Des militants et amis de Coup de soleil ont assisté aux manifestations de ce salon des livres sur le Maghreb. Ils nous transmettent leurs notes sur ce qu’ils ont entendu. D’autres ont assuré la relecture de ces textes, parfois en écoutant les enregistrements sonores dont nous disposons. Merci à Claude Bataillon, Françoise Bataillon, Eugène Blanc, Line Boularès, Monique Chaibi, Touriya Fil, Monique Gaultier, A. Maacha, Christine Roubieu, Agnès Spiquel, Edith Toubiana, Michel Yvon.

Nous avons regroupé ces textes en trois chapitres :

Histoire du Maghreb/  Ecrire au Maghreb, écrire sur le Maghreb : langues, éditeurs, écrivains/  Islam et culture : quelles spécificités ?

 Islam et culture : quelles spécificités ?

Dans une France pluriculturelle, nous sommes confrontés au quotidien aux désirs et aux craintes de citoyennes et de citoyens « musulmans », français ou étrangers.

« Islam et démocratie : l’exemple tunisien », Table ronde animé par Massensen Cherbi (juriste et historien), avec Sophie Bessis (historienne et journaliste), Ali Mezghani (juriste), Pierre Puchot (journaliste)

Massensen Cherbi introduit le débat : le thème n’est pas l’islamophobie. L’Indonésie, entré dans un processus de démocratisation depuis 1998, est le premier pays musulman du monde. La Tunisie, elle, est caractérisée par une forte présence citadine, dans un pays petit par la taille et grand par l’histoire.

Ali Mezghani souligne que la constitution tunisienne de 1994 crée un Etat civil, mais un Etat musulman, dont le président est nécessairement de confession musulmane. On ne peut comprendre ce qui s’y passe sans tenir compte des exceptions tunisiennes : la dynastie Hafside (1228- 1574) y a établi précocement un Etat stable centré sur Tunis, pour une économie prospère. Puis l’épisode ottoman a été court en Tunisie. Un esprit public réformiste y nait dès le XVIIIe siècle et plus encore dans le premier tiers du XIXe siècle, avec un Pacte fondamental en 1857 qui en 1861 devient la première constitution dans un pays du monde arabe. En 1873 est créé le Collège Sadiki, trilingue (arabe, français, italien), destiné à former les élites politiques modernes de la Tunisie. A l’indépendance, l’œuvre modernisatrice [menée au cours des années de protectorat français, 1881-1956] est poursuivie grâce à Habib Bourguiba. On peut voir en comparaison à quel point Nasser en Egypte et Boumedienne en Algérie ont oublié de moderniser la société. S’il existe une vraie exception tunisienne, les risques de contre-réforme y sont plus forts qu’en Egypte ou en Algérie.

La constitution de 2014 est pleine de contradictions : elle a été rédigée par des non-conformistes qui arrivent aux affaires, par des gens d’un appareil, pas par des dirigeants. Il s’agit d’une constitution « innée », qui comporte des choses vraies et leurs contraires, plus des « choses » qu’on ne dit pas.

Au niveau des concepts, la Tunisie n’est pas une nation : la seule nation reconnue est une communauté de croyants, la seule nation est de culture arabo-musulmane, mais pas une nation démocratique. Des questions se posent pour de la liberté avec plus d’autonomie. Or dans la constitution, c’est la famille qui sert de fondement et non pas l’individu. En ce qui concerne la question de l’égalité, la femme n’est qu’une complémentarité par rapport à l’homme, c’est un concept islamique. L’égalité qui neutralise les individus, c’est une discrimination. La Tunisie est un Etat de religion musulmane, ce n’est pas un Etat islamique.

Pierre Puchot : Quel est l’éventail du courant islamique en Tunisie ? Il n’est plus temps aujourd’hui de parler d’Islam. Ennahada n’est plus au pouvoir, il existe une multiplicité de courants islamiques antinomiques. Il n’y a pas de fusion ni d’unité. Ennahda n’est pas pour une réforme de l’Etat [vers un islamisme]. Il n’a pas cherché à confisquer les acquis de la révolution de 2012 ni à les remettre en question. Il règne une grande liberté de parole. Certains ont pensé qu’avec Ennahada il était possible de dialoguer avec le courant salafiste. La faute d’Ennahda a été de ne pas voir la montée des foyers djihadistes en Tunisie. Et aussi de ne pas faire non plus des réformes de l’Etat. Ils n’ont pas vraiment perdu les élections de 2014, car ils ont actuellement 80 députés.

Sophie Bessis pose la question : y-a-t-il un compromis historique en Tunisie ? Les forces islamistes ont-elles changé ? Quel a été le rapport de forces depuis 2011 et les islamistes ont-ils changé depuis 2011 ? Depuis le moment de leur hégémonie, ont-ils fait des concessions ? L’histoire de la Tunisie n’a pas commencé en 2011 et il faut prendre en compte la profondeur historique. Le mouvement islamiste se réclame d’un corpus idéologique et celui-ci a deux objets. D’abord des rigidités idéologiques qui lui ont fait méconnaitre la réalité tunisienne, puis petit à petit une césure entre plusieurs islamismes. L’islam n’a pas réglé les problèmes des Tunisiens. La « complémentarité » homme/ femme a du être abandonnée face à une opposition importante. La société civile a mené une forte opposition contre l’imposition de la charia. Si bien que les islamistes ont été obligés de faire machine arrière.

Les assassinats politiques ont provoqué un électrochoc en Tunisie. Les Tunisiens ont refusé la constitution proposée en 2013 par Ennahada, ce qui a renversé le rapport de force. Cela a obligé à penser à une nouvelle constitution et à un partage du pouvoir. Les nouvelles élections législatives de novembre et décembre [en fait octobre] 2014 ont montré que Ennahada a toujours des partisans (69 députés, arrivé second). Le compromis historique est il une tactique pour Ennahda ? Il appartient à un gouvernement d’union nationale, ce qui lui permet de rester dans l’appareil d’Etat, pour une « tunisification » des Frères musulmans et une conversion de l’islam à un conservatisme musulman. C’est un test à venir : savoir si la sécularisation des pratiques et la politique religieuse montrent que Ennahda a décidé d’évoluer, ou seulement cherche à gagner du temps avec le but de revenir à la radicalisation, comme cela survient en Turquie.

Massensen Cherbi interroge : Si Ennahda revenait au pouvoir, y-aurait-il un barrage à un retour de l’islamisme ?

Ali Mezghani : On sait ce que les islamistes ont voulu faire : mettre en pièce les structures et les fondamentaux de l’Etat moderne : abroger la loi sur l’adoption, un projet de loi sur les mosquées. La Tunisie est le seul pays à avoir unifié la justice et la religion [ ?]. Le but étant de donner pouvoir à un juge religieux en vertu de la charia. C’est après le second assassinat politique (qui a provoqué une manifestation de 300 000 personnes) qu’Ennahda a été contraint de quitter le pouvoir. Pierre Puchot commente : « Ennahda n’a pas essayé d’islamiser la Tunisie ! » (protestations de Ali Mezghani …)

(Michel Yvon)

Pour les musulmans Edwy Plenel, La découverte, 2014, 135 p. (Entretien)

Avec d’autres livres « prémonitoires » du 7 janvier (Boualem Sansal entre autres), l’essai de Plenel fait mouche, vivement écrit comme il sera vivement commenté par l’auteur le 8 février au Maghreb des livres à l’Hôtel de Ville de Paris, dans la série des Entretiens menés par Catherine Pont-Humbert. Il a écrit face à la formule de Finkelkraut « il y a un problème de l’Islam en France ». Pour monter que le rejet de l’« autre » est de tous lieux et de tous temps, même si pour la France actuelle l’autre est avant tout l’Arabe habillé en musulman.

Plenel a l’art de trouver les bonnes citations et de bien les commenter. Il nous aide à resserrer les boulons de l’anti-racisme. Rappelons ce qu’est la chaîne dont le musulman est le maillon principal. Le Rom (autrefois tzigane folklorique ou romanichel rural) représente, selon des évaluations très floues, entre 2% et 0,5% de la population française. Il est chrétien (parfois orthodoxe il est vrai…) et citoyen français depuis dix générations, même si à ceux-là s’incorpore un minuscule contingent de quelque 20 000 « étrangers » surtout roumains (1 pour 3000 de la population française), majoritaires dans les 300 campements illégaux, objets d’expulsions temporaires (puisqu’ils sont citoyens de l’Union européenne). Le Juif, c’est environ 1% de la population française, en grosse majorité issu du Maghreb. L’Arabe, environ 10% de cette population. Les « descendants d’étrangers », c’est plus du quart des Français. Et globalement il n’y a pas chez ceux-ci plus de pauvres, de marginaux, de chômeurs que chez ceux qui ne se connaissent pas d’ascendance étrangère.

C’est au nom de la laïcité que beaucoup se disent anti-musulmans de nos jours. Sauf qu’il s’agit d’une laïcité biaisée, dévoyée. Plenel rappelle le contexte de la formule de Marx « la religion opium du peuple » : l’opium est, parmi d’autres drogues, ce qui permet au faible et au pauvre de supporter sa condition. Il rappelle que la laïcité de la loi de 1905 est celle d’Aristide Briand, mettant sur un même pied d’égalité privée les « trois religions » d’alors face à l’espace public, et non celle, antireligieuse, d’Emile Combe. Il rappelle, après Sartre ou Anna Ahrendt, que le racisme anti-juif est le même que le racisme anti-noir ou anti-colonisé, dont l’Arabe est le symbole. Le phantasme de l’assimilation est négation du droit d’être autre dans la République, de faire que celle-ci repose sur la diversité féconde et créatrice.

(Claude Bataillon)

 Café littéraire « L’Islam dévoilé » Animateur Gérard Meudal, journaliste. Invités : Meryem Selami pour son livre « Adolescentes voilées : du corps souillé au corps sacré »; Bruno Nassim Aboudrar  pour son livre « Comment le voile est devenu musulman »; Moulay Bachir Belqaïd pour son livre « Le voile démasqué »

Pour Meryem Sellami, sociologue et anthropologue, qui rend compte de témoignages de jeunes filles tunisiennes qui ont fait le choix de se voiler alors que leurs mères ne le sont pas, c’est un acte politique et social, « mettre le voile pour se sentir sujet », sentiment contraire à ce qu’on perçoit en Occident puisque porter le voile c’est être objet. « Voilée pour ne pas être offensée » telle est la recommandation du prophète.

Pour M.BelKaïd, le voile n’est pas lié à la religion islamique puisqu’il existe avant l’Islam et dans d’autres civilisations (dans la chrétienté aussi !). Toutes les formes d’oppression dont sont victimes aujourd’hui les femmes musulmanes (voile, injustice, illéttrisme, violence, répudiation ….) ne découlent en rien des textes religieux. Le voile est l’expression manifeste de l’oppression masculine. Le voile dans le monde musulman a été imposé politiquement par « les frères musulmans » (depuis 1928) pour que les femmes apparaissent « pudiques  » par rapport aux femmes occidentales.

Pour M. Aboudrar, spécialiste d »‘esthétique et théorie de l’art », si le port du voile nous choque, c’est moins en raison de l’outrage fait aux femmes ou de l’entorse à la laïcité, que parce qu’il bouleverse un ordre visuel fondé sur la transparence  en lui opposant le caché, le secret, l’obscur. Il rappelle que le sens donné au voile s’est modifié au fil de son histoire, d’abord instrument de pudeur, d’invisibilité sans valeur symbolique, puis, avec le développement de l’image, des femmes mettent le voile parce que la religion refuse l’image, puis avec la colonisation les femmes se cachent aux yeux des colonisateurs …..

Un tel sujet aurait nécessité un long échange d’autant que les questions du public étaient nombreuses et diverses, mais le temps n’a pas permis de poursuivre …

(Christine Roubieu)