Le film de Philippe Faucon Les harkisa été présenté en avant première le Jeudi 15 septembre 2022 (20 heures) à Toulouse au cinéma Le Cratère et nous étions présents à cette séance (trois jours plus tard il sort aussi à Lyon comme le signale Michel Wilson).
Nous avions aimé en 2015 le film Fatima, centré sur la vie de femmes maghrébines en France, avec une analyse fine du problème de langues (apprendre à lire, mais en français ? en arabe ? les secrets d’une mère)
Les harkis, film tourné dans l’est marocain près de Oujda, décrit le quotidien de la guerre d’Algérie dans les campagnes de l’ouest du pays, proches de la frontière marocaine. Le triangle du conflit : une population « encadrée » et surveillée par une armée française composée de « musulmans » (les harkis) sous les ordres d’une poignée d’officiers français. Cette population se débat entre l’aide au petit nombre de combattants indépendantistes du FLN, renforcés par ceux qui réussissent à passer la frontière électrifiée depuis le Maroc d’une part, et d’autre part le consentement à la puissance française omniprésente, mais partout fragilisée par la « rébellion ».
C’est sans manichéisme que Philippe Faucon raconte en une fiction très proche du documentaire cette guerre entre 1959 (De Gaulle vient de fonder en France la Ve République) et 1962 (les accords d’Évian mettent fin à cette guerre en mars). Le sort des harkis se noue de plus en plus dramatiquement car ces « auxiliaires » ou « mercenaires » de l’armée française sont menacés dans cette Algérie indépendante qui se met en place dans l’incertitude, tandis que les officiers français qui les encadrent soit ne peuvent soit ne veulent organiser leur départ vers la France. Rappelons que ces auxiliaires ont été quelque 400 000 et que sans doute 60 000 on gagné la France, rejoints par leurs femmes et enfants.
Au cinéma le Cratère à Toulouse (séance présentée par les Amis du Monde diplomatique), le débat après le film porte sur ce que fut la guerre. Une question montre que des jeunes ne conçoivent pas que les soldats français n’étaient pas des volontaires mais remplissaient simplement leurs obligations légales de service militaire. Des remarques insistent sur le parti de Philippe Faucon de montrer plutôt les côtés « positifs » de ces harkis et des officiers qui les commandent plutôt que de les condamner. Sans doute l’histoire familiale de l’auteur du film explique ce choix. Il est lui-même né en 1958, enfant élevé pendant cette guerre par des parents (père officier) vivant de part et d’autre de cette frontière algéro-marocaine. (Claude Bataillon)
Sur ce sujet essentiel dans la guerre d’Algérie, Coup de soleil a déjà pu présenter divers ouvrages :
https://coupdesoleil.net/evenements/harkis-en-algerie-coup-de-sonde-en-profondeur/(livre de Pierre Daum https://coupdesoleil.net/evenements/harkis-cle-de-la-nation-algerienne-cle-de-la-france-coloniale-fatima-besnaci-lancou-et-tant-dautres-en-2012/(numéro de la revue Temps modernes coordonné par Fatima Besnaci-Lancou). Le film qui sort permet d’avancer en cette année de soixantième anniversaire de la fin de cette guerre d’Algérie. Voir la bande annonce sur Youtube: https://www.youtube.com/watch?v=988UH5vz3i4
La Lettre culturelle de Aout 2022 a analysé ce film sous la plume de Denise Brahimi::
On ne s’étonnera pas de trouver dans ce film une parfaite rigueur idéologique qui interdit à Philippe Faucon de prendre parti pour une cause aux dépens d’une autre, et on constate au contraire qu’il prend courageusement le risque comme il a déjà été dit par la critique, de déplaire à tout le monde ! Ce qui ne veut pas dire qu’il se rallie à des formules banales allant au-delà même des comparaisons jusqu’à des assimilations du type : ils se sont conduits aussi mal les uns que les autres, c’était la guerre etc. Il n’y a évidemment rien de commun comme le film le montre entre les adversaires en présence : d’une part l’armée française et les moyens (énormes) dont elle dispose tant du point de vue technique et militaire que de la communication qu’elle assène sous la forme d’une propagande éhontée—et d’autre part les fellaghas qui ne reculent devant aucune cruauté pour compenser leur infériorité objective, d’autant que leur action ne peut que rester clandestine alors que celle de l’armée recherche au contraire la plus grande visibilité.
A aucun moment, Philippe Faucon ne donne le sentiment d’une symétrie ou d’une réciprocité, d’ailleurs son film, comme son titre l’indique très bien, ne porte pas sur l’ opposition entre les deux forces principales de ce conflit, mais sur cet autre groupe constitué par les harkis, et dont l’existence fait la singularité douloureuse de cette guerre (même si d’autres exemples semblables ont existé). Les harkis deviennent le sujet principal du film et on pourrait sans doute dire son sujet unique après une mise en place de leur recrutement qui peut passer pour le prologue du film. Le moment où ils passent au devant de la scène se situe en 1960, et c’est là que commence une tragédie qui est loin d’avoir trouvé son dénouement à la fin du film (ni même beaucoup plus tard et jusqu’à aujourd’hui).
En termes historiques et objectifs, on pourrait dire que cette tragédie vient de ce qu’ils ont fait le mauvais choix, et commis une erreur irréparable ou irréversible en choisissant le parti de la France. Sans revenir sur le fait qu’ils n’ont eu que très rarement la possibilité d’un choix (et d’ailleurs s’il s’agissait d’un choix, pourrait-on le reprocher à des hommes dont certains s’étaient battus pour cette même France clairement définie comme « leur » pays pendant la seconde guerre mondiale?), les harkis se sont trouvés pleinement intégrés à l’armée française et parfois plus que les soldats français, dans la mesure où leur connaissance du pays, de ses coutumes et de sa langue, leur donnait une compétence précieuse (voire indispensable).Mais l’essence même de la tragédie des harkis telle que Philippe Faucon nous la fait ressentir par empathie, c’est que dès 1960 ils ont été parfaitement conscients, en dépit de la tentative des chefs pour les rassurer, qu’ils seraient victimes de leur engagement aux côtés de la France. Situation tragique et sans issue. Nul ne peut nier que les harkis ont été sacrifiés dès le moment où le Général de Gaulle a entrepris de négocier avec le FLN pour parvenir à la paix qui sera sanctionnée en mars 1962 par les accords d’Evian. Pendant les négociations tous ceux qui y participent continuent à affirmer qu’il ne sera fait aucun mal aux Harkis et que leur sort sera réglé honorablement, mais comment les intéressés auraient-il pu croire à des déclarations de principe dont ils savaient parfaitement qu’elles n’étaient assorties d’aucunes clauses pratiques garantissant leur réalisation ? Pendant toute une partie de son film le réalisateur fait entendre les questions parfaitement pertinentes et ô combien angoissées que ces hommes se posent sur leur sort et celui de leur famille elle aussi menacée. Ces moments sont d’autant plus pathétiques que le réalisateur n’a pas eu besoin de chercher à les rendre poignants. Il semble que les acteurs, au jeu d’abord un peu incertain, sont progressivement gagnés par cette angoisse qui transparaît dans leurs regards autant que dans leur propos ; et les spectateurs du film qui connaissent la suite de l’histoire, savent à quel point leur peur est justifiée. C’est évidemment par là que le film va au-delà de ce que peuvent apporter toutes ses sources, tout simplement parce qu’il donne à voir ce qu’il ne suffit pas de savoir, grâce au talent de son réalisateur.
Encore faut-il préciser que chez Philippe Faucon, le talent n’a rien à voir avec une prouesse technique mais qu’il doit tout à la qualité d’un engagement humain qui le rend sensible à la douleur des autres. Il arrive que celle-ci provoque une révolte flamboyante mais vaine et narcissique ; dans « Les Harkis » de Philippe Faucon, on voit plutôt un exemple du refus de se soumettre et de tout accepter, même ou surtout quand l’échéance paraît inéluctable. Il y a dans le film un jeune Français aux yeux clairs que ses supérieurs ont chargé de gérer le sort de la harka (ou groupe de harkis) dont on a fait la connaissance au cours du film. Lui aussi sait bien comment les choses se passeront finalement et qu’on abandonnera à un sort forcément funeste ces garçons qu’il s’est mis à aimer comme des frères. En dépit d’une difficulté extrême il s’efforce de sauver quelques-uns d’entre eux en les aidant à se rapatrier clandestinement en France, malgré le refus officiel qui leur a été opposé. Il est trop clair en effet que les villageois les tueront pour se venger, sort que les harkis laissés en Algérie au départ de l’armée ont en effet subi par dizaines de milliers. On croit comprendre que la tentative réussit, mais il n’est pas question de voir là une sorte de « happy end » pour réconforter les âmes sensibles et compenser l’échec global de la très douteuse entreprise qui a consisté à recruter des supplétifs algériens. Tout au plus peut-on dire qu’une défection collective n’empêche pas certains individus de vouloir, même seuls, assumer ce qu’ils considèrent comme leur responsabilité. Attitude émouvante et digne de respect, mais il n’est pas question pour autant de pavoiser. Tout au plus peut-on dire, et s’en réjouir, que ceux-là ou plutôt celui-là l’a fait. Un seul. Merci à lui.
Denise Brahimi (aout 2022)
Ce film sera projeté en avant-première le dimanche 18 septembre au cinéma Le Zola de Villeurbanne, avec le partenariat de Coup de Soleil AuRA, qui animera le débat avec Saïd Merabti, fils de harki et militant de la mémoire harki et de la culture berbère.