Editorial
DerniĂšres propositions, avant de nous quitter trĂšs provisoirement, jusquâĂ la rentrĂ©e comme disent les Ă©coliers.
Revenant sur le passĂ© rĂ©cent, nous voudrions insister sur une manifestation artistique dâune importance particuliĂšre, puisquâelle concernait à la fois la littĂ©rature, le thĂ©Ăątre et la peinture : la littĂ©rature, ce sont au dĂ©part de cette entreprise des textes de lâAlgĂ©rien Rachid Mimouni, dont son roman « Le Fleuve dĂ©tourné » ; le thĂ©Ăątre câest la mise en scĂšne quâen a donnĂ©e Hadda Djaber et sa compagnie LeĂŻla Soleil, qui a eu lâidĂ©e magnifique dây adjoindre en projection des peintures de Farid Chaachoua qui au mĂȘme moment nous gratifiait dâune exposition de ses Ćuvres les plus rĂ©centes.
Dans la catĂ©gorie littĂ©rature, nous voudrions insister sur un trait propre aux littĂ©ratures franco-maghrĂ©bines, lâimportance quây prennent les tĂ©moignages personnels, souvenirs dâenfance, hommages aux disparu.e.s, qui permettent dâailleurs une certaine dose de fiction, mais parfois trĂšs rĂ©duite. Câest Ă ce titre que figurent dans notre sĂ©lection aussi bien « CĆur berbĂšre » de Habiba Benhayoune  que « Si jâavais un franc »dâAbdelkrim Saidi et « Corse AlgĂ©rie » de Jean-Pierre Castellani .
La littĂ©rature câest aussi et câĂ©tait dâabord la poĂ©sie ( avant lâincroyable montĂ©e en puissance du genre romanesque). Les « Chants pour la Tunisie » de Tahar Bekri en sont un magnifique exemple et lâauteur nous informe quâil existe des exemplaires de ce livre tout particuliĂšrement illustrĂ©s par Annick Le ThoĂ«r.
Pour ceux qui sont bien dĂ©cidĂ©s Ă lutter contre nos ignorances multiples, nous proposons aussi la lecture dâexcellents essais dans des genres trĂšs variĂ©s : on en jugera par le livre de Djawad Rostom Touati   au titre quelque peu Ă©nigmatique « La scĂšne et lâhistoire », ou encore par le tableau Ă©tonnant voire sidĂ©rant que propose Farid Bahri dans un livre oĂč le pluriel sâimpose : »Les Marocains et leur langues ».
Sâagissant de diversitĂ©, elle est aussi au cĆur de notre sĂ©lection de films, car on ne saurait faire plus diffĂ©rents que ces deux-lĂ Â : le long mĂ©trage documentaire de Viviane Candas : « MarseilleS », et une tragi-comĂ©die originale, « Omar La Fraise » de Elias Belkeddar.
Que les amateurs de BD soient satisfaits : Michel Wilson leur en propose non pas une mais deux Ă savourer pour leur Ă©tĂ©âŠ
Pour finir, nous vous signalons une nouveautĂ© dans la Lettre : elle comporte dĂ©sormais des notes courtes qui signalent des textes ou des films, ce sont alors des « notes de prĂ©sentation », ou des Ă©vĂ©nements culturels, ce sont alors des « notes dâinformation ». il y en a quelques exemples dans cette Lettre 78, qui vous permettront de nous dire ce que vous pensez de cette innovation.
Denise Brahimi
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Fragments de peinture. Exposition de Farid Chaachoua, Lyon, Ă partir du 3 mai 2023
Pourquoi associer ces deux annonces, concernant lâune un spectacle qui vient dâĂȘtre donnĂ© au ThĂ©Ăątre de LâIris Ă Villeurbanne et lâautre une exposition de peinture en cours Ă Galerie 41 Ă Lyon ? En fait la raison en est donnĂ©e par la maniĂšre dont Hadda Djaber, de la compagnie LeĂŻla Soleil, a conçu le montage de textes de lâĂ©crivain Rachid Mimouni quâelle prĂ©sente sous un trĂšs beau titre empruntĂ© Ă cet auteur « Pourquoi les oiseaux ont-ils disparu ? ». Car non seulement elle donne Ă entendre un choix de textes empruntĂ©s Ă plusieurs Ćuvres (principalement « Le Fleuve dĂ©tourné »), mais dâautre part elle y ajoute la prĂ©sence dâun violoncelle qui ne se borne pas Ă ĂȘtre un accompagnateur ; et enfin elle fait intervenir de maniĂšre originale et belle des images fournies par la peinture de Farid Chaachoua, qui donnent vie au fond de la scĂšne et Ă©largissent la vision suscitĂ©e par les mots. Ce qui peut donc lĂ©gitimement nous interroger est le rapport entre les images empruntĂ©es au peintre et la littĂ©rature fournie par le romancier. Nous espĂ©rons que beaucoup des membres de Coup de Soleil ont assistĂ© au spectacle, câest donc Ă eux de rĂ©pondre subjectivement, tant il est vrai quâil nây a pas de rĂ©ponse objective Ă ce genre de question. Cependant, si lâon peut donner un avis, ou plutĂŽt une impression, ce serait que loin dâĂȘtre choquant le rapprochement suggĂšre au minimum une continuitĂ© et plus encore une affinitĂ© qui de maniĂšre sensible finit par sâimposer.
Sur le public, les textes de Mimouni agissent de maniĂšre parfois ou mĂȘme souvent violente mais Ă la maniĂšre complexe qui est celle dâun Ă©crivain. Lâinterrogation angoissĂ©e quâil donne Ă partager sâaccompagne dâune magnificence du verbe ironique et passionnĂ©, les mots sont Ă©mouvants presque au sens propre : on les sent bouger sous la plume de lâauteur et ils nous font bouger en tant que spectateurs.
Mais ces traits ne pourraient-ils convenir aussi bien Ă la peinture de Farid Chaachoua ? Elle nous remue aussi car quelque chose remue en elle. Au risque de paraĂźtre excessivement lyrique, ne pourrait-on suggĂ©rer que câest son cĆur, qui anime sa main ?
Mimouni et son peintre, a-t-on envie de dire. Pour mieux se réjouir de ce qui nous apparaßt pour le moins, disions-nous, comme une affinité.
Denise Brahimi

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« COEUR BERBERE », roman par Habiba Benhayoune, éditions Ardemment, 2022
Ce roman a beaucoup de charme et une certaine Ă©trangetĂ©, il est sensiblement diffĂ©rent des trĂšs nombreux rĂ©cits qui peuplent la littĂ©rature francophone du Maghreb depuis au moins deux dĂ©cennies, pour ne parler que de ceux qui sont postĂ©rieurs Ă la Guerre dâAlgĂ©rie et qui comportent en gĂ©nĂ©ral deux parties : la premiĂšre retrace lâenfance du narrateur et de la narratrice lorsque la famille vivait encore quelque part au Maghreb, que ce soit dans un village kabyle ou en milieu urbain gĂ©nĂ©ralement pauvres, la pauvretĂ© Ă©tant la raison de lâexil ; et la deuxiĂšme partie se passe dans le pays dâaccueil, le plus souvent la France, dans des conditions plus ou moins difficiles dâintĂ©gration, parmi lesquels le rĂŽle le plus important est celui de lâĂ©cole Ă laquelle les enfants de lâimmigration sâadaptent souvent trĂšs bien, et avec succĂšs.« CĆur berbĂšre » en effet suit Ă peu prĂšs ce schĂ©ma mais donne pourtant lâimpression dâune grande originalitĂ©. Ce qui est probablement dĂ» Ă deux faits au moins. La jeune hĂ©roĂŻne et narratrice de lâhistoire, AouĂŻcha, appartient Ă un milieu qui nâest ni paysan ni ouvrier, son pĂšre est pĂȘcheur, câest pour lui une vĂ©ritable vocation et câest la raison pour laquelle la famille vit au bord de la mer, ce qui fait le bonheur dâAouĂŻcha, fillette enthousiasmĂ©e par la beautĂ© du monde. Et dâautre part, un fait dĂ©terminant est que leur lâorigine nâest ni arabe ni kabyle, ils appartiennent Ă un groupe qui certes est berbĂšre comme le sont les Kabyles, mais nâen est pas moins trĂšs particulier, et dâailleurs trĂšs situĂ© gĂ©ographiquement : ce sont des Rifains, qui occupent le nord-est du Maroc et dont le territoire sâĂ©tend jusquâĂ lâAlgĂ©rie. Il semble que les Rifains se sentent trĂšs diffĂ©rents des autres Marocains, et mĂȘme en rupture avec eux, occupant un territoire trĂšs peu reliĂ© au reste du pays.
Le roman de Habiba Benhayoune ne parle pas des Ă©vĂ©nements historiques des annĂ©es 20, qui ont vu les Rifains entraĂźnĂ©s par Abd-el-Krim, se dresser contre la France, lâEspagne et le gouvernement officiel marocain : sans doute veut-elle Ă tout prix Ă©viter de donner Ă son livre une dimension politique, en revanche elle insiste beaucoup, souvent par la bouche dâAouĂŻcha, sur lâextrĂȘme attachement des Rifains Ă leur libertĂ©, incluant tout ce quâon peut mettre sous ce mot ; et il est certain que pour Abd-el-Krim cela incluait la lutte anti-colonialiste, tant il est vrai que le rĂ©gime colonial ou celui du Protectorat (on sait quâĂ peu de chose prĂšs, câĂ©tait la mĂȘme chose),Ă©tait incompatible avec le goĂ»t de lâindĂ©pendance.
La vie dâun pĂȘcheur comme son pĂšre, sans autre bien au monde que sa barque, reprĂ©sente pour AouĂŻcha un bonheur indĂ©passable, et la romanciĂšre lui prĂȘte des mots magnifiques pour dire son Ă©merveillement, dĂšs quâil est question de la nature, de la mer, du ciel, toute une poĂ©sie qui est sans doute Ă mettre en rapport avec ce que les anthropologues considĂšrent comme le fond paĂŻen qui sâest maintenu chez les BerbĂšres Ă travers les siĂšcles et mĂȘme les millĂ©naires, en dĂ©pit de lâislamisation, et de lâoccidentalisation.
Cependant, il nây a pas de fil conducteur unique dans le rĂ©cit qui au contraire et en dĂ©pit de toute tentative dâunification projette la fillette et les lecteurs de « CĆur berbĂšre » dans un mĂ©lange de sentiments contradictoires indĂ©passables. Alors mĂȘme que Baaba le pĂšre est pour sa fille un homme admirable, quâelle chĂ©rit et quâelle admire, et sans explication qui pourrait nous prĂ©parer Ă comprendre cette incroyable dualitĂ©, on dĂ©couvre soudain que cet homme est un mari violent qui frappe sa femme rĂ©guliĂšrement comme un brute, dĂšs quâil a bu, ce qui est malheureusement trĂšs frĂ©quent. Le groupe familial, qui comporte aussi les deux frĂšres dâAouĂŻcha, est submergĂ© et impuissant face Ă cette situation qui va finalement entraĂźner sa dislocation. Mais la mĂšre tient absolument Ă garder le secret et refuse de dĂ©noncer le coupable. Beaucoup plus tard, il lui demandera son pardon, et elle va le lui accorder.En attendant, le dĂ©part pour la France oĂč la famille va sâinstaller nây change rien, et la narratrice, en fait lâauteure du livre, ne propose que de rares et faibles Ă©lĂ©ments dâanalyse qui aideraient Ă aborder cette situation Ă dĂ©faut de lâaccepter, tant il est vrai quâelle est inacceptable de toute façon.
Le livre se referme sur lâindĂ©passable dualitĂ© entre la beautĂ© du monde, jamais mise en doute mĂȘme lorsquâ il faut provisoirement sâen Ă©loigner et lâinsupportable violence du mal qui est Ă prendre ici au sens physique du mot (mĂȘme si lâon peut supposer quâil est mĂ©taphysique Ă©galement).Tel est le mystĂšre du livre, qui Ă aucun moment ne cherche Ă sâen expliquer. La rationalitĂ© dans laquelle on se meut pendant la seconde moitiĂ© du livre est manifestement impuissante face Ă cette Ă©nigme. Aucune chance, semble-t-il, de parvenir Ă concilier lâinconciliable, il est logĂ© au fond du « cĆur berbĂšre » dont parle le titre, ce qui est en effet plus juste que le mot « ùme » plus abstrait et moins proche de la sensibilitĂ©.
Denise Brahimi
« SI JâAVAIS UN FRANC » , roman par Abdelkrim Saifi, Ă©ditions Anne CarriĂšre, 2023
On dispose dâun nombre toujours grandissant dâĂ©crits, fortement autobiographiques, nous informant sur lâarrivĂ©e en France dâune premiĂšre gĂ©nĂ©ration de migrants maghrĂ©bins aprĂšs la DeuxiĂšme guerre mondiale. Ce sont souvent les enfants issus de cette premiĂšre gĂ©nĂ©ration qui ressentent le besoin de revenir sur lâhistoire de leurs parents, Ă la fois pour dĂ©noncer ce quâils ont souffert et pour rendre hommage Ă leur courageâdâautant quâils en ont Ă©tĂ© les premiers bĂ©nĂ©ficiaires car câest principalement pour eux ou mĂȘme uniquement pour lâavenir de leurs enfants que ces exilĂ©s volontaires ont tenu bon, et nâont pas fui la difficultĂ© en retournant au pays.Le livre dâAbdelkrim Saifi correspond tout Ă fait Ă cette description. Le personnage principal en est le pĂšre du narrateur, Koriche, arrivĂ© dans le nord de la France Ă Hautmont, et câest lĂ que commence lâhistoire, le 3 septembre 1948. Il est bientĂŽt suivi par sa femme Yamina, dont il aura dix enfants, sans que jamais elle ne sâen plaigne, semble-t-il. Il est vrai quâelle est soutenue par un espoir qui ne la quitte jamais et auquel fait allusion le titre du livre : « Si jâavais un franc ». On dirait presque que pour le moral de ses enfants autant que pour le sien, elle a fait de cette idĂ©e de retour un fantasme plus encore quâun vĂ©ritable espoir. En fait le rĂ©cit du fils, Abdelkrim Saifi, nous apprend que celui-ci ne sera jamais rĂ©alisĂ© et que le retour nâaura jamais lieu.
Câest Koriche qui meurt le premier, littĂ©ralement Ă©puisĂ© par lâĂ©normitĂ© et la difficultĂ© du travail auxquelles ces premiers travailleurs immigrĂ©s Ă©taient soumis. Sans parler des conditions extrĂȘmement rudes de leur vie matĂ©rielle : le mot « pauvreté » Ă cet Ă©gard paraĂźt trĂšs insuffisant. Le narrateur qui nâest Ă©videmment pas du genre Ă se plaindre, pas plus que ne lâont fait ses parents, ne fait preuve dâaucun misĂ©rabilisme ni dâauto-attendrissement. En tant que lecteur (et peut-ĂȘtre parce que cette histoire se passe dans le nord de la France), on a le sentiment quâil nây a Ă peu prĂšs pas eu de progrĂšs depuis «Germinal » de Zola, sinon quâil sâagissait alors dâune famille française, lâimmigration nâexistant pas encore pour prendre le relais. Et, autre diffĂ©rence essentielle, les travailleurs immigrĂ©s acceptent leur sort parce que leurs enfants peuvent ainsi bĂ©nĂ©ficier de lâĂ©cole française et de lâĂ©galitĂ© des chances dont le livre dâAbdelkrim Saifi prouve quâelle nâa pas Ă©tĂ© un vain mot.
Toute la famille, nombreuse comme on a vu, est dĂ©terminĂ©e Ă en user pleinement. Sans doute le peuvent-ils parce que ce sont, sauf exception, des enfants remarquablement douĂ©s et travailleurs, mais ce dernier trait est liĂ© au fait que pour leurs parents comme pour eux-mĂȘmes, un travail acharnĂ© est leur seule chance, Ă la fois unique et considĂ©rable, de sâintĂ©grer Ă cette sociĂ©tĂ© qui par lĂ mĂȘme devient la leur.
SâintĂ©grer : lâemploi sans rĂ©serve de ce mot par Abdelkrim Saifi est assumĂ© par ce livre, dâune maniĂšre qui en fait la singularitĂ©. Car sâil est vrai que la plupart des rĂ©cits de cette sorte dĂ©crivent ce quâa Ă©tĂ© lâintĂ©gration de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration, ils mettent le plus souvent beaucoup dâinsistance sur ce quâa Ă©tĂ© le prix Ă payer, câest-Ă -dire les efforts quâil a fallu faire pour y parvenir et leurs sĂ©quelles plus ou moins visibles, ne serait-ce que dans lâamertume et les rancĆurs, jusquâĂ aujourdâhui.Dans « Si jâavais un franc », ces efforts, considĂ©rables en effet, ne concernent que la premiĂšre gĂ©nĂ©ration et la victime en est Koriche qui y a bel et bien sacrifiĂ© sa vie. Mais la tonalitĂ© du livre qui pourrait ĂȘtre tragique ne lâest pas grĂące au personnage de la mĂšre, dont le livre est un magnifique portrait. Peut-ĂȘtre y a-t-il un embellissement, voire une idĂ©alisation, de la rĂ©alitĂ©, expliquant lâemploi du mot « roman » pour le dĂ©signer. On entend Yamina dire Ă un certain moment « ça fait 50 ans que je suis arrivĂ©e en France » et on croit comprendre que pendant ces 50 ans, jamais elle nâa cĂ©dĂ© au dĂ©couragement ni pour elle ni pour les autres, faisant face aux Ă©vĂ©nements contraires avec une intrĂ©piditĂ© pour laquelle le mot courage semble bien insuffisant : « CâĂ©tait la Yamina de grands jours, exaltĂ©e, qui distribuait lâĂ©nergie, rectifiait les mines renfrognĂ©es, redressait les Ăąmes avachies. Le soleil est lĂ , tout va bien, disait-elle Ă tout bout de champ, pour sâen persuader elle-mĂȘme, mais aussi pour Ă©viter que le bateau sombre. »
A travers cette figure maternelle, Abdelkrim Saidi exprime un acte de foi dans un humanisme progressiste, et peut-ĂȘtre est-il un de derniers reprĂ©sentants sans mĂ©lange de cette croyance au progrĂšs, Ă la foi matĂ©riel et moral, quâon dĂ©finit de nos jours comme ce qui fut lâesprit de la TroisiĂšme RĂ©publique. Abdelkrim Saidi lâa fait sien en adhĂ©rant au socialisme. On a envie de dire que ce descendant de la premiĂšre Ă©migration maghrĂ©bine est le dernier reprĂ©sentant dâune certaine France qui nâest plus celle dâaujourdâhui.
Denise Brahimi
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« CORSE ALGERIE » par Jean-Pierre Castellani, édition du Scudo, 2023
Ce livre, assez bref, se compose de deux parties dâune centaine de pages chacune, la premiĂšre sâintitule « MĂ©moires en partage » et la seconde « Carnets algĂ©riens 1975-2020 », elles relĂšvent lâune et lâautre du genre autobiographique mais de maniĂšre un peu atypique. En effet, loin de viser Ă lâexhaustivitĂ©, lâauteur du livre annonce trĂšs vite son intention de sâen tenir Ă quelques aspects de sa vie et dâĂ©liminer dĂ©libĂ©rĂ©ment tous les autres. Au nombre de cette derniĂšre catĂ©gorie, celle des Ă©liminĂ©s, pour des raisons sur lesquelles il sâexplique, il y a la vie intime, lâauteur se disant hostile Ă tout ce qui relĂšve pour lui de lâexhibitionnisme et donnant dâailleurs pour sâen justifier une rĂ©fĂ©rence de choix : lâauteure qui est son modĂšle et Ă laquelle il a consacrĂ© une bonne part de sa vie de chercheur universitaire, Marguerite Yourcenar. Mais il Ă©limine aussi des parties trĂšs importantes de sa vie au sens banal du mot, câest-Ă -dire comme câest le cas pour la plupart des gens sa vie professionnelle et les dĂ©placements ou installations multiples quâelle implique ; dans son cas, il sâagit de tout ce qui concerne ses rapports Ă lâEspagne, principalement en tant quâenseignant, ainsi que les annĂ©es, nombreuses (1970-2005) quâil a passĂ©es Ă lâUniversitĂ© de Tours .
Ne restent alors (comme indiquĂ© dans le titre) que la Corse oĂč il est nĂ© et est qui pour toujours son principal ancrage, et lâAlgĂ©rie qui apparaĂźt Ă deux moments du livre : dâune part pour tout ce qui prĂ©cĂšde dans sa vie la grande migration vers la France causĂ©e par lâindĂ©pendance algĂ©rienne de 1962 â câest en gros la premiĂšre partie du livre ; et dâautre part pour tout ce quâil raconte dans la seconde partie, « Carnets algĂ©riens » câest-Ă -dire la vingtaine de voyages de courte durĂ©e quâil a faits en tant quâuniversitaire français Ă la demande de collĂšgues dâAlgĂ©rie pour des colloques, soutenances de thĂšses, direction de travaux dâĂ©tudiants etc.
En fait, il apparaĂźt que câest beaucoup sa relation Ă lâAlgĂ©rie qui continue Ă le prĂ©occuper et qui est lâobjet principal de son livre ; mais il nâen fait pas vraiment lâanalyse comme dâun objet dâĂ©tude organisĂ©, on dirait mĂȘme quâil a choisi dâĂ©viter toute organisation systĂ©matique, ce pourrait ĂȘtre la raison pour laquelle il nây a pas dans son livre une table des matiĂšres, diffĂ©rents aspects faisant assez librement leur apparition. La meilleure connaissance quâon acquiert de lui et de la personnalitĂ© quâil sâest construite Ă lâĂąge adulte pourrait bien venir de ce quâil nous dit de ses quelques livres favoris, un choix trĂšs liĂ© Ă sa qualitĂ© dâhispaniste et dâhispanisant (et pour commencer, le fameux « Don Quichotte »).
Reste que cette premiĂšre partie du livre est beaucoup consacrĂ©e au souvenir de ses parents qui sont prĂ©cisĂ©ment au point de rencontre de la Corse et de lâAlgĂ©rie oĂč ils sont partis trĂšs jeunes pour exercer le mĂ©tier dâinstituteursâĂ cet Ă©gard, les plus belles pages du livre sont lâhommage rendu Ă sa mĂšre qui fut institutrice dans la rĂ©gion de Relizane Ă quelques 300 Km dâAlger, en tout cas jusquâĂ la deuxiĂšme guerre mondiale.
La seconde partie du livre, les « Carnets algĂ©riens » ne peut manquer dâĂȘtre une sorte de retour aux sources, Ă lâenfance et Ă lâadolescence, vers ce pays quittĂ© en 1962 dans des circonstances Ă©videmment dramatiques et traumatisantes. Celles-ci en fait ne permettent pas de parler de retrouvailles tant il est vrai, semble-t-il, que la rupture reste insurmontable : aucun sentiment de continuitĂ©, mais au contraire lâĂ©vidence que lâAlgĂ©rie actuelle (fin 20 et dĂ©but du 21 siĂšcle) nâa absolument rien Ă voir avec celle oĂč il a vĂ©cu.
Lâauteur nâest pas de ceux qui rĂ©criminent, gĂ©missent ou sâindignent. Cependant il nâest pas non plus de ceux qui pratiquent la repentance ni de ceux dont le regard est de tout maniĂšre bienveillant. En tout cas la sympathie quâil Ă©prouve pour un grand nombre dâAlgĂ©riens quâil rencontre et qui sont dâune grande gentillesse avec lui ne lâempĂȘche pas de voir les dysfonctionnements (le mot est faible) de ce pays dont les habitants sont dâailleurs les premiers Ă faire une critique lucide. Pas dâattendrissement donc ni de parole lĂ©nifiante, il maintient sa ligne jusquâaux derniers mots du livre et sans doute pense-t-il quâil a payĂ© suffisamment cher, (lui et les siens ) pour avoir le droit dâĂȘtre ferme dans ses opinions.
Le livre nâa pas de conclusion et lâon voit mal ce que celle-ci pourrait ĂȘtre. Affaire Ă suivre, pourrait-on dire avec quelques points de suspension. En revanche, lâauteur commence par un avant-propos de lâauteur, quâil a peut-ĂȘtre Ă©crit en dernier lieu comme il arrive souvent, ce qui rend lĂ©gitime de le considĂ©rer au moins un peu comme un bilan, lâauteur en reculant pas devant ce mot. Cependant « bilan » nâimplique pas une continuitĂ© ni mĂȘme une sorte de fil directeur quâon pourrait dĂ©tecter aprĂšs coup. La continuitĂ©, il nây croit guĂšre et par exemple il souligne quâil ne la trouve pas entre lui-mĂȘme et ses enfants. Chaque histoire est singuliĂšre, Ă©trangĂšre aux autres et Ă©trangĂšre Ă elle-mĂȘme, comme dit Julia Kristeva. On peut juger que cette singularitĂ© est justement ce qui fait son prix, mĂȘme si ce mot ne signifie rien dâexceptionnel. En tout cas, cela semble bien ĂȘtre lâargument qui finalement a dĂ©cidĂ© Jean-Pierre Castellani Ă Ă©crire des MĂ©moires Ă sa ou Ă ses façons, lui qui pendant trĂšs longtemps nâen avait pas ressenti la nĂ©cessitĂ©.
Denise Brahimi
« CHANTS POUR LA TUNISIE » poĂšmes de Tahar Bekri, peintures dâAnnick Le ThoĂ«r , Ă©ditions Al Manar, 2023
Tahar Bekri est un universitaire parisien dâorigine tunisienne, mais cette localisation est bien loin de dire lâessentiel de sa poĂ©sie. Non seulement parce que, forcĂ© Ă lâexil, il sâest installĂ© en France dĂ©libĂ©rĂ©ment Ă partir de 1976, Ă lâĂąge de 25 ans. Mais parce que ni la Tunisie ni la France ne sont pour lui des lieux qui dĂ©finiraient une appartenance impliquant des limites et, inĂ©vitablement, des exclusions.Le seul titre de ce recueil, « Chants pour la Tunisie » est Ă©videmment lâindice de sa relation privilĂ©giĂ©e avec ce pays (Il y avait dĂ©jĂ eu, en 2011 et aux mĂȘmes Ă©ditions, un autre titre de lui de la mĂȘme veine « Je te nomme Tunisie »). Si la Tunisie nâest pas le lieu oĂč il vit, elle nâen est pas moins celui auquel il pense et avec lequel il ne cesse de dialoguer ; « Je te raconte » lui dit-il plus dâune fois, pour amorcer un nouveau poĂšme. Sâagirait- il dâune femme, se demande-t-on parfois, car il sâadresse Ă elle avec ferveur et sur le mode dâun partage vĂ©cu constamment. La Tunisie Ă laquelle il parle est une prĂ©sence intime, et la soixantaine de courts poĂšmes qui constituent le recueil est la trace Ă©crite de ce dialogue intĂ©rieurâĂ moins quâil ne faille parler dâun monologue puisque celle qui est supposĂ©e le recevoir ne saurait y rĂ©pondre. Pourtant, et câest lĂ lâessentiel, elle aussi est lĂ , surgissant Ă travers ses mots Ă lui. Le poĂšte joue les deux rĂŽles, il est celui qui parle, qui raconte ce quâil a vu et vĂ©cu, mais il est aussi celle Ă laquelle il donne et redonne vie, faisant dâelle son interlocutrice, sa crĂ©ature, tout Ă la fois sa destinataire et sa donatrice, et câest en cela que consiste leur incessant dialogue.
Câest la reconnaissance, dira-t-on, qui anime le cĆur du poĂšte : la Tunisie fut son pays pendant 25 ans, et jamais ne sâoublie le pays natal, surtout quand on y a vĂ©cu aussi longtemps. Il nâest pas sĂ»r cependant que Tahar Bekri ait voulu mettre une telle insistance sur les liens dâappartenance, Ă©tant de ceux pour qui lâessentiel est lâouverture au monde, comme il ne cesse de lâexpliquer : câest ainsi quâil a vĂ©cu, par lâeffet dâune volontĂ© dĂ©clarĂ©e, quâon entend de sa part comme une profession de foi.
Le poĂšte a beaucoup voyagĂ© et le rĂ©sultat en est semble-t-il quâil nây a plus pour lui ni dehors ni dedans. Lâun de ses maĂźtres est lâAntillais Edouard Glissant, lâhomme du Tout Monde mort en 2011, en sorte que Tahar Bekri Ă sa maniĂšre poĂ©tique semble vouloir en prendre le relais.
Dans son poĂšme XXXI, (lâabsence de titre pourrait signifier que câest Ă chaque fois une autre facette du mĂȘme sujet ), il dit lâuniversalitĂ© de sa vision du monde, au moins en droit, et revendique un humanisme sans exclusive : « Permets / A mes vers dâĂ©crire tes chants / Sans frontiĂšres / Tous les humains sont mes frĂšres / OĂč que jâaille/ Ta terre est la terre / Le caillou jetĂ© Ă la surface de lâeau/ Fait des vagues dans lâocĂ©an. »
Il nâest donc pas Ă©tonnant quâun autre poĂšme, le XXXIX, commence par ce mot : « Je rĂ©unis », et trĂšs nombreux en effet sont les rapprochements quâil opĂšre, souvent par la juxtaposition de noms propres quâon aurait cru appartenir Ă des aires culturelles diffĂ©rentes. Ce sont le plus souvent des noms de poĂštes, de penseurs ou dâĂ©crivains,
car ils sont les plus aptes à « rebĂątir la Tour de Babel » comme il dit, lettre par lettre, Ă©voluant entre les langues « multiples et Une » : telle est lâampleur du projet.
Quâon nâen soit point effrayĂ©, cependant, car sa maniĂšre nâen est pas moins concrĂšte et minutieuse, rarement dans la gĂ©nĂ©ralitĂ©. Câest de la prĂ©cision des dĂ©tails que naĂźt lâimpression poĂ©tique, quâil sâagisse de visions tunisiennes : «  Bouquets de menthe de verveine et de laurier/ tresses dâail de piments et de figues suspendues au mur »
ou de souvenirs plus rĂ©cents des lieux dĂ©couverts Ă Paris : « Tu ne savais si câĂ©tait le MarchĂ© aux oiseaux ou le MarchĂ© aux fleurs ».
La rĂ©ussite du poĂšte est de ne jamais « folkloriser » ce quâil dĂ©crit ni le rabattre sur ce quâil faudrait appeler lâexotisme. Sans que le lecteur en soit pleinement conscient, sans doute Ă©vite-t-il les formules attendues pour en choisir de plus rares. Il sâabstient dâun jeu sur les sonoritĂ©s que Verlaine dĂ©jĂ disait trop facile. La rime par exemple , sâen donne-t-il le support et lâappui ? Il ne lâexclut pas mais loin dâen faire un systĂšme, il la laisse apparaĂźtre ici ou lĂ librement.On reconnaĂźt le poĂšte quâil est Ă sa facultĂ© de faire naĂźtre en peu de traits des Ă©vocations empreintes de justesse, comme celle-ci dâune autre rĂ©gion chĂšre Ă son cĆur, la Bretagne (oĂč fut un temps relĂ©guĂ© le militant Bourguiba) : « Mille peintres pour capter la lumiĂšre / Fusain hortensias et roses trĂ©miĂšres / Chemins creux ombragĂ©s et fougĂšres ». A sa maniĂšre poĂ©tique, il fait le mĂȘme travail que les peintres, qui ne cherchent pas Ă reproduire le rĂ©el mais sâattachent Ă lâeffet quâil produit. A cet Ă©gard, on ne peut quâadmirer la parentĂ© suave entre les poĂšmes de Tahar Bekri et les peintures dâAnnick Le ThoĂ«r dont on ne saurait dire quâelles les illustrent, câest dâun accord plus secret quâil sâagit.
Denise Brahimi
Information de derniÚre minute, fournie par Tahar Bekri :
Vient de paraĂźtre lâĂ©dition dâart, sur Arches, 12 ex, chacun rehaussĂ© de Six peintures originales dâAnnick.
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« LA SCENE ET LâHISTOIRE », par Djawad Rostom Touati, roman, Ă©ditions APIC, 2021
La scĂšne dont il est question dans le titre est vraiment une scĂšne de thĂ©Ăątre et le premier personnage avec lequel il nous est donnĂ© de faire connaissance est un professeur dâart dramatique, Nadji, qui dâailleurs aimerait aussi Ă©crire des piĂšces et les jouer avec ses Ă©lĂšves, mais qui ne semble pas y ĂȘtre parvenu au moment oĂč cette histoire commence, alors quâil a dĂ©jĂ 70 ans. Une premiĂšre partie du livre lui est assez largement consacrĂ©e, il en ressort quâil se pose Ă©videmment beaucoup de questions, jugeant assez lucidement ses diverses formes dâimpuissance, Ă Ă©crire et Ă aimer.Mais pour ce qui concerne les rapports entre le thĂ©Ăątre et la rĂ©alitĂ©, ayant rĂ©solument et Ă©goĂŻstement choisi en faveur du premier, il ne semble pas disposĂ© Ă mettre ce choix en question.
Cependant et suivant toujours les indications donnĂ©es par le titre, la rĂ©alitĂ©, en ce printemps 2019 fait une intrusion dans la ville dâAlger, ce que le roman va suivre prĂ©cisĂ©ment avec dates Ă lâappui, entre la premiĂšre qui est le 14 fĂ©vrier et la derniĂšre qui est le 12 dĂ©cembre. On a donc affaire Ă une rĂ©alitĂ© historique qui sous le nom de hirak prend place dans ce quâon appelle âhistoire : histoire, le mot dĂ©signe un ensemble dâĂ©vĂ©nements, de faits et de comportements qui soudain mobilisent lâattention de la plupart des gens bien conscients que ce Ă quoi ils assistent nâest pas une fiction ; le phĂ©nomĂšne dont il sâagit est collectif et non strictement privĂ©, il restera dans les mĂ©moires, appartenant trĂšs vite au passĂ© aprĂšs le moment oĂč il a Ă©tĂ© vĂ©cu au prĂ©sent.
Selon cette dĂ©finition sommaire, lâhistoire est ou plutĂŽt devrait ĂȘtre totalement distincte de la scĂšne. Cependant le livre de Djawad Rostom Touati Ă©met quelques doutes sur la validitĂ© de cette distinction. Oui, il sâagit bien dâhistoire puisque cet ensemble dâĂ©vĂ©nements appelĂ© le hirak a Ă©tĂ© senti assez vite comme devant rester dans les mĂ©moires et constituer un moment dont les historiens sâempareront. On pourrait mĂȘme dire quâon a affaire Ă un cas exemplaire de ce type de processus, du fait que les Ă©vĂ©nements sâĂ©tant arrĂȘtĂ©s assez vite, ils sont du mĂȘme coup devenus du passĂ©, dont on a commencĂ© Ă parler comme tel. Mais au moment oĂč le romancier situe lâaction de son livre, on nâen est pas encore lĂ Â ; il nâest pas certain que la lumiĂšre soit dĂ©jĂ faite dans les esprits, alors quâ on est en train de vivre les mois pendant lesquels le mouvement appelĂ© « hirak » a battu son plein. Sans doute y a-t-il un dĂ©calage, (dans ce cas assez lĂ©ger), qui sĂ©pare le moment vĂ©cu et son entrĂ©e dans lâhistoire.Les intentions de lâauteur mĂȘme complexes apparaissent assez clairement : Il sâagit de rĂ©flĂ©chir au hirak, et de sâinterroger sur quelques actions qui ont eu lieu pendant plusieurs mois de lâannĂ©e 2019, sans essayer de les raconter exhaustivement. Cependant il Ă©tait inĂ©vitable de le faire au moins partiellement, Ă travers quelques personnages aux comportements variĂ©s voire opposĂ©s, en tout cas diffĂ©rents. Câest en cela que le livre est un roman, utilisant des fragments dâhistoires individuelles plus ou moins fictives pour constituer lâhistoire collective qui est Ă©voquĂ©e dans son titre. LâĂ©nigme que le lecteur va devoir rĂ©soudre est de savoir pourquoi elle sây trouve associĂ©e au mot scĂšne. Le rapprochement des deux mots Ă©tant inhabituel, on se doute que lĂ rĂ©side le sens original du livre, lâidĂ©e que Djawad Rostom Touati prend le risque de soumettre aux lecteurs, au risque quâils soient un peu surpris.
Il est tout Ă fait Ă©vident que pour entrer dans la pensĂ©e de cet auteur, il faut tenter de prendre en compte dans la mesure du possible sa considĂ©rable Ă©rudition. Le monde dans lequel il se meut est riche dâidĂ©es subtiles, puisĂ©es Ă plusieurs sources. Il nous dispense des platitudes et des idĂ©es attendues, on est ravi par ses tentatives pour interprĂ©ter des Ă©vĂ©nements qui sont encore loin dâĂȘtre Ă©lucidĂ©s aujourdâhui. La brusque apparition du hirak sur la scĂšne (lâautre mot clef) en fĂ©vrier 2019, de mĂȘme que sa soudaine ou presque disparition dix mois plus tard, sont finalement restĂ©es peu expliquĂ©es malgrĂ© un apparente effervescence de commentaires, qui certes ont souvent Ă©tĂ© trĂšs prolixes et trĂšs exaltĂ©s mais aussi notoirement insuffisants. Lâimmense mĂ©rite de Djawad Rostom Touati est de ne pas botter en touche mĂȘme sâil lui manque des explications. Son autre trĂšs grand mĂ©rite est de ne pas cĂ©der Ă une exaltation enthousiaste et idĂ©alisante comme ce fut le cas, on sâen souvient, dâune grande partie de lâopinion française et occidentale. Lâauteur du livre nâest certes pas opposĂ© au hirak et ne cherche pas Ă le dĂ©nigrer, mais il nâhĂ©site pas non plus Ă en faire ici ou lĂ des critiques ni Ă poser ce quâon pourrait appeler les questions qui fĂąchent.
Ces derniĂšres sont de plusieurs ordres. Certaines concernent (ce sont des affirmations et non des questions !) les soutiens et les financements qui ont contribuĂ© Ă cet Ă©tonnant succĂšs. Ils ne sont quâun aspect de ce qui est frĂ©quemment dĂ©noncĂ© dans les manifestions, lâinfluence Ă©trangĂšre en gĂ©nĂ©ral, française en particulier. Mais Ă lâinverse, on voit aussi beaucoup le rĂŽle et lâomniprĂ©sence du parti religieux.
Pour en venir au rĂŽle de la scĂšne ou de la mise en scĂšne dans toute cette affaire, on voit poindre le soupçon que le hirak ne serait quâun exemple de ce que le situationniste Guy Debord appelait, aux alentours de 1980, la « sociĂ©tĂ© du spectacle »et de ses inĂ©vitables rĂ©cupĂ©rations. Le metteur en scĂšne Nadji dont le roman fait un portrait sĂ©vĂšre et sarcastique pourrait bien ĂȘtre celui qui a le dernier mot. Rahim, plus jeune dâune gĂ©nĂ©ration, dont on ne sait au juste ce quâil comporte dâautobiographie, ne participe que fort peu Ă lâactivitĂ© militante des partisans du hirak et en dĂ©nonce fort lucidement certains aspects. Finalement on en retient que le hirak, en cela positif, Ă©tait certainement la possibilitĂ© de rĂ©unir une sociĂ©tĂ© algĂ©rienne trĂšs divisĂ©e, mais quâil a montrĂ© aussi le caractĂšre illusoire et factice de cette rĂ©unification. La signification du Hirak est multiple ; il a dâabord Ă©tĂ© gagnĂ© puis finalement perdu dâavoir Ă©tĂ©, plus que lui-mĂȘme, sa propre mise en scĂšne.
Denise Brahimi
« LES MAROCAINS ET LEURS LANGUES » par Farid Bahri, éditions BiblioMonde, 2023
Jamais le pluriel nâa Ă©tĂ© plus justifiĂ© que pour Ă©voquer dans ce titre les langues du Maroc : câest au point que le livre tout entier provoque sur le lecteur non spĂ©cialiste un vĂ©ritable effet de sidĂ©ration. MĂȘme si lâhistoire compliquĂ©e de lâEtat et du peuple marocain laisse pressentir une certaine diversitĂ© des langues dans lesquelles il sâexprime, on nâaurait peut-ĂȘtre pas imaginĂ© avant dâavoir lu le livre de Farid Bahri Ă quel point la situation marocaine est complexe dans ce pays : pas moins de cinq langues y sont pratiquĂ©es, dont aucune ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme minime ou accidentelle : toutes au contraire ont leur raison dâĂȘtre et de persister ou mĂȘme dâacquĂ©rir de lâimportance avec le temps et lâĂ©volution de la politique ou de la sociĂ©tĂ©.
Cette ou ces raison(s) dĂ©coulent de lâhistoire, que Farid Bahri Ă©voque Ă chaque fois de façon trĂšs intĂ©ressante alors quâon en a souvent une idĂ©e trop superficielle et stĂ©rĂ©otypĂ©e : pour nâen prendre quâun exemple, on considĂšre souvent que le français et lâespagnol ont Ă©tĂ© introduits au Maroc par la colonisation, câest-Ă -dire Ă date trĂšs rĂ©cente, alors que du moins pour le second, il sâagit dâune imprĂ©gnation trĂšs ancienne et trĂšs longue, remontant aux siĂšcles dâAl-Andalous, câest-Ă -dire de domination musulmane, arabo-berbĂšre, sur la pĂ©ninsule ibĂ©rique (711-1492).
Le rĂŽle de lâhistoire est Ă©videmment essentiel pour permettre de comprendre la prĂ©sence et lâusage dâune remarquable diversitĂ© de langues au Maroc, mais celui de la politique et de lâidĂ©ologie ne lâest pas moins, et il peut varier selon les pĂ©riodes , au point de faire disparaĂźtre ou apparaĂźtre une langue, comme on peut en juger par deux exemples quâil est Ă peine nĂ©cessaire de commenter : la quasi disparition des langues judĂ©o-arabes ou judĂ©o-marocaines a commencĂ© avec la crĂ©ation de lâEtat dâIsraĂ«l qui a entraĂźnĂ© le dĂ©part des Juifs marocains vers ce nouvel Etat, mais il se peut que le rapprochement politique rĂ©cent dâIsraĂ«l et du Maroc ne soit pas sans consĂ©quence non plus. Non moins frappante la montĂ©e en puissance de lâanglais (ou plutĂŽt de lâamĂ©ricain) dans lâĂ©ventail des langues jugĂ©es utiles voire nĂ©cessaires Ă lâĂ©ducation dâun jeune Marocain tournĂ© vers lâavenir et la mondialisation.
En relation directe avec la stratification sociale de la sociĂ©tĂ©, la langue française bĂ©nĂ©ficie toujours sinon plus que jamais et en dĂ©pit de la dĂ©colonisation accomplie en 1956 dâun prestige qui en fait la langue de lâĂ©lite, et maintient une place de choix Ă la francophonie marocaine. Ce maintien est une des preuves de lâambiguĂŻtĂ© ou de lâambivalence des choix linguistiques, quâon ne peut commenter sans un examen des situations concrĂštes et qui ne vont pas sans dâĂ©ventuelles contradictions.
Câest ainsi que beaucoup de facteurs entrent sans doute en ligne de compte dans le fait que lâamazighe a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ© langue officielle par la constitution de 2011. Il a fallu beaucoup de subtilitĂ© pour lâĂ©noncer en termes choisis, livrĂ©s Ă lâinterprĂ©tation des usagers marocains. Ce quâil faut comprendre, et Farid Bahri nous aide Ă cela, câest que lâamazighe est « une langue officielle mais pas tant que lâarabe » ; et ce quâil faut sans doute savoir, câest que ce dĂ©cret nâest sans doute pas sans lien avec la question sahraouie .On admire en tout cas lâaptitude des Marocains Ă vivre entre plusieurs langues , sachant implicitement mais clairement que chacune a dans leur vie un statut diffĂ©rent.
On pourrait croire cependant que lâarabe occupe dans cet ensemble une place privilĂ©giĂ©e. Sans doute peut-on lâaffirmer en effet mais Ă condition de prĂ©ciser quâil ne sâagit pas dâun arabe clairement dĂ©fini et le mĂȘme pour tous mais de deux arabes, lâun appelĂ© la fusha et dont lâavantage considĂ©rable est dâĂȘtre « la langue de Dieu » câest-Ă -dire du Coran, tandis que lâautre Ă lâinverse est la langue la plus populaire et la plus mĂ©langĂ©e qui soit, celle quâon appelle la darija.
La fusha est relativement facile Ă dĂ©finir, elle fut la langue de lâinvasion arabe, et elle est restĂ©e la langue de la transmission Ă©crite et de la liturgie. MalgrĂ© cette apparente simplicitĂ©, elle comporte des variĂ©tĂ©s, arabe classique, arabe standard, arabe dialectal, nĂ©anmoins on peut dire quâelle est ressentie par lâensemble du peuple comme la langue arabe et la langue des Arabes, dâautant quâelle est transmise et diffusĂ©e par les mĂ©dias du Moyen-Orient, qui ont Ă©videmment de grands moyens pour la faire entendre!
Reste cet immense domaine tout Ă fait passionnant Ă explorer quâest la darija. Elle est caractĂ©risĂ©e par son hybriditĂ©, un trait dont on se dit quâil pourrait bien ĂȘtre une qualitĂ© essentielle pour une langue dâaujourdâhui. La darija est lâautre nom de lâarabe dialectal, langue de communication quotidiennement utilisĂ©e dans tout le pays. On la dĂ©signe communĂ©ment comme Ă©tant de lâarabe, non sans raison Ă©videmment, mais malgrĂ© son emploi trĂšs rĂ©pandu sous ce nom, on sait bien quâelle comporte un grand nombre de mots qui ne sont pas dâorigine arabe. Câest une question qui ne semble gĂȘner ni prĂ©occuper personne, 90% des Marocains, dit-on, sâexpriment en arabe dialectal, ou plutĂŽt dans lâune des variĂ©tĂ©s dâarabe dialectal, citadine, rurale ou bĂ©douine, car la darija est loin dâĂȘtre uniforme, et il est vrai quâil peut en rĂ©sulter des malentendus . On nâen constate pas moins que la darija est beaucoup plus employĂ©e quâil y a deux dĂ©cennies, notamment parce quâelle reprĂ©sente pour les Marocains une sorte de libertĂ©. Elle Ă©volue dâailleurs Ă vive allure, sâĂ©tant rĂ©vĂ©lĂ©e assez inventive pour sâĂ©tendre Ă de trĂšs nombreux domaines, et elle nâest plus seulement comme on lâa dit pendant longtemps, un dialecte non Ă©crit.
En tout cas la diversitĂ© des langues utilisĂ©es au Maroc donne le sentiment dâune fascinante crĂ©ativitĂ©.
Denise Brahimi
« JE NE PARTIRAI PAS. Mon histoire est celle de la Palestine » de Mohammad SABAANEH traduit de lâarabe par Marianne Babut. Editions ALIFBATA
Tout dâabord donnons quelques Ă©lĂ©ments sur Alifbata, mĂ©ritoire maison dâĂ©dition marseillaise, dont nous avons dans le passĂ© commentĂ© « Le pain nu » (Lettre 50) et « Fatma au parapluie » (Lettre 51). Cette association a Ă©tĂ© cofondĂ©e en 2012 et est animĂ©e par Simona Gabrieli, directrice Ă©ditoriale, « une linguiste et une islamologue passionnĂ©e par les interactions entre les imaginaires mĂ©diterranĂ©ens » (telle que la prĂ©sente le Festival paroles Indigo de 2022). Partant du constat du faible taux de traduction en français de textes arabes (0,1%) qui donne chez nous une vision rĂ©ductrice et dĂ©formante des cultures du monde arabe elle se donne pour mission dâaugmenter la pĂ©nĂ©tration de ces textes. Notamment au travers de la bande dessinĂ©e dĂ©couverte avec les 3carnets dâorient de Jacques Ferrandez. Alifbata publie en 2015 sa premiĂšre traduction de la BD libanaise « Laban et confiture »
La bande dessinĂ©e se dĂ©veloppe depuis quelques annĂ©es dans le monde arabe, notamment sous lâimpulsion du 1er salon Cairo Comics, la bande dessinĂ©e pour adultes tout particuliĂšrement. En lein avec les printemps arabes, des collectifs se sont crĂ©Ă©s au Caire (Toktok), Ă Tunis (Lab619), Casablanca (Skefkef) qui coopĂ©rent entre eux et produisent dâabord des fanzines, rĂ©cits courts, faute dâĂ©diteurs, Ă part Dalimen en AlgĂ©rie, qui crĂ©e le festival BD dâAlger.
Mentionnons aussi la traduction de BD vers lâarabe, en Egypte. On assiste Ă une Ă©volution de ce mĂ©dia culturel sur le pourtour mĂ©diterranĂ©en, auquel il faut ajouter le phĂ©nomĂšne manga, qui comme chez nous sĂ©duit les jeunes publics : de jeunes crĂ©ateurs produisent actuellement des albums de type manga en darija, qui comme leurs inspirateurs japonais se lisent de droite Ă gaucheâŠ
Pour conclure, observons que les auteurs de tous ces pays ne dĂ©pendent dâaucune Ă©cole, et ont des inspirations trĂšs diverses, notamment des auteurs italiens ou argentinsâŠ
Alifbata se donne pour prioritĂ© de traduire et diffuser des rĂ©cits longs tels ceux que nous commenterons dans cette lettre, dâautres devant lâĂȘtre dans la Lettre de rentrĂ©e. Pour la suite, des coĂ©ditions avec Le fennec au Maroc, Pop Libris en Tunisie devraient encore enrichir le catalogue dâAlifbata. Souhaitons Ă cette remarquable maison dâĂ©dition de trouver les moyens qui la renforceront et lui permettront de dĂ©velopper son Ćuvre de diffusion. Pour notre modeste part nous espĂ©rons donner Ă nos lecteurs et lectrices lâenvie de les acheterâŠ
Venons-en Ă lâalbum « Je ne partirai pas » . Câest une rencontre Ă Lyon oĂč Mohammad Sabaaneh Ă©tait invitĂ© par Lyon BD Festival que Simona Gabrieli a dĂ©couvert les Ćuvres de Sabaaneh, peintre et dessinateur de presse palestinien reconnu. Cet artiste collabore depuis 2002 avec de nombreux mĂ©dias arabes et enseigne Ă lâuniversitĂ© Arabe amĂ©ricaine dans le governorat de JĂ©nine en Cisjordanie. Son premier livre « White and Black » paraĂźt aux Etats Unis en 2017. A lâoccasion dâun Master en illustration obtenu en 2020 Ă lâUniversitĂ© anglaise UCA il entame lâĂ©criture de « Power born of dream » qui a remportĂ© des prix littĂ©raires et est donc publiĂ© en français par Alifbata sous le titre « Je ne partirai pas ». ĂgĂ© de 45 ans, Mohammad Sabaaneh devrait revenir Ă Lyon en septembre 2023, oĂč nous ne manquerons pas de bien lâaccueillir.
Cet auteur est en effet un artiste remarquable et original. Par la technique de dessin quâil utilise, la linogravure, et ses dessins blanc sur noir, chaque image devient un tableau quâon aimerait mettre Ă son mur. Le dessin nâest quâen partie rĂ©aliste, chaque page provoquant un choc esthĂ©tique qui amplifie son message. Le livre raconte, ou plutĂŽt nous donne Ă imaginer le dialogue entre un prisonnier et un oiseau. Lâhistoire est inspirĂ©e par lâexpĂ©rience dâemprisonnement quâa vĂ©cue lâauteur en 2013 pendant plusieurs mois. La caricature politique nâest pas dans cette partie du monde une assurance de vie paisible⊠Naji al-Ali, pĂšre du personnage Handala, qui a inspirĂ© Mohammad a Ă©tĂ© assassinĂ©, rappelons-le par le Mossad Ă Londres en 1987âŠ
Lâoiseau, lui, est empruntĂ© au dessinateur gazaoui Maisara Baroud. Et le choix de la gravure est une forme de rĂ©ponse aux noms de prisonniers gravĂ©s sur les murs des prisons oĂč lâauteur a Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ©.« Tu fournis les crayons, je fournis les histoires », câest le pacte initial entre le dessinateur enfermĂ© et lâoiseau messager. « Un homme en cage est comme un oiseau en cage. Notre force naĂźt de nos rĂȘves de liberté ». Câest donc un message poĂ©tique puissant que transmet le splendide dessin de Mohammad Sabaaneh. MĂȘlant lâespoir et le dĂ©sespoir. Ainsi la naissance du bĂ©bĂ© de Manal et Amir au check point de Kafr Arab oĂč le garde a refusĂ© de les laisser passer « mais le bĂ©bĂ©, lui, a refusĂ© dâobtempĂ©rer » dit une image montrant Amir brandissant son fils hurlant (dĂ©jĂ !) contre le soldat. Tragico-comique, la prĂ©sence constante dans le ciel gazaoui de la « zenana », gros drone de surveillance qui envahit la vie des habitants. Insoutenable le rĂ©cit de lâinstituteur de Ramallah qui nâen finit pas de se voir annoncer la mort de ses Ă©lĂšves, au point de ne plus pouvoir constituer une Ă©quipe de foot. Mohammad raconte aussi Ă son ami lâoiseau lâhistoire de son frĂšre, qui, emprisonnĂ©, nâa pas pu voir naĂźtre et grandir sa fille et qui a eu tant de mal Ă sa premiĂšre sortie de prison Ă la convaincre quâil nâĂ©tait pas une photo, et Ă crĂ©er enfin le lien dâattachement.
Tragique rĂ©cit aussi de lâauteur qui, un temps a peint des portraits de martyrs. « Monsieur, le jour oĂč je serai martyr, câest vous qui ferez mon portrait ? », lui demande le petit frĂšre dâun de ces martyrs. Et il sera hĂ©las le dernier portrait que Mohammad acceptera de peindre.
Et malgrĂ© cela, quand les autres oiseaux avec qui Ă©change le messager ailĂ© proposent « emmenons-les tous avec nous loin dâici », il rĂ©pond ; « non, derriĂšre toutes ces histoires, il y a justement leur refus de partir. Moi, jâadmire leur combat : JE NE PARTIRAI PAS ».
Ajoutons que, pour faire comprendre au lecteur le contexte dans lequel ce livre est Ă©crit, la chercheuse Faten Jouini nous donne Ă lire en fin dâouvrage quelques notes sur lâhistoire et les situations administratives vĂ©cues par les Palestiniens du fait des gouvernements israĂ©liens.
Un trĂšs beau livre, dont on ne sort pas indemne.
Michel Wilson
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« POINT ZERO » dâAbir Gasmi et Kamal Zakour Ă©ditĂ© par Alifbata janvier 2023
Voici un deuxiĂšme album rĂ©cemment Ă©ditĂ© par Alifbata. Il sâagit cette fois dâun rĂ©cit principalement dessinĂ© noir sur blanc, mais qui comporte quelques planches en couleurs au pastel, dâautres blanc sur noir, dâautres encore ajoutant une couleur ocre au noir et blanc. Câest dire dĂ©jĂ si le dessinateur Kamal Zakour, algĂ©rien installĂ© en Tunisie, aime jouer avec diffĂ©rentes techniques pour faire ressentir au lecteur ou la lectrice les champs variĂ©s de comprĂ©hension de son rĂ©cit. Un rĂ©cit qui se situe dans le dĂ©sert saharien, magnifiquement dessinĂ© et qui lui a Ă©tĂ© inspirĂ© par la vie de son pĂšre, souvent absent de la maison familiale pour accomplir les missions de lâagence de protection des vĂ©gĂ©taux oĂč il travaillait. Kamal est mariĂ© Ă Abir Gasmi, la scĂ©nariste, tunisienne, de ce livre, une des initiatrices du collectif tunisien Lab 619. Sa compagne apporte Ă ce rĂ©cit une profondeur philosophique et Ă©sotĂ©rique oĂč le dessin comme les Ă©changes des personnages nous font plonger avec Ă©tonnement. Des rĂ©fĂ©rences philosophiques et littĂ©raires sous la forme de courtes citations ouvrent ça et lĂ des portes de comprĂ©hensionâŠou de nouveaux questionnements.
Le personnage principal parcourt le dĂ©sert dans sa Land Rover Ă la poursuite de criquets noirs qui « cachent quelque chose de plus grand, de plus grave, quelque chose qui nous emporterait tous. Et dĂšs les premiĂšres pages, lâattaque dâun nuage de ces criquets provoque un accident, qui est fatal Ă Ahmed, le compagnon-guide touareg du hĂ©ros. Un flash back au dessin un peu estompĂ© nous fait dĂ©couvrir les derniers Ă©changes entre le hĂ©ros et Ahmed, avant lâaccident, et aussi le fait que notre homme aime manger grillĂ©s les criquets quâil poursuit, « sa petite vengeance personnelle », ce qui provoque en lui de curieux rĂȘves, peut-ĂȘtre provoquĂ©s par le fait que ces bestioles se nourrissent dâune plante hallucinogĂšne qui le font tomber dans « lâessouf », un entre-deux auquel il nâest pas censĂ© accĂ©derâŠ
A partir de lĂ , le livre nous fait pĂ©nĂ©trer dans une Ă©trange quĂȘte dans le dĂ©sert, oĂč la peur, la mort, la peur de la mort transcendĂ©e nourrissent un dialogue intĂ©rieur nocturne avec un personnage targui fantomatique, Imashek, lâesprit du dĂ©sert. Ce dialogue est chaotique, parsemĂ© de courts rĂ©cits semble-t-il issus de la culture touareg. OĂč va le hĂ©ros ? La derniĂšre vision quâon a de lui est sur le sommet dâune de ces montagne du Hoggar. A charge au lecteur dâinterprĂ©ter cette « fin », suivie dâun Ă©pilogue qui voit la mise bas dâune gazelle, peut-ĂȘtre celle que le hĂ©ros a renoncĂ© Ă tuerâŠ
Les auteurs complĂštent cet album avec quelques Ă©lĂ©ments biographiques et des photos relatifs au pĂšre de Kamal Zakour, qui font apparaĂźtre la ressemblance/identification entre le personnage central et le pĂšre du dessinateur. Des extraits du journal dâĂ©criture dâAbir Gasmi nous font un peu pĂ©nĂ©trer son cheminement, y compris la perte dâun enfant qui fait comprendre la sincĂ©ritĂ© de ce double rĂ©cit existentiel.
Un trĂšs bel ouvrage quâon imagine emporter pour le relire lors dâun sĂ©jour dans cet envoĂ»tant SaharaâŠ
Michel Wilson
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« MarseilleS », film de Viviane Candas, 2023
Ce film est dans la lignĂ©e de ce qui a Ă©tĂ© lâun des fils conducteurs de sa carriĂšre dĂ©jĂ longue puisque Viviane Candas est nĂ©e en 1954, lâannĂ©e oĂč commence la Guerre dâAlgĂ©rie. En fait ce sont ses parents qui ont Ă©tĂ© dâactifs militants de la cause anticolonialiste, et son pĂšre Yves Mathieu est connu pour avoir Ă©tĂ© un des avocats du FLN. Lorsquâil meurt en 1967, Viviane Candas vient sâinstaller Ă Marseille qui est donc sinon sa ville du moins une de ses villes, tout comme Alger. Ses Ă©tudes portent sur des sujets tels que lâhistoire de lâart mais elle a une vocation de scĂ©nariste et de rĂ©alisatrice qui font quâelle est lâauteure de nombreux courts-mĂ©trages, oĂč elle se montre de plus en plus concernĂ©e par la place de lâimmigration et du racisme dans la sociĂ©tĂ© française.En fait le film qui sort actuellement (2023) sur les Ă©crans a Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ© par une premiĂšre mouture, devenu actuellement une premiĂšre partie chronologique du sujet qui lui tient Ă cĆur : elle lâa tournĂ©e en 1986 Ă Marseille et le rĂ©intĂšgre dans celui quâelle a tournĂ© en 2018, câest-Ă -dire 32 ans plus tard. Ce dispositif lui permet Ă©videmment de mesurer une Ă©volution , ou en tout cas de la livrer comme sujet de rĂ©flexion Ă ses lecteurs. En 1986, le personnage principal quâelle donnait Ă entendre Ă©tait son amie Fatima, AlgĂ©rienne immigrĂ©e continuellement confrontĂ©e Ă des reprĂ©sentants marseillais du FN ou Front National, ardents supporters de Jean-Marie Le Pen quâils appellent au pouvoir de tous leurs vĆux. En 2018, ce sont les enfants de Fatima quâon entend sâexprimer, sous une forme apparemment moins polĂ©mique mais il nâen est pas moins Ă©vident quâils ont affaire eux aussi Ă une extrĂȘme droite aux portes du pouvoir et convaincue de les franchir prochainement, en la personne de Marine Le Pen fille de Jean-Marie.
Cette hostilitĂ© entre deux blocs opposĂ©s constitutifs de la sociĂ©tĂ© marseillaise est le trait constant entre les deux pĂ©riodes, quels que soient les changements perceptibles par ailleurs, mais autant dire tout de suite que lâĂ©volution ne va pas dans le sens dâun rapprochement, loin de lĂ , et il paraĂźt mĂȘme tout Ă fait clair que la situation ne sâest pas amĂ©liorĂ©e dans le sens dâune meilleure (ou moins mauvaise) comprĂ©hension entre les deux groupes. Le film donne mĂȘme lâexemple de gens quâon aurait pu croire de gauche ou en tout cas opposĂ©s Ă tout racisme et qui sont dĂ©sormais passĂ©s dans les rangs de lâextrĂȘme-droite, ce qui est Ă la fois un fait et un symptĂŽme inquiĂ©tant .SymptĂŽme de quoi exactement ? A peu prĂšs tous les gens qui nous sont donnĂ©s Ă entendre dans le film sont dâaccord sur un point, et lâon peut dire que ce sont des gens des deux bords : la cause principale sinon unique de ce durcissement est lâislam, son omniprĂ©sence auprĂšs de gens qui certes se savaient sans conteste musulmans mais sans se considĂ©rer pour autant comme tenus Ă une pratique religieuse ni Ă un respect des autoritĂ©s en la matiĂšre. LĂ oĂč naguĂšre les dĂ©bats portaient sur la laĂŻcitĂ© et dâune maniĂšre gĂ©nĂ©ralement favorable Ă celle-ci, la question de lâislamitĂ© comme appartenance est dĂ©sormais mise en rapport Ă©troit avec celle de lâidentitĂ© et le film montre bien que de ce fait elle est souvent vĂ©cue avec intensitĂ© et intimement. Les fils de Fatima ne sont pas des prĂȘcheurs, ils ont lâair moins combatifs que ne lâĂ©tait leur mĂšre, mais il nâest pas sĂ»r quâon ait raison de sâen tenir Ă cette apparence : les descendants dâimmigrĂ©s, qui accepteraient sans doute quâon les considĂšre comme des Français dâorigine algĂ©rienne, ne sont pas prĂȘts pour autant Ă lĂącher cette part originelle de leur personnalitĂ© et dâailleurs ils ne voient pas pourquoi ils le feraient, au nom de quoi ils auraient Ă le faire. La trĂšs forte prĂ©sence de lâislam dans les rangs de lâĂ©migration maghrĂ©bine complique certainement ce quâon a coutume de considĂ©rer comme le problĂšme clef, Ă savoir celui de lâintĂ©gration. Subjectivement les ex-immigrants sont certainement devenus plus rĂ©ticents Ă lâidĂ©e de devenir des Français comme les autres, dans la mesure oĂč ce serait renoncer Ă toute revendication . Objectivement, pour le reste de la population lâappartenance des MaghrĂ©bins Ă lâislam est forcĂ©ment sentie comme un danger permanent, rien nâencourage ces gens Ă lutter contre leur dĂ©fiance et ce nest pas en les taxant de racisme quâon amĂ©liore la situation. Cette question de lâislam explique que dans bien des cas et dans bien des lieux, lâidĂ©ologie dâextrĂȘme droite soit devenue lâidĂ©ologie dominante, au-delĂ du populisme, câest-Ă -dire au-delĂ du peuple et Ă peu prĂšs dans toutes les catĂ©gories de la sociĂ©tĂ©.
Lâhistoire Ă©tant ce quâelle est, on sait bien quâelle ne prend pas deux fois la mĂȘme forme, et il est donc absurde de se demander si le mouvement des jeunes MaghrĂ©bins connu sous le nom de Marche des Beurs (1983) pourrait encore avoir lieu aujourdâhui ; mais tout porte Ă croire que dans la situation actuelle, lâappel Ă lâĂ©change et Ă la communication serait ressenti comme dâune grande naĂŻvetĂ©.
Et pourtant, si lâon refuse de se laisser obnubiler par les lieux et les moments de trĂšs haute tension, et si lâon veut bien renoncer au mot dâintĂ©gration qui est loin de faire lâunanimitĂ©, la maniĂšre non problĂ©matique dont beaucoup de MaghrĂ©bins sont aujourdâhui prĂ©sents dans la sociĂ©tĂ© française est la preuve Ă©vidente quâils en font partie, sans quâeux-mĂȘmes ni les autres ne leur voient une place ailleurs.
Denise Brahimi
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« OMAR LA FRAISE », film dâElias Belkeddar, Festival de Cannes 2023
On peut supposer que tout amateur de cinĂ©ma se rĂ©jouira de trouver dans un mĂȘme film deux acteurs de grand renom, que le rĂ©alisateur a visiblement tenu Ă rapprocher, pour son plaisir personnel sans doute, et sachant bien que ce tandem serait apprĂ©ciĂ© du public. Il sâagit de RĂ©da Kateb et de BenoĂźt Magimel , mĂȘme catĂ©gorie dâhommes mĂ»rs sans ĂȘtre ĂągĂ©s, ayant dĂ©jĂ beaucoup vĂ©cu sans appartenir pour autant Ă la catĂ©gorie des hĂ©ros fatiguĂ©s ni Ă celle des truands aspirant Ă la retraite, bien que truands ils soient en effet et obligĂ©s de sâĂ©loigner de leur terrain habituel, par nĂ©cessitĂ© et non par choix. Ces dĂ©tails demandent Ă ĂȘtre prĂ©cisĂ©s parce quâils montrent lâoriginalitĂ© du jeune rĂ©alisateur (environ 35 ans) par rapport aux rĂ©fĂ©rences auxquelles il nâa pu manquer de penser.On sait en effet quelle est lâimportance dans une certaine tradition du cinĂ©ma français dâun personnage souvent incarnĂ© par Jean Gabin dans la derniĂšre partie de sa vie, truand qui, rendu prudent par un dernier sĂ©jour en prison, se laisse pourtant tenter par un dernier coup propre Ă assurer ses vieux jours : ce serait dans une retraite bourgeoisement cossue avec une Ă©pouse raisonnable et une paix bien mĂ©ritĂ©e. Omar la fraise Ă©tant un personnage rĂ©solument atypique, câest plutĂŽt Magimel alias Roger qui peut faire penser Ă Gabin dâautant que comme on disait dans nos campagnes, il a bien forci. La situation toutefois est un peu plus compliquĂ©e car sâil a, peut-ĂȘtre, les aspirations de son Ă©ventuel modĂšle « à la Gabin », Roger ne les a pas pour lui-mĂȘme mais plutĂŽt pour son insĂ©parable ami Omar ; or celui-ci manifestement nâest pas prĂȘt Ă les faire siennes, Ă©tant du genre fantaisiste qui ne songe pas le moins du monde Ă se caser. Omar et Roger sont dâailleurs plus jeunes que le couple Gabin -Ventura, qui vient Ă lâesprit pour continuer cette comparaison, mais sâil fallait souligner un trait commun Ă ces diverses sortes de truands ce serait sans doute la peur plus ou moins avouĂ©e de dâennuyer et câest elle qui les pousse Ă prendre des risques que le commun des mortels ressent comme inutiles. Câest justement par lĂ quâils ne sont pas le commun des mortels, et ne mettent pas leur intelligence au service de la rationalitĂ©.
Parmi les « fautes » quâils commettent Ă lâĂ©gard de cette derniĂšre, il y a ce fait flagrant et mystĂ©rieux qui est lâextrĂȘme importance de lâamitiĂ©, laquelle reste relativement secrĂšte dans « Omar la fraise », en sorte quâon est tentĂ© de sâorienter vers une interprĂ©tation du film que le rĂ©alisateur suggĂšre mais se garde bien dâexpliciter.Roger vit par procuration, dans une sorte de symbiose qui le constitue en double volontaire dâOmar, et câest certainement une des originalitĂ©s du film que ce rapport entre eux, qui reste inexpliquĂ©. Roger ne peut vivre quâĂ travers Omar, ce qui rend dramatique le fait quâOmar puisse au moins partiellement lui Ă©chapper, sans que son amitiĂ© en soit pour autant diminuĂ©e. LâĂ©cart entre eux grandit du fait quâOmar se retrouve dans le pays de ses origines, mĂȘme sâil nâest pas pleinement convaincu de cette appartenance dont les autres veulent le persuader. MalgrĂ© le fait quâil est sous haute surveillance et doit se faire oublier, il reste tout Ă fait imprĂ©visible et sujet Ă des extravagances incontrĂŽlables. Et dans le cadre de celles-ciâon se dit que câest peut-ĂȘtre le plus importantâĂ un certain moment, Omar tombe amoureux dâune personne dont lâemprise sur lui est beaucoup plus forte quâon nâaurait pu lâimaginer ; pour Roger aussi cela semble bien ĂȘtre une dĂ©couverte Ă laquelle il ne sâattendait pas.
Quoiquâil en soit, cet ensemble de circonstances joue Ă lâinverse de ce quâil en est pour Roger. Celui-ci nâayant aucune sorte dâancrage personnel autre que la symbiose qui lâunit Ă Omar, semble alors dĂ©stabilisĂ© pourrait-on dire dâun mot un peu vague mais qui signifie certainement une dĂ©tresse intĂ©rieureâpeut-on aller jusquâĂ supposer quâil y a en lui une pulsion sacrificielle quâil met en Ćuvre au profit dâOmar ? Le film nâest pas totalement clair et tout se passe comme sâil voulait faire alterner des Ă©pisodes descriptifs trĂšs visuels, combat de bĂ©liers, course de chameaux, avec cette opacitĂ© volontairement maintenue.
Alternance aussi entre les scĂšnes de violence sanglante et celles dâempathie voire de tendresse avec les enfants des rues dâAlger auxquels Omar sâidentifie. Le film est parfois brutal mais il nâest pas mĂ©chant, on y voit poindre par ci par lĂ diffĂ©rentes sortes dâamour et câest certainement une des choses que le rĂ©alisateur voulait dire Ă propos des truands, en tout cas dans la version algĂ©rienne quâen donne Omar, alors quâil lâavait peut-ĂȘtre ignorĂ©e pendant sa vie de truand français ! Parmi les explications diverses de son surnom « la fraise » on retient (mais cela pourrait ĂȘtre pure dĂ©rision) lâidĂ©e de fraĂźcheur  : il y a assonance entre les deux mots. Mais lâambiguĂŻtĂ© est omniprĂ©sente, les fraises, tendre cadeau Ă une mĂšre aimĂ©e, peuvent aussi ĂȘtre traĂźtreusement remplies dâaiguilles en vue dâune cruelle vengeance. Ainsi en serait-il dans le monde des truands, sur lequel le film nous invite Ă ne pas avoir dâidĂ©es prĂ©conçues ; son projet serait de repartir de celles que nous devons Ă une longue tradition, notamment cinĂ©matographique, mais pour les faire bouger et les montrer autrement.
Et toujours ces deux films sur la richesse de la vie associative algérienne que nous vous invitons à visionner.
â Utiles
de Bahia Bencheikh-EL-Feggoun
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âEntre nos mains
de Leila Saadna
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Et sa bande-annonce, cliquez ici
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Note de présentation :
Ajar-Paris par Fanta Dramé, Plon 1922
Fanta DramĂ©, nĂ©e en 1987, est dâorigine mauritanienne par son pĂšre, nĂ© en 1949 Ă Ajar dans le sud du pays. Cependant on sâaccorde Ă reconnaĂźtre, et elle la premiĂšre, quâelle est trĂšs parisienne Ă tous Ă©gards, enseignante de français en Seine-Saint-Denis, et auteure de ce livre qui est son premier roman.
Pendant longtemps, jusquâen 2013, elle a tout ignorĂ© du pays natal de son pĂšre, aussi bien que de son pĂšre lui-mĂȘme. Ce livre qui est le rĂ©sultat de son enquĂȘte nous apprend que celui-ci est venu sâinstaller en France en 1975, Ă lâĂąge de 26 ans, rompant avec toute sa vie antĂ©rieure, dont 7 annĂ©es consacrĂ©es Ă lâĂ©tude et Ă la pratique de la religion islamique.
On peut suivre dans son rĂ©cit 3 gĂ©nĂ©rations issues de la mĂȘme souche mauritanienne. La plus ancienne est celle de la grand-mĂšre, totalement ignorante de la langue et de mĆurs françaises alors mĂȘme quâelle a vĂ©cu chez son fils Ă Paris pendant les 30 derniĂšres annĂ©es de sa vie, consacrant son temps Ă ses nombreux petits-enfants . Le pĂšre est celui qui a vĂ©cu le passage de la Mauritanie traditionnelle oĂč il a vĂ©cu jusquâĂ lâĂąge dâhomme Ă la France oĂč il est venu sâinitier Ă la vie et Ă la langue françaises. La 3e gĂ©nĂ©ration ne connaĂźt rien dâautre que celles-ci, lâexemple en Ă©tant la narratrice et auteure elle-mĂȘme, Fanta DramĂ©. La mort de sa grand-mĂšre en 2013 a Ă©tĂ© pour elle lâoccasion de dĂ©couvrir Ajar et le parcours de son pĂšre, entre Ajar et Paris.
Elle le suit de trĂšs prĂšs Ă son arrivĂ©e Ă Paris, lorsquâil dĂ©couvre un monde dont il ignorait tout auparavant, elle repasse sur ses traces aprĂšs plus de 40 ans, Ă©voquant ses recherches dâemploi (bagagistes, homme de mĂ©nage), de logement (dans divers foyers) et son apprentissage obstinĂ© de la langue française. Ayant Ă©pousĂ© une SĂ©nĂ©galaise rencontrĂ©e Ă Dakar, il sâinstalle Ă Paris et fonde avec elle une fratrie Ă la mode africaine. Mais il ne lira pas le livre que lui consacre sa fille Fanta, dont il dit ne pas voir lâintĂ©rĂȘt.
Denise Brahimi
Note de présentation :
La LumiĂšre de ma mĂšre par Mehdi Charef Editions Hors dâatteinte Mars 2023Ce court livre nâest pas un roman autobiographique parce quâil nâest pas un roman, ne comportant aucune narration ni fiction. Il est un hommage de lâauteur Ă sa mĂšre et Ă travers elle Ă un trĂšs grand nombre de femmes algĂ©riennes (ce qui justifie sa publication par la maison dâĂ©dition fĂ©ministe « Hors dâatteinte ». MĂšre nĂ©e dans la paysannerie algĂ©rienne traditionnelle et venue ensuite vivre en France Ă Nanterre, dans lâexil et lâĂ©migration, sans cesser dâĂȘtre ce quâelle avait toujours Ă©tĂ© auparavant.
Le livre est composĂ© de brefs fragments dâenfance, dâoĂč se dĂ©gage le lyrisme Ă©mouvant de cet Ă©crivain et cinĂ©aste (ĂągĂ© de 70 ans).
Denise Brahimi
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