Des militants et amis de Coup de soleil ont assisté aux manifestations de ce salon des livres sur le Maghreb. Ils nous transmettent leurs notes sur ce qu’ils ont entendu. D’autres ont assuré la relecture de ces textes, parfois en écoutant les enregistrements sonores dont nous disposons. Merci à Claude Bataillon, Françoise Bataillon, Eugène Blanc, Line Boularès, Monique Chaibi, Touriya Fil, Monique Gaultier, A. Maacha, Christine Roubieu, Agnès Spiquel, Edith Toubiana, Michel Yvon.

Nous avons regroupé ces textes en trois chapitres :

Histoire du Maghreb / Ecrire au Maghreb, écrire sur le Maghreb : langues, éditeurs, écrivains / Islam et culture : quelles spécificités ? (avec cette table ronde sur l’école, un dossier de lectures sur ce thème se trouve en annexe)

 L’école et les enfants de l’immigration, Table ronde le 8 février 2015, avec Choukri Ben Ayed, sociologue, professeur à l’université de Limoge, travaille sur la ségrégation scolaire. Il a constaté que 40 ans séparent les premières directives à ce sujet et les premières recherches. Il publie « La mixité sociale à l’école ». Benoît Falaize, historien, professeur à l’université de Cergy Pontoise, s’est spécialisé sur les « questions sensibles » de l’histoire française, où l’histoire de l’immigration tient une place évidente. Smaïn Laacher, sociologue, professeur à l’université de Strasbourg, a travaillé antérieurement sur l’éducation, puis actuellement sur le fait migratoire et de ce fait s’intéresse à la catégorie d’usagers de l’école que sont les enfants de migrants. (Animée par Claude Bataillon)

Claude Bataillon : L’occasion de cette réunion est la publication des textes inédits de Abdelmalek Sayad (1933- 1998) L’école et les enfants de l’immigration, essais critiques, Seuil, 2014. Ce livre a été réalisé par Benoît Falaize et Smaïn Laacher. Ces textes pour beaucoup d’entre eux ont été écrits dans les années 1970 et 1980 à l’occasion de la « Commission Jacques Berque », dont Sayad est parti en claquant la porte.

Trois thèmes vont être débattus : quelles relations entre l’école et les enfants d’immigrés ? Quelle mémoire pour ces enfants ? Que nous dit l’œuvre de Sayad ?

Quelles relations entre l’école et les enfants d’immigrés ? On appelle souvent « immigrés » des citoyens français depuis trois générations qui ont des enfants à l’école…

Choukri Ben Ayed montre que les travaux sociologiques abordent le « problème des immigrants » (même pour critiquer cela) en termes de « handicap socio-culturel ». Des familles qui ont un manque en termes de langage, de bagage culturel. Mais ces études n’arrivent pas à décrire ce qui se passe au sein de ces familles : une très forte valorisation symbolique de l’école et un écart entre des enfants qui s’acculturent de façon complexe à ce qu’est la France où ils passent leurs journées et une école qui réduit cette complexité à la culture d’origine de ces familles, supposée radicalement autre. Comment sortir d’une vision en termes d’essence différente et de pathologie ? Quelles relations réelles entretiennent ces parents avec leurs enfants ? avec l’école ? Les attitudes « anti-arabes » sont très naturelles, tant dans les familles que chez les personnels de l’éducation, cristallisées et non estompées par le temps qui passe. Cette crispation se manifeste dans l’accès aux écoles privées, dans l’attribution des stages. Quand Richard Descoings accueille à Science-po Paris des étudiants « des banlieues » au nom de la discrimination positive, professeurs et public craignent qu’il introduise dans cette école délits et violences.

Benoît Falaize : Le malentendu analysé par Sayad dès les années 1970 est à nouveau étudié actuellement par le sociologue du langage Bernard Lahire (entre autre : (2008) La Raison scolaire. École et pratiques d’écriture, entre savoir et pouvoir, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Paideia). En fait c’est dans les familles où la langue d’origine est totalement assumée à la maison, tout en valorisant l’école, que les réussites sont les meilleures. Depuis 40 ans, l’institution scolaire manque à former ses enseignant à ce public nouveau, supposé en handicap socio-culturel, public d’origine post-colonial comme le disait déjà Sayad, les pères et mères étant dépréciés en tant qu’ouvriers d’usine récemment arrivés. Même les attitudes « bienveillantes » sont facilement déviées : dans une école dont le dogme est de tenir à l’écart les familles, celles qui sont réputées hors norme, quand enfin on dialogue avec elles, perçoivent une condescendance qui ne les incite pas à revenir.

Smaïn Laacher a travaillé directement avec Sayad qui répétait que l’immigration doit être comprise depuis l’émigration : remonter à une histoire, dans laquelle l’institution scolaire est centrale : comment la famille fait pour que l’enfant reste à l’école plus longtemps ? Réussite ou échec ne vient qu’en second lieu ? Ceux qui arrivent jusqu’à l’université dans les années 1980/ 90 sont plus nombreux quand le trajet familial est plus favorable.

Claude Bataillon souligne que « ceux d’en bas » dans ces trajectoires sont, plus que maghrébins, souvent portugais, parce que leurs familles sont massivement des paysans pauvres du nord du pays. En parallèle dans les mêmes générations les Espagnols proviennent en proportion beaucoup plus forte des couches urbaines « éduquées » : la réussite scolaire de leurs enfants est meilleure. Ces trajectoires d’espérances scolaires se reproduisent sur plusieurs générations.

Quelle mémoire de quelle culture pour les familles « issues de l’immigration » ?

Benoît Falaize  rappelle que sur ce sujet Sayad a montré que l’école française de sociologie a établi un discours culturaliste dès avant 1960 à partir de la décolonisation. Antérieurement la question ne se posait pas à propos des immigrants italiens ou polonais. Pour une culture « irréductible » ou une culture « à prendre en compte » ? En général les instituteurs ont une vision généreuse, qui suppose que leurs élèves maghrébins ou maliens ont une culture propre, en oubliant qu’ils héritent depuis plus d’un siècle (pour les Maghrébins) d’une culture scolaire française déjà connue (à la différence des jeunes Portugais ou Espagnols). Quelle mémoire faut-il proposer à ces enfants ? La France a besoin de savoir quel rapport aux autres inclut son récit patriotique. Seul le discours universaliste et unanime produit à l’époque coloniale a été cohérent, où les « indigènes » avaient une place, un rôle. Ensuite, on ne sait plus dire quel est le rapport de la France au Monde. Benjamin Stora parle de l’« oubli du sud » dans la France des années 1990. Les familles immigrées, elles, entre rapprochement de conjoints et regroupements familiaux, connaissent surtout des quartiers de relégation.

Choukri Ben Ayed travaille sur la mixité sociale, la coexistence de cultures, de propriétés sociales : quels sont les textes et discours officiels à ce sujet ? L’impensé qu’on y trouve ? L’enrichissement vient à sens unique, quand l’enfant accède à une école de bon milieu, sans réciprocité. Jusqu’en 2010 l’idée reste de « civiliser » l’enfant. On ne pose pas encore la question : pour un Français « de souche », que donne la fréquentation d’un milieu « français immigré »… ou simplement de couches populaires. C’est aux plus disqualifiés de se faire inculquer la citoyenneté… des riches. Pour faire un monde commun, il faut que chercheurs et intellectuels voient la fréquentation d’une autre culture comme un enrichissement. Les « projets couscous » en classe des années 1980 valorisaient la cuisine des mamans maghrébines, pas la poésie ou autres livres. Il faut apprendre aux élèves et étudiants qu’une histoire commune a été produite par les colonisés et les colonisateurs. Y compris pour montrer les zoos humains, ou les contenus du Musée de la Porte dorée quand il était Musée des colonies. Rien de cela n’est connu par les étudiants.

Smaïn Laacher est embarrassé par les mots culture et identité, comme par les mots immigration, nation. Il prescrit à ses étudiants un exercice : réfléchir sur le fait migratoire sans employer ces mots : les copies produites sont étranges ! Comme dit Sayad, les gens « d’origine immigrée » sont français, mais pas « naturellement. On ne peut les défaire d’un noyau culturel étranger éternel. Ils appartiennent au monde du provisoire, ils ne seront pas toujours là, dans un Etat national qui ne leur appartient pas car ils appartiennent à une autre nation. Comme enfants, ils ont débarqué dans l’institution scolaire française au pire moment. Quand Chevênement, ministre de l’éducation de 1984 à 1986, charge le professeur au Collège de France Jacques Berque d’un rapport sur les immigrés, il y a eux et nous et les enfants sont chargés de servir de pont entre Monde arabe et France. Ces enfants n’étaient « attendus » ni à l’école ni sur le marché du travail. Quelle histoire pour ces « immigrants » ? Depuis plus de dix ans l’Etat français finance de nombreux projets sur les « mémoires » (des ouvriers, des tirailleurs sénégalais, des quartiers à réhabiliter), mais rien de clair sur les immigrés. Récupérer la mémoire familiale est difficile quand on doit se souvenir du père chômeur, du grand frère en difficulté avec la justice. En quelle langue doit-on établir cette mémoire ?

L’œuvre de Sayad

Claude Bataillon : Pendant longtemps, Sayad était l’unique sociologue maghrébin travaillant sur le Maghreb, disciple de Pierre Bourdieu. Ses archives, dont beaucoup d’enregistrements sonores, sont dans cet endroit exceptionnel qu’est le Palais de la Porte dorée, actuel Musée de l’histoire de l’immigration.

Choukri Ben Ayed : le livre de Sayad n’a hélas pas perdu son actualité. Il étudie une ségrégation qu’on mesure depuis 20 ans pour constater qu’elle s’accroit. On en est aux rapports de l’école et de la société post-coloniale. Je l’ai compris encore enfant quand l’adjoint d’un chef d’établissement qui avait convoqué mon père et moi (pour une indiscipline de ma part), nous a dit « toi et ton fils vous êtes des voyous ». Comment Sayad travaillerait-il actuellement sur les « minorités » ? Dans les pays où ont fonctionné des apartheids légaux on peut les identifier. Selon la formule de John Ogbu, il y a des minorités involontaires, quand une population qui ne se réclame pas d’un sort différent du commun y est assignée par les autres. En France, légalement, on ne peut mesurer qui est en situation de minorité et on ne sait si cette mesure serait utile pour l’établissement de politiques publiques : un problème pour les 3e ou 4e générations d’  « immigrés ». Abdel Jahid Akari parle de légitimité de présence pour l’enfant d’immigré. Quand celui-ci fréquente les « autochtones » il s’enrichit, en sens inverse c’est un apprentissage de la tolérance. Qui est dépositaire des règles ? Quand on est admis à Science-po Paris grâce à un concours « aménagé », c’est une exception mineure qui renvoie encore pour le bénéficiaire à cette légitimité de présence.

Smaïn Laacher, au Centre de recherche créé par Bourdieu, a partagé le même bureau que Sayad. Celui-ci, même s’il a fini directeur de recherche au CNRS, n’a cessé d’avoir un parcours précaire. Fragile physiquement, il a étudié des populations fragiles. Il avait une manière très personnelle d’interroger ses étudiants : posez à vous-même les questions que vous voulez poser à vos enquêtés. Falaize a découvert en 2011 que depuis le dépôt en 2007 des archives de Sayad à la Porte dorée, personne ne les avait consultées. Le livre publié réunit les seuls textes qu’il ait produit sur l’école : textes essentiels, très actuels.

Benoît Falaize pense qu’une génération entière a été perdue depuis le moment où Sayad claquait la porte de la Commission Berque. Vers 2008 on constate que l’étude des immigrés reste à faire, que l’impensé colonial reste présent, que les enfants d’immigrés sont considérés comme différents. Hériter de Sayad, c’est accepter deux exigences : l’écoute, l’empathie, pour saisir la parole de l’autre ; l’exigence de la République, pour cet ancien instituteur passé par l’école normale « coloniale » de la Bouzareah à Alger, qui pense qu’on ne peut faire une école juste dans un lieu injuste.

Choukri Ben Ayed rappelle que Sayad parlait du même ton à Bourdieu et au balayeur de l’Ecole des Hautes études. Il pouvait aussi être violent, face aux préjugés. Ce produit de l’école « coloniale » était habité par la question de l’immigration algérienne. Il aurait bondi devant la place donnée au religieux dans la réaction « nationale » française aux événements des 7-9 janvier 2015. Dans l’article « Les enfants illégitimes » (Actes de la recherche en sciences sociales, n° 25, 1979), Sayad recueille la parole du père chômeur : « la France m’a pris mes enfants ». Ces enfants sont là, à prendre comme tels, ils vivent hors tradition, prêts à vivre les mêmes libertés que les « autochtones ».

En conclusion, en réponse à divers commentaires et questions de l’assistance, Choukri Ben Ayed  rappelle que les enfants d’immigrés ne connaissent pas plus d’échecs que les autochtones, à milieu social égal. C’est la hiérarchie et la concurrence scolaire croissantes qui font s’effondrer l’école. Il faut reconstruire un milieu scolaire pacifié favorable à tous les enfants.

Smaïn Laacher insiste aussi sur une réussite scolaire liée au milieu social, au sexe, bien plus qu’à la situation d’autochtone ou immigré. Ce qu’on appelle assimilation, c’est l’accès aux Lumières, autrefois pour les Bretons, plus tard pour les Maghrébins.

Benoît Falaize rappelle la formule « nos enfants ont tué nos frères le 7 janvier ». Il montre qu’on doit assumer le tournant de la société française advenu dans les années 1970 : une massification scolaire sans précédent, une urbanisation massive qui d’ailleurs atteint alors le monde entier, comme l’apparition d’un chômage persistant qui casse l’autorité paternelle. La France a gardé des schémas coloniaux au moment ou, cessant d’être une grande puissance autonome, elle commence à devenir un morceau d’Europe.

 

Complément documentaire sur L’école et les enfants de l’immigration

1- Les trois auteurs interrogés :

Choukri Benayed, enseignant université de Limoges (inégalités dans les systèmes éducatifs français)

La mixité sociale à l’école : tensions, enjeux, perspectives (à paraître),

Discriminations : l’éducation un espace à haut risque ? (in « Racismes ordinaires », Le Sociographe, n°34, janvier 2011), L’école démocratique. Vers un renoncement politique ? (coord. Armand Colin, 2010),

École : les pièges de la concurrence. Comprendre le déclin de l’école française, Paris (coord. avec S. Broccolichi et D. Trancart La découverte, 2010),

Carte scolaire et marché scolaire (Du temps, 2009), Le nouvel ordre éducatif local. Mixité, disparités, luttes locales (PUF, 2009), « École ségrégative, école reproductive », Actes de la Recherche en Sciences Sociales (coord. n° 180, 2009).

Benoit Falaize, enseignant à l’Université de Cergy- Pontoise (contenus des enseignements historiques et problèmes identitaires)

Falaize (Dir.), avec O. Absalon, N. Heraud et P. Mériaux, L’histoire de l’immigration à l’école, coll. « éducation, histoire, mémoire », INRP/CNHI, 2009

Benoit Falaize est sur une page Facebook (accessible sans compte Facebook) : « Le présent des passés » https://www.facebook.com/pages/Le-présent-des-passés/379532718888682?ref=ts&fref=ts

« Harkis 1962-2012. Les mythes et les faits », Les temps modernes, novembre-décembre 2011

Falaize et alii, La France et l’Algérie : leçons d’histoire. De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial, INRP, 2007

Besnaci-Lancou, B. Falaize, G. Manceron, Les Harkis. Histoire, mémoire et transmission, Editions de l’Atelier, Paris 2010

C.Bonafoux, B. Falaize, L. Pierrepont, Mémoires et histoire à l’école de la République, « débats d’école », Armand Colin, 2007

Smaïn Laacher, enseignant université de Strasbourg et EHESS/ Paris (trajectoires éducatives et situations de familles « issues de l’immigration »)

2013 ♦ LAACHER Smaïn, Insurrections arabes. Utopie révolutionnaire et impensé démocratique, Paris, Buchet-Chastel, 2013.
présentation de l’ouvrage

2012 ♦ LAACHER Smaïn, (dir.), Dictionnaire de l’immigration en France, Paris, Larousse, 2012.présentation de l’ouvrage

♦ LAACHER Smaïn, Ce qu’immigrer veut dire, Paris, Le Cavalier Bleu, 2012. présentation de l’ouvrage

2010 ♦ LAACHER Smaïn, De la violence à la persécution. Femmes migrantes sur la route de l’exil, Paris, La Dispute, 2010. présentation de l’ouvrage

2009 ♦ LAACHER Smaïn, Mythologie du Sans-papier, Paris, Le Cavalier Bleu, 2009. présentation de l’ouvrage

2008 ♦ LAACHER Smaïn, Femmes invisibles. Leurs mots contre la violence, Paris, éditions Calmann-Lévy, 2008. présentation de l’ouvrage

♦ LAACHER Smaïn, Et L. Cambrézy, L. Legoux, V. Lassailly-Jacob (dir.), L’asile au Sud. Un enjeu contemporain, Paris, Éditions La Dispute, 2008. présentation de l’ouvrage

2007 ♦ LAACHER Smaïn, Le peuple des clandestins, Essai, Paris, Calmann-lévy, 2007, 215p.présentation de l’ouvrage

2006 ♦ LAACHER Smaïn, L’Immigration, Paris, Éditions Le Cavalier Bleu, 2006, 127p.

2005 ♦ LAACHER Smaïn, L’institution scolaire et ses miracles, Paris, La Dispute (Coll. « Comptoir de la politique »), 2005, 210p. présentation de l’ouvrage

2003 ♦ LAACHER Smaïn, Les systèmes d’échange local. Une utopie anticapitaliste en pratique, La Dispute, 2003. Note sur l’ouvrage parue dans Mouvements (2004 3-4 n° 33/34)

2002 ♦ LAACHER Smaïn, (Et F. Brun), Situation régulière, Paris, co-édition, Centre d’études de l’emploi, l’Harmattan, 2002. présentation de l’ouvrage.

♦ LAACHER Smaïn, Après Sangatte. Nouvelles immigrations. Nouveaux enjeux, La Dispute, 2002.

2001 ♦ LAACHER Smaïn, Et J-Cl. Lefevre, (dir.), Bilan de l’exposition Pertes et Profits, Centre national de l’estampe et de l’art imprimé, Ecole nationale des beaux-arts de Bourges, Histoire et anthropologie, juin 2001.

1987 ♦ LAACHER Smaïn, Questions de nationalité. Histoire et enjeux d’un code, S. Laacher (dir.), Paris, éditions L’Harmattan, 1987.

1985 ♦ LAACHER Smaïn, Algérie, réalité sociale et pouvoir, Paris, éditions L’Harmattan, 1985.

Laacher Smaïn, L’institution scolaire et ses miracles, La dispute, Collection « Comptoir de la politique », 2005, 213 p.

Le couple migration/ scolarisation n’est un problème identifié en France dans les sciences sociales qu’après 1975, avec « la crise », les regroupements familiaux. Avant le scolaire est un outil « naturel » de naturalisation de mignants dont les particularismes n’intéressent pas. Puis l’élève enfant de migrant est un objet « bloc », doué d’une « culture » à la fois pauvre et barbare, dont l’intégration s’impose. Il faut passer à l’étude de trajectoires concrètes.

Un détour (chapitre 3) par la statistique scolaire (population par sexe, âge, filières, durée d’études) ne permet pas de dégager des « lois », donc les trajectoires concrètes deviennnent le vrai objet de recherche. Le Chapitre 4 (familles, transmission et société) est une critique des concepts valise (la famille, l’ensemble « immigré » ou « immigré maghrébin, algérien »), pour montrer que cette famille n’est pas globalement rétrograde ou projetée vers la modernité, mais bricolage « sans modèle hérité », au quotidien, des relations personnelles au sein d’une vie matérielle, en évolution permanente. La famille immigrée est le point extrême, historiquement, de la famille ouvrière française (ou « développée » plus largement hors de France) qui à partir des années 1970 subit des transformations rapides et fragilisantes (les thèmes essentiels étant : identité sociale et professionnelle, espace privé, rapports entre sexes, religion, politique).

Ouvre sur l’annonce de l’analyse d’une centaine d’entretiens (1989-1992) auprès de jeunes ayant « réussi » (IUT, grandes écoles, universités). Chapitre 5 : université et universalisme. La « réussite » n’a pas le même sens selon les familles et les membres de celles-ci, alors que le système scolaire mesure la même réussite pour tous, selon des normes essentiellement économiques. Les grands-parents atypiques au pays enracinent les trajectoires de « réussite » en France tout comme les parentèles d’oncles « lettrés » et possesseurs de biens. Les histoires familiales directes passent par les apprentissages de l’écrit (permettant le calcul), mais aussi par le militantisme ou la religion, par des choix de lieu de résidence (y compris l’étage dans la tour). Constitution au sein de la famille d’une culture télévisuelle (qui comprend quoi ?), les parents n’ayant pas le moyen d’être les médiateurs vers le monde moderne pour leurs enfants, mais pouvant porter une morale éducative de persévérance, dignité, qui assurent une maîtrise du présent et de l’avenir. Puis le rôle de tuteurs extérieurs à la famille, à partir du collège, pour découvrir la politique, « l’écriture » littéraire, etc.

2e partie : trois portraits, un garçon qui décrit les deux expériences de la licence d’histoire et de l’IEP de Paris, comme de l’ethnologie de la bourgeoisie française, une fille pour qui le sydicalisme étudiant et la politique sont les outils d’« intégration », une autre fille doit gérer les interdits familiaux sans conflits majeurs, parce qu’elle joue un rôle de chef de famille valorisant, reste en contact avec le monde malgré l’acceptation de l’enfermement à la puberté et devient avocate.

Conclut sur les formes de l’apprentissage de la liberté individuelle, qui n’appartient pas à l’univers familial et n’est pas donnée simplement par le scolaire, mais découverte dans le scolaire.

D’autres livres :

Abdelmalek Sayad, L’école et les enfants de l’immignarion, essais critiques, Seuil/ La couleur des idées, 2014, 239 p. Edition établie, présentée et annotée par Benoit Falaize et Smaïn Laacher. [introduction et post-face].

Série de 9 textes en général inédits des années 1976/ 1996. Précédé de « Un parcours scolaire », autobiographie, p. 21-32. Témoignage d’un fils de petit fonctionnaire kabyle « lettré » (aux Aurès, en Kabylie, à Alger) qui se bat pour la scolarité de son fils entre 1941 et 1956. Parcours via l’école normale d’instituteurs de la Bouzareah, dans la fin du système colonial. Avec une analyse de ce qu’est la Kabylie dans le système colonial.

Les textes sur l’école des immigrés « ouvrent » ce que sera la problématique de Laacher. Tout le propos de l’auteur tourne autour de la dénonciation d’une école qui veut traiter les élèves immigrés en « mineurs ». Il décortique ce qu’est réellement la « culture pauvre » dans ces familles, pour la rapprocher de la culture pauvre des sous-prolétaires « français de souche ». Sa connaissance de l’intérieur du système scolaire primaire/ collège à la française lui permet un « parler vrai » dans un domaine où les choses à ne pas dire abondent : pour cela il remonte aux propos privés des acteurs, plus vrais que leurs propos publics et à fortiori leurs écrits. Il montre la hiérarchie « post-coloniale » des élèves (espagnol, tunisien, marocain, algérien, portugais). Il montre la bonne volonté « débordante et bien-pensante », avec sentiment de culpabilité, des anciens coopérants au Maghreb (Algérie surtout) qui veulent employer en France leur connaissance du milieu maghrébin, de l’arabe, langue parlée surtout mais parfois écrite, qui leur a demandé effort et passion.

Les textes des années 1983/ 84, soit la « Commission Berque », sont les plus longs, avec pour le premier (p. 91- 124) une très forte argumentation et une dose d’indignation indéniable. La cible est les « enseignants étrangers » accueillis dans les années 1973 et suite pour « aider » à la fois au retour éventuel au pays et à l’adaptation en France des fils d’immigrés. Il décortique le discours des maîtres maghrébins (algériens en particulier) qui créent une « contre-culture scolaire » de revanche contre le « colonialisme », à base de machisme (le maître musulman vaut mieux que la maîtresse roumia) et de religion « basique » plus que de connaissance réelle d’un arabe moderne.

Il dénonce violemment (p. 195- 196) la « malhonnêteté intellectuelle » de la Commission Berque, qui épouse mollement les thèses fausses de l’Enseignement des Langues C Origine par bonne conscience, puis les rejette en catimini sans le dire, en s’appuyant sur le prestige du Ministre et du Collège de France

Les textes postérieurs abordent les mêmes thèmes, mais ouvrent d’autres fenêtres : Les migrants portugais (venus des campagnes surpeuplées du nord du pays) sont bien plus « inassimilables » que les maghrébins, surtout algériens, imbibés des codes mentaux, politiques, économiques de la société française dans le Maghreb colonial, puis post-colonial, puis en immigration depuis le début du Xxe siècle.

La « solution » de l’intégration des immigrés n’est pas une pratique scolaire spéciale, c’est un autre urbanisme de périphéries des villes, évitant les poches de marginalité + une revalorisation des enseignements pour tous les marginaux, pas seulement immigrés (un « mauvais élève » en vaut 1 et demi ou deux dans une classe pour le maître ou la maîtresse).

Le long article final sur l’illétrisme monyre que les critères sont ceux que les profs choisissent pour juger ceux qui sont essentiellement à l’armée, puis en prison ou en hopital, essentiellement masculins, sans percevoir ce qu’est la lecture réelle des plans et cartes, pancartes, notices, pour ceux qui ne pratiquent pas la lecture « noble ».

Quelques citations : p. 80, fin, le cours de « langue nationale » serait acceptable comme « fête interculturelle », récréation, activité « gratuite »

p.112 des cas de bilingue réussi… 7e et 16e art de Paris en maternelle et primaire

p. 117 on ouvre l’école à des enseignants étrangers là où on a été jusqu’à « dépouiller les familles de leur propre rôle éducatif e interdire l’accès de la salle de classe aux parents d’élèves »

p. 182 La recherche sociologique sur l’enseignement a oublié l’école élémentaire.

Chantal Crenn et Laurence Kotobi coord., Du point de vue de l’ethnicité, pratiques françaises, Armand Colin /Recherches, 2012, 347 p., chapitre II-2, « En marge du métier, dispositifs d’intégration et pratiques enseignantes face aux élèves primo-migrants en collège », p. 111- 123 (enquète participante dans deux collèges de banlieue parisienne à fort taux d’immigrants, deux stratégies : grouper les intéressés avec les enfants d’immigrés en échec scolaire= ils se retrouvent en tête de « mauvaises classes » sans difficulté/ les disperser dans toutes les classes= ils « apprennent » plus en queue de classes sous forte pression. Attitude générale des enseignants= on n’est pas formé à ces problèmes et l’égalité de traitement des élèves prime sur les besoins d’adaptation)

Moro, Marie-Rose, Enfants de l’immigration, une chance pour l’école, entretien avec Joanna et Denis Peiron, Bayard 2012, 178 p.

Elle est pédo-psychiatre et psychanaliste, travaille pour Médecins sans frontières ; ils sont journalistes. Elle prône une vue positive de la scolarisation des « enfants d’immigrés, elle même de parents espagnols illétrés et pratiquant son métier avec l’éventail des « enfants à problèmes ».

Dans l’apprentissage du français pour les enfants immigrés, il est essentiel de cultiver une double appartenance affective et langagière : ne pas couper l’enfant de ses racines lui permet de s ‘adapter à l’école et à sa « deuxième langue ». Il importe en particulier de respecter le nom et surtout le prénom de l’enfant, élément de son identité ( p. 33, p. 42) pour sa tradition familiale, histoire et religion à la fois.

Chapitre VI sur le bilinguisme : nécessité de l’encourager, non de le contrarier. Sur le multiculturalisme, les chapitres VII et X, les images à proscrire d’une intégration/ assimilation (p. 165). Chapitre V, apprentissage de la diversité, l’enfant dit être « passeur entre deux cultures » (p. 172), valoriser les individus, inciter à surmonter les handicaps et à chercher plus haut que ce qui est proposé (chapitre III, p. 62-3) [Note de lecture due à Claude Lambrechts, octobre 2014]

Bentolila Alain, Au tableau, Monsieur le président ! Pour une école enfin républicaine, Odile Jacob, 2012, 153 p.

Un pamphlet pour la présidentielle de 2012, projet sur l’éducation. Première partie, 15 chapitres courts thématiques résumant l’essentiel de ce que doit être une démocratisation centrée sur le pré-primaire, les élèves en difficulté et l’illétrisme, la formation des maîtres à réorganiser, les équilibres de pédagogie entre les normes et la souplesse. La plupart de ces chapitres contiennent des exemples concrets souvent utilisables directement (p. 52, le mouvement de l’ombre et du soleil ; p. 71, Leïla et le droit de lire pour une fille maghrébine ; p. 75, les contes en bambara pour valoriser les élèves aux familles non francophones).

Seconde partie, 7 chapitres de descriptif des réformes à programmer (articulations du continuum du cursus scolaire, formation des maîtres dont la valorisation professionnelle doit être la pédagogie, refondation des métiers de l’éducation, place des parents et ouverture de l’école à ceux-ci car pour les élèves fragiles et débutants c’est l’assurance des parents qui est la principale aide aux enfants, illétrisme et ses nouvelles figures).

Bentolila Alain, De l’illétrisme en général et de l’école en particulier, Plon 1996, 218 p.

Construit par courtes séquences à base de réponses à une interrogation. Cerne les problèmes de l’illétrisme. P. 107, En quelle langue faut-il alphabétiser ? Répond sur deux exemples (créole haïtien, Quetchua équatorien) que l’essai d’alphabétisation en « vernaculaire » est une impasse, mais aussi une nécessité : il faut à la fois alphabétiser ainsi en vernaculaire, en même temps qu’apprendre oralement les langues du pouvoir, puis passer à l’alphabétisation dans celles-ci. De même pour compter, s’appuyer sur la base 12 chez ceux qui comptent oralement par douzaines, puis passer à la base 10. Préconise la même séquence pour les peu francophones en France. Pointe les 8% d’élèves qui cheminent jusqu’à la fin du collège dans l’illétrisme acquis au CP.