Un document indispensable pour contribuer au débat relatif à l’enseignement de la langue arabe sur le sol français

Dialogue de Mohammed Habib Samrakandi avec Jean-Pierre Chevènement à Toulouse, le 7 janvier 2009

Référence : Chevènement, Jean-Pierre, – La nation est-elle devenue un espace politique périmé ?, p.119-142,
Collection : Les idées contemporains du Grep-Midi-Pyrénées [Groupe de Recherches, d’Education et de Prospectives],
in Qu’est-ce que l’identité nationale de la France, saison 2008-2009, Toulouse, septembre 2009.

Partie Débat :

Question de Mohammed Habib Samrakandi :
Il y a quelqu’un que nous aimons tous les deux, un ami que nous avons perdu, je veux parler de l’orientaliste-islamologue, Jacques Berque.[Jacques Berque, né à Frenda(Algérie) le 4 juin 1910 et mort à Saint-Julien-en-Born le 27 juin 1995] Vous lui avez demandé deux fois de vous préparer des rapports et dans votre dernier ouvrage de 2004 sur  »Défi  Républicain »,  vous lui rendez hommage en rappelant ses réflexions étonnamment actuelles sur  la question des civilisations :  » faire se rejoindre dans une société donnée, la modernisation avec le sentiment authentique, rendre cette société capable, rendre cette société capable, soit d’intégrer à son propre legs les emprunts d’outillages et de méthodes qu’elle fait à l’extérieur, soit de transposer son identité traditionnelle en terme d’avenir. »
Voilà où je veux arriver : dans son deuxième rapport, intitulé :  »L’immigration dans l’Ecole de la République », il a critiqué une convention entre la France et les pays du Maghreb, qui confie l’enseignement de l’arabe en France à des gens d’origine maghrébine, et dans les deux locaux de ces pays. Et il dit en conclusion de ce rapport, que le fait d’accorder à des Etats tiers l’enseignement de l’arabe et de la culture maghrébine,  »s’articule difficilement avec les habitudes de l’école française ». Nous sommes au coeur de l’identité de la France véhculée par l’école de la République.
Et ma question est la suivante : pourquoi les gouvernements de droite comme de gauche ont-ils échoué à mettre fin à ces conventions, qui remettent en cause le contenu républicain de l’enseignement des langues étrangères. Nous avons en France des agrégé(e)s d’Arabe, nous avons des CAPES d’Arabe et depuis François premier (1494-1547) ( époque depuis laquelle ce fondateur du Collège de France avait introduit l’enseignement de l’Arabe) existe en France et beaucoup de gens l’ignorent), et cependant, je constate qu’en 2009 des professeurs d’Arabe, Français d’origine ou naturalisés, sont au chômage, au moment où nos enfants vont apprendre l’Arabe dans des Consultas, dans des établissements où ils répètent (en lieu et place de  »Liberté-Egalité-Fraternité) à l’ouverture de la séance d’enseignement :  » Vive le Roi, vive la Patrie, vive la Monarchie ».

Jean-Pierre Chevènement
–  Oui, vous mettez le doigt sur un problème qui est très connu. Depuis Monsieur Giscard d’Estaing, depuis 1975-1976, il existe des cours en langue d’origine, mais en fait ils sont sous-traités aux administrations des pays originaires des jeunes scolarisés en France( pour dire les choses très rapidement, les Consulats du Maroc, d’Algérie et de Tunisie). Donc ce sont des maîtres nommés par les ministères concernés qui assurent une sorte d’apprentissage de ces langues et cultures d’origine dans des conditions qui échappent totalement au contrôle pédagogique de l’école française. Jacques Berque avait soulevé ce problème, il n’a jamais été résolu, même par moi d’ailleurs, mais je ne suis resté à fouetter, je dois le dire, et ce problème n’a pas été résolu, ce qui est tout à fait regrettable parce que les propositions qu’avait faites Jacques Berque en contre partie ( la création des Lycées franco-arabes par exemple), auraient entraîné le recrutement en nombre de maîtres qualifiés par la voie du concours du Capes et de l’Agrégation mais n’ont pas été suivies d’effet.
Et par conséquent, il y a là quelque chose qui témoigne simplement de la frilosité de la France d’aborder ces questions avec les trois pays du Maghreb pour ne pas, vraisemblablement se les mettre à dos. Encore qu’à  ma connaissance, la démarche n’a jamais été tentée. On a considéré que ce n’était pas opportun, et je ne sais pas d’ailleurs pas où en est réellement l’enseignement des langues et cultures d’origine. Cela continue en l’état et c’est une incohérence manifeste. L’Ecole de la  République devrait promouvoir un enseignement de l’Arabe dispensé par des Maîtres ayant satisfait aux épreuves des Concours de l’Education Nationale et obéissant aux contrôles pédagogiques et administratifs de l’Ecole française et aux valeurs de l’Ecole Républicaine. C’est l’évidence, mais il faudrait là un peu de courage. Ce courage existe-t-il ? La réponse n’est que trop évidente. On ne veut pas avoir un conflit avec les trois pays du Maghreb sur une affaire qui a été décidée par Monsieur Giscard d’Estaing il y a plus de trente ans.
Alors, il faudrait regarder cela ! j’en parlerai avec Monsieur Xavier Darcos [Le 18 mai 2007 il est nommé ministre de l’Éducation nationale, puis ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville le 23 juin 2009 dans le gouvernement de M. François Fillon, qu’il quitte le 22 mars 2010.]

Chevènement, Jean-Pierre, – La nation est-elle devenue un espace politique périmé ?, p.119-142,  Collection : Les idées contemporains du Grep-Midi-Pyrénées [Groupe de Recherches, d’Education et de Prospectives], in Qu’est-ce que l’identité nationale de la France, saison 2008-2009, Toulouse, septembre 2009. ( Extrait : p.133-135)

Information utile : pour demander la totalité de l’article de Jean-Pierre Chevènement : consulter  : https://grep-mp.org/publications/

Fait à Toulouse, le 8 nov. 2020 par Mohammed Habib Samrakandi : habib.samrakandi@free
Membre de l’Association de Coup de Soleil-Midi Pyrénées

(Marc Bernard)