voir les différents moments de l’histoire de cette région.

I. De l’histoire de Yennayer

Yennayer, c’était probablement au départ la célébration du solstice d’hiver, la nuit la plus longue de l’année (c’est-à-dire plutôt le 21/22 décembre). C’est le moment où le soleil reprend sa course ascendante, un moment très particulier pour l’ensemble des populations nord africaines qui nomment de manière similaire ce moment (yennayer, yennar ; nnayer), les mythes et rituels qui l’entourent se ressemblent malgré la diversité des milieux et des modes de vie des populations. Il révèle l’unité culturelle profonde du nord de l’Afrique de la méditerranée au Sahel au-delà des divisions politiques d’aujourd’hui.

Cela nous amène à une histoire des interactions entre les grandes civilisations de l’Antiquité.
Cette date est une réappropriation du militantisme berbère qui date de 1980. Dans les années 1960-1970, ils veulent montrer l’ancrage historique des berbères et lutter contre l’idée de peuple « premier », sans écriture et sans histoire…

1.1  Un peu de pré histoire

Que s’est-il passé en -950 ? Le Pharaon Sheshonq ou Chachnaq est alors intronisé comme Pharaon et il devient le 1er pharaon de la XXIIème dynastie égyptienne.

Pourquoi cet événement? Sheshonq est issu de populations libyennes orientales, c’est-à-dire les populations anciennes qui ont peuplé l’Afrique du nord dans la plus haute antiquité. Ils ont été en contact avec l’Égypte (contacts conflictuels avec des guerres mais aussi des échanges commerciaux, culturels…).

Chachnaq est donc devenu un « pharaon berbère ». Il a désormais sa statue érigée à Tizi-Ouzou. Certes on peut critiquer l’idée que Chachnaq était un pharaon berbère.
Les Libyens orientaux installés en Égypte étaient depuis des siècles égyptianisés. Mais l’événement a le mérite de rappeler que ces ancêtres des Berbères ont participé de l’histoire de la Méditerranée et ont été en interaction avec les Égyptiens mais aussi les Grecs. Ce qui a donné lieu à des échanges culturels dans les deux sens.

Mais entre cette époque de la plus haute antiquité et la reconstruction identitaire berbère/amazighe des années 1980, il y a d’autres phases historiques qui ont imprimé leur marque chez les Berbères et sur « Yennayer ».

1.2  Insertion de Yennayer dans les civilisations romaine puis arabo-musulmane

Avec l’insertion dans ces grands ensembles, plusieurs manières de se situer dans le temps se sont articulées. Comme on a pu le voir, dans les pays européens, Noël s’est superposé à cette fête du solstice pour être adapté au calendrier chrétien. Ce solstice a été adapté par ailleurs, au calendrier julien1 (du nom de Jules César) nord-africain pour célébrer le 1er de l’an et marquer le début du temps annuel mesuré par le rythme solaire

a) Ianiarius : 1er des 12 mois du calendrier julien

Depuis le IVème siècle av. JC, les royaumes numides et maures sont marqués par l’influence de Rome avant de perdre leur souveraineté et de constituer des provinces de l’Empire romain au Ier siècle av. JC. Dans ce contexte, le calendrier julien (calendrier solaire (12 mois, 365 et un jour intercalaire ajouté tous les 4 ans) se diffuse. C’est l’étymologie la plus probable de Yennayer, même si aujourd’hui circulent de nombreuses interprétations qui semblent très fantaisistes (tous les autres noms des mois sont des noms latins berbérisés). Il est bien attesté jusqu’à l’effondrement de l’empire romain au milieu du Vème, qui marque la fin de la présence de cités latinisés au Nord de l’Afrique.

Il semblerait que ce soit par l’intermédiaire de savants musulmans d’Andalousie que le nom soit revenu. En effet au VIIème, le nord de l’Afrique et la péninsule ibérique deviennent le Maghreb et al-Andalous.

b) Un calendrier agraire

Avec l’islamisation un nouveau calendrier lunaire s’est imposé. Mais il ne correspond pas aux rythmes imposés par la vie agricole. Le calendrier julien réapparaît à Cordoue. Il y est remanié par des agronomes et astronomes de l’Andalousie médiévale musulmane pour correspondre aux grandes étapes du cycle annuel de la végétation (Ibn el Awwâm, Livre de l’agriculture, 1175).

Ils adaptent alors les noms des mois latins. Or ces travaux sont diffusés dans toute l’Afrique du nord grâce à des ouvrages de vulgarisation rédigés par des Nord-Africains, comme As Susi (XVIIè), encore utilisé au début du XXème pour déterminer le premier jour du premier mois de l’année selon le calendrier julien (Maurétanie, Kabylie, Tunisie)

Les carnets des clercs mettent en correspondance les mois de la liturgie musulmane et les mois juliens. Ils indiquent les périodes de grands froids, de grandes chaleurs (lyali, smayem), les pluies d’avril (nisan)… La réforme grégorienne qui décale l’année de 12 jours en Occident, explique le décalage avec le calendrier julien.

c) Rapport avec les monothéismes : une fête qualifiée d’impie

Le maintien de cette fête est critiqué par certains. Sous l’empire romain, on assite à un processus de christianisation qui touche aussi les populations africaines. Certains des grands Pères de l’Église, théologiens très importants, sont issus de ces familles africaines christianisées : Tertullien qui a vécu entre 150 et 230 environ, mais aussi le plus connu Saint Augustin évêque d’Hippone (354-430). Yennayer est alors dénoncé comme une survivance païenne qui nuirait au bon chrétien. C’est aussi le cas de certains savants musulmans (l’andalou Muhammed Wadah el Qurtubi, mort en 900 à Cordoue) dans un ouvrage qui condamne la bid’a (innovation en religion, hérésie) et voit dans Yennayer une pratique contraire à l’islam. Pour lutter contre ces pratiques populaires, ils introduisent une nouvelle fête : le mulud qui célèbre la naissance du prophète. Les Berbères ont adopté la fête du mouloud mais sans abandonner Yennayer.

1 Calendrier créé par un astronome alexandrin Sosigène et officialisé à Rome par Jules César en l’an 45 av JC et imposé par Auguste dans tout l’empire romain.

 

II.  Yennayer pour affirmer la diversité du Maghreb

Au XXème siècle, ce sont d’autres enjeux que les enjeux religieux qui se jouent.
Le rapport au fait berbère au sein des nationalismes maghrébins est difficile. Il est fortement marqué par les impacts des constructions idéologiques de l’époque coloniale, qui ont interprété la différence de langues au nord de l’Afrique comme une différence de races. Cette différence a servi à la politique coloniale du « diviser pour mieux régner ». Ainsi, quand les mouvements nationalistes modernes se constituent à partir de l’entre- deux-guerres mondiales, dans le cadre de la lutte anticoloniale, la berbérité devient taboue car elle ne correspond pas au récit national arabe et musulman. La diversité culturelle est interprétée comme un signe de division.
A l’indépendance, des politiques culturelles sont mises en place dans tous les États du Maghreb, politiques qui refoulent totalement leur dimension berbère ou amazighe.
La militance amazighe se développe alors, en particulier en émigration à l’image de l’Académie Berbère Agraw Imazighen. Parmi ces militants, Ammar Negadi, un amazigh chaoui crée en 1980 le premier calendrier amazigh, associé pour la première fois à l’intronisation de Chachnaq comme pharaon d’Égypte : 1980 correspondra désormais à l’an 2930 de l’ère amazighe.

 

III.  Yennayer : aujourd’hui

La lutte pour la cause amazighe se poursuit au sud de la Méditerranée de manière plus visible à partir du « Printemps berbère » de 1980
La célébration de Yennayer qui était plutôt une fête familiale se diffuse hors de ce cadre habituel, dans le cadre associatif y compris en émigration. Sous l’impulsion de très nombreuses associations berbères présentes en France, on organise des événements, des journées culturelles qui permettent d’afficher des revendications identitaires et parfois politiques ; elles mettent en scène également la culture berbère. Ces événements comprennent des conférences autour de la culture berbère, autour de différentes thématiques l’histoire, la politique et plus largement les questions de langues et de culture et de production culturelle (littérature cinéma…). Les dîners et les soirées dansantes permettent aux membres des associations de se retrouver. On peut aussi assister à des concerts avec la participation d’artistes amazighs.

En parallèle, les actions militantes ont permis d’obtenir des concessions de la part des États du Maghreb : l’amazighité est institutionnalisée par les États maghrébins de manière progressive à partir des années 1990. En 2002, tamazight devient langue nationale en Algérie, puis en 2016 langue officielle. Au Maroc, l’amazighe est érigé en langue officielle en 2011.

Dans ce cadre, les institutions commencent à prendre en charge des célébrations de Yennayer.

En Algérie, en 2018 le nouvel an amazigh est même officialisé comme journée nationale chômée et payée. Même si un des objectifs est d’affaiblir la charge mobilisatrice de la revendication amazighe, cela a permis une grande visibilité à l’affirmation identitaire amazighe et légitimé ses revendications.
On peut néanmoins craindre des phénomènes de folklorisation ou de transformation en fête commerciale à l’instar des célébrations de Noël en Europe…

 

IV.  Déroulement de Yennayer dans la tradition et la culture berbère

Elle célébrait le début du rallongement des jours, le retour de la lumière, en bref le renouveau qui s’annonce pour l’année à venir.
C’est d’ailleurs un repère partagé par de nombreuses civilisations anciennes. Inspirés de leur expérience, de leur observation de la nature, les paysans du Nord de l’Afrique essayaient d’obtenir de bonnes récoltes.

Ils ont intégré ces observations dans leurs traditions propres, les croyances et les mythes. Par exemple, on dit en kabyle « ad ffɣen iberkanen ad kecmen imelalleni” (que les jours noirs finissent et que commencent les jours blancs). Chez les Touaregs, on retrouve ces jours blancs à travers un hiver blanc et un hiver noir, désigné ainsi en lien avec la production et les échanges agricoles. À Yennayer, on termine les récoltes de l’année précédente et il faut tenir jusqu’à l’arrivée des nouvelles récoltes.

Aussi la nuit du nouvel an est-elle vécue comme une nuit de basculement, un moment de passage, un moment de joie mais aussi de crainte (fin des provisions, peur de la famine)!
Des rites entourent donc ce passage. Cette fête du renouveau qui s’étale sur deux ou trois jours selon les régions, parfois plus, se caractérise par des prescriptions et des interdits :

          Avant Yennayer

  • Nettoyage et blanchiment de la maison ; renouvellement des ustensiles usagers
  • Fumigation de la maison et de l’étable pour chasser les mauvais esprits
  • Jeûne de 21 jours par les femmes âgées (Kabylie)
  • Réfection du foyer et changement des trois pierres (inyen)
  • Dépôt de grains de blé orge ou semoule dans différents coins de la maison (offrandes aux gardiens de la maison : iɛassasen): moulin, foyer, métier à tisser
  • Tapissage de la cour, du sol et de l’étable de plantes vertes
  • Première coupe de cheveu du garçon : pour qu’il grandisse plus vite
  • Prophylaxie corporelle par la coloration des sourcils avec la sève brûlée du genêt
  • Interdiction de moudre ; d’utiliser le balai pour balayer
  • Pas d’habits neufs mais des habits propres
  • Interdiction de donner du feu ou du levain aux voisins… (ne pas faire sortir ces ressources de la maison)
  • Interdiction de prononcer certains mots : tamara, laẓ (la nécessité, la faim)
  • Interdiction de déplacement y compris des bêtes qui restent dans les étables. Il faut prévoir des réserves suffisantes
  • Surveillance constante des provisions car les réserves fermées ne doivent pas être ouvertes.

    La veille et le jour de Yennayer

  • Attention portée au foyer : le feu ne doit pas s’éteindre ;
  • Interdiction de parler la nuit du basculement (Anti-Atlas) ;

Moment de fête : Cortège des garçons qui passent de maisons en maisons pour demander des

friandises (tiɣrifin, œufs durs, crèpes sèches : acebbwaḍ, aḥeddur, sucre). Dans la région de Tlemcen, on assiste aux mascarades d’enfants qui se déguisent en monstres et de maisons en maisons quémandent des friandises ; si on ne donne rien, la maison ne sera pas visitée par l’âme des ancêtres disparus (cf. Ayrad des Beni Snous)

Les repas de la veille (Imensi n yennayer) et du jour de Yennayer sont des repas importants.
Les plats préparés sont différents selon les régions. Le plus répandu est le couscous (au 7 légumes verts au Maroc ; aux légumes secs en Kabylie) ; on trouve aussi le cherchem (plat à base de fèves, pois chiches et blé dur consommé notamment dans l’ouest, l’Oranie) ; le Berkoukes (plat traditionnel du maghreb à base de pâte en forme de gros grains de couscous)

Ainsi, même si les ingrédients varient, on retrouve :

  • Les plats à base de semoule : beignets (sfenǧ), crêpes, couscous ou berkukes,
  • Les légumes secs (fèves, lentilles, pois-chiches trempés et gonflés)
  • La volaille ou autre animal égorgé : asfel (sacrifice aux vertus prophylactiques).

Il faut éviter les repas trop salés ou amers car le repas donne le ton pour ceux de l’année à venir. C’est aussi un repas de communion qui réunit toute la famille y compris les absents. On pose des assiettes pour eux (âmes des morts, gardiens invisibles et filles mariées).

L’interdiction de nettoyage s’explique par la peur de voir l’opulence partir avec la poussière ; il faut aussi laisser sa part à la fourmi et à l’oiseau…

Ce qui importe c’est de marquer l’opulence. Il faut être repu : selon le mythe de la “vieille” (tamɣart n yennayer ou yemma-s n ddunit; yemma meru en Libye), elle vient inspecter le ventre des enfants et s’il n’est pas assez rempli, elle risque de les éventrer pour les remplir de paille.
Yennayer est ainsi la journée la plus augurale de toute l’année. On essaie de lire des présages à partir de toute sorte de signes. Quatre petites marmites contenant du gros sel, déposées sur le toit des maisons, représente un des quatre premiers mois de l’année.

Le lendemain, on observe l’humidité et le degré de fonte du sel pour savoir en quel mois tombera la pluie. Dans la région de Cherchell, c’est une boule de pâte entourée de 12 petits tas de sel qui est utilisée. En Kabylie, on parle à l’oreille des animaux domestiques, en particulier à la paire de bœufs : on interprète leur réponse et en même temps, on les tranquillise sur la fin des jours noirs.

Yennayer constitue donc un repère pour les populations berbères qui vivent en communion avec la nature. Comme pour beaucoup de rites anciens, ce repère ancré dans les traditions populaires a été adapté aux divers calendriers qui se sont imposés par la suite.
Par exemple, cette année nous avons fêté « Yennayer 2973 »