Colette Zytnicki, La conquête, comment les français ont pris possession de l’Algérie, 1830 -1848, Tallandier, 2022, 352 pages.

L’auteure a été accueillie au Model (dimanche 15  mai 2022) pour dédicacer ce livre, qu’on avait pu commenter à Toulouse (samedi 14 mai Librairie Floury, dans le cadre de « l’Histoire à venir »
en compagnie de François Bougon et Zahia Rahmani

 Colette Zytnicki explore les composantes culturelles (et religieuses aussi) du système colonial français. Elle s’était attaquée au tourisme colonial en Algérie voici plus de dix ans. Elle a aussi creusé à fond la « commune » coloniale dont provient une partie de sa famille, Draria, banlieue d’Alger. https://coupdesoleilsud.fr/2019/05/01/colette-zytnicki-village-colonial-et-pieds-noirs-a-toulouse/ Elle aborde ici la conquête de l’Algérie : en fait les deux décennies où l’on passe d’une action coloniale incertaine et sans cohérence à une incorporation coloniale dans l’Etat français  d’un territoire « algérien » qui devient trois départements. Cette incorporation perdure ensuite pendant un long siècle, 1848 -1954, avant les sept ans de « reconquête » algérienne et de dé- conquêtes. Elle fait donc l’histoire d’une génération de conquête qui précède trois génération de « possession ».

Beaucoup de livres d’histoire ont permis de suivre le Maghreb colonial et sa décomposition, ceci vu à travers la grande politique. Colette Zytnicki nous montre cela de l’intérieur, au quotidien, pour une histoire où aucune certitude pré-établie ne définit ce qui s’est déjà produit, encore moins ce qui est en train de se produire. Elle nous montre la violence extrême exercée par des officiers souvent républicains, parfois Saint Simoniens ou Fouriéristes, qui sont au cœur de cette conquête.

Elle nous montre comment cette conquête est avant tout une emprise des nouveaux occupants sur les sols urbains pour une nouvelle civilisation urbaine ou sur les terres agro-pastorales prises aux « indigènes » pour une nouvelle agricultures. Les coloniaux sont au départ plus militaires que civils, peu de femmes, des Européens certes Français, mais aussi venus des pays voisins, surtout méditerranéens, avec au départ un rôle central joué par une poignée d’intemédiaires locaux, notables urbains ou ruraux, musulmans ou juifs, ces derniers s’émancipant de leur statut de dhimmis (sujets inférieurs) pour s’intégrer au monde urbain « européen ».

En marge de ce monde nouveau, la grande majorité du territoire, et sa population musulmane, sont pris en main par les officiers des Bureaux arabes, dont l’auteure nous décrit le rôle essentiel : « le chef du bureau arabe dispose d’un personnel limité : un adjoint et un stagiaire, un interprète, des sous-officiers secrétaires, un khodjaet une trentaine de cavaliers indigènes. Ainsi tout repose sur la personnalité des officiers en poste. La majorité d’entre eux répondent aux attentes de leur hiérarchie. Sortis de Saint Cyr ou de Polytechnique, beaucoup apprennent les dialectes arabes et berbères, certains se révèlent des administrateurs confirmés. Ils sont opposés à la colonisation agricole européenne dans les régions où sont installés, ce qui leur vaudra par la suite des critiques de la part des colons. Mais ils sont tout aussi convaincu d’avoir affaire à des populations arriérées, aveuglées par le fanatisme, auquel il faut imposer la civilisation. Arabes et même Kabyles sont à leurs yeux soit incomplètement civilisés, soit dans un tel état d’abaissement que l’oeuvre coloniale s’impose. En attendant, la volonté émancipatrice se concilie avec un pouvoir de répression sans presque aucune limite, sortant du cadre juridique métropolitain, comme la sanction collective, et applicable aux seuls « indigènes », qui préfigure le code de l’indigénat mis en place en 1881 en Algérie avant d’être diffusé dans une partie de l’empire français. Les méthodes brutales, la corruption de certains, sont de plus en plus dénoncées ». Rappelons que ces officiers seront relayés progressivement, à mesure de la transformation des territoire militaires en communes mixtes, jusqu’aux zones sahariennes, par des administrateurs civils: ceux-ci exerceront un pouvoir similaire, mélangeant « volonté émancipatrice » et autorité discrétionnaire. Voir aussi sur ce sujet Les SAS https://coupdesoleil.net/dans-la-guerre-dalgerie-les-sas/(Claude Bataillon)