Entretien avec Wassyla Tamzali, avocate et écrivaine, et Michèle Perrot historienne et enseignante Animation Loïc Barrière
L.B : « La tristesse est un mur entre deux jardins », pourquoi ce livre commun et qui de vous deux en a eu l’idée?
M.P : L’idée n’est pas de nous, elle nous a été suggérée par l’éditrice Odile Jacob, avec l’appui de Boris Cyrulnik. Deux femmes à la personnalité différente qui se rejoignent sur deux points essentiels : l’importance de l’Algérie dan nos vies et la conviction partagée de la portée universelle du féminisme.
Nous ne nous sommes pas rencontrées tout de suite et avons commencé le livre par courriel et à travers des appels téléphoniques. C’était un travail de résilience.
WT : Sur ce point, je ne suis pas entièrement en phase. Pour moi la résilience c’est l’effacement, l’oubli. Je préfère la notion de réparation. Un peu comme ces vases japonais* que l’on recolle avec de l’or. En matière de traumatisme et de politique je ne saisis pas le terme de « résilience ». La trace du passé doit rester. Et, à un moment, entre la France et l’Algérie la « réparation » n’est plus possible.
L’arabe est ma « langue absente » : même si je ne la parle pas, elle est là ! Assia Djebbar elle-même écrivait en français, c’était la langue de l’école. Et puis il y a un tabou sexuel dans la langue arabe qui n’existe pas en français comme l’affirme Mohamed Kacimi. L’arabe est perçue comme la langue de Dieu, elle est sacrée et donc taboue.Or c’est aussi une langue de plaisirs et d’amour.
MP: « Mee too » a été un évènement libérateur, mais pas une révolution, car le mouvement était déjà inscrit dans les années 70. « Notre corps », « Nous-mêmes ». La frontière a commencé à se déplacer lors de la lutte pour l’IVG et la contraception.Aujourd’hui, l’amour c’est « si je veux » !
Il y a une conscience plus aigue du corps, de ce qu’il n’appartient qu’à nous seules. C’est un pas vers l’indépendance. Les réseaux sociaux ont aidé à ce chemin vers l’indépendance mais ils ont engendré du meilleur et du pire ! Ils ont permis aux femmes de communiquer entre elles. « Moi = me », « Too = aussi ». Moi, mais AVEC les autres. Il y a un besoin de retrouver les autres femmes.
WT En tant que juriste je précise qu’il y a eu une révolution; L’affaire Weinstein a montré la limite de la notion de consentement. L’amour prédateur est condamnable par la justice sans qu’il soit nécessaire de prouver qu’il y a eu ou non consentement de la victime. On abandonne peu à peu la logique patriarcale née du mythe grec (voir « L’énigme »)
Désolée pour les hommes présents ici, mais la domination de la femme sur les hommes est une évidence, pourtant la loi les infériorise. On passe son temps à discuter via l’Islam. Or, ce n’est pas l’Islam qui domine les femmes mais le pouvoir que l’on donne aux hommes via une interprétation de l’Islam qui leur permet de dominer l’autre sexe.Il suffit de voir les hommes dans les rues, en apparence sûrs d’eux, qui miment une attitude virile.Il y a là un échec politique, une morale sexuelle basée sur des interdits plus que sur des préceptes religieux.
LB : Jusqu’au fait qu’une femme Premier Ministre soit choisie… par un homme !Le féminisme dépasse les frontières, Françoise Héritier explique comment la supériorité masculine est devenue une « norme ». Depuis un demi siècle on constate des progrès, la frontière la plus difficile à franchir pour les femmes est celle de l’espace public. On n’a pas toujours raison quand on est femme et on peut se tromper.
Le champ est ouvert et de nouvelles expériences s’annoncent.
*Le kintsugi « jointure à l’or » est une méthode japonaise de réparation de porcelaines qui date du XVème siècle