Le « Dahir berbère » de 1930 est la codification de toute la politique judiciaire et administrative menée par le protectorat français au Maroc en territoire « pacifié » au nom du sultan : cette pacification concerne des « tribus » autonomes (bled siba), vivant en zones montagneuses le plus souvent, de dialectes berbères, où la législation musulmanes n’était pas ou guère appliquée, donc sans fonctionnaires « coraniques » investis par le sultan, la coutume orale étant dite et appliquée par la jemaa « coutumière ». [Parfois la coutume était rédigée par des lettrés « arabes », transcrivant en caractères arabes des textes « berbères »]. Que faire quand les officiers français (et leur troupe généralement « berbère ») « pacifient » une tribu ? Plutôt que d’incorporer celle-ci à la loi musulmane (chraa) pratiquée par les agents du maghzen, les officiers « d’affaires indigènes » français qui assurent l’administration au nom du protectorat procèdent en dialecte berbère, avec traduction en français et non en arabe, à la rédaction des coutumes et des jugements prononcés par la jemaa : souci de « rationaliser » en vue d’une future application de législation « moderne » française, en même temps que souci de soustraire ces tribus à une légisation « rétrograde et corrompue »… ce qui aboutit à une accusation massive de vouloir « désislamiser » et christianiser des populations réputées peu islamisées [vision évolutionniste de tribus berbères pétries de coutumes « préislamistes » avec un verni « récent » musulman facilement remplaçable par une idéologie « laïco-chrétienne » au gré de l’idéologie des autorités du protectorat consultées, scientifiques, militaires et administratives].
C’est en 1930- 31, contre ce dahir, un vaste mouvement d’opinion, tant au Moyen-Orient qu’en Europe, pour dénoncer une politique coloniale qui au Maroc même est la cible du petit noyau nationaliste naissant qui jusqu’alors ne concernait que quelques centaines de « jeunes » citadins, avant tout de Fès ou de Salé, plus souvent issus de l’embryon d’enseignement moderne francophone que de l’enseignement traditionnel de la Karaouine de Fès, en général issus de familles importantes. Jusqu’alors ces petits groupes s’étaient manifestés principalement par la création d’écoles « libres » arabophones modernistes (entre 1921 et 1925 : 5 à Fès, 3 à Rabat, 2 à Marrakech, d’autres à Casablanca, Tétouan, Salé, El-Jadida, Safi, Essaouira : en tout 31). A partir de 1925 ils créent aussi des « sociétés secrètes » (Fès, Tétouan) qui diffusent une pensée réformiste ; en 1927-28 des troupes théatrales (en arabe) confortent cette propagande nationaliste.
Les débuts d’une scolarisation francophone par des instituteurs français en pays berbère suit la pacification des tribus : 6 en 1923, proches de Fès, Meknes et Taza ; avec un projet d’école normale pour former des instituteurs indigènes : elle est implantée en 1927 à Azrou.