“Revoir Camus”, café littéraire, 3 février 2018, animé par Yves Chemla, avec Jacques FERRANDEZ, Saad KHIARI, Christian PHÉLINE, Agnès SPIQUEL, Michel THOUILLOT
De Albert Camus, on connaît le passé familial grâce au Premier homme, revisité par Jacques Ferrandez, depuis le Benidorm de la grand-mère. Sur le jeune homme des années 1930, on apprend son engagement dans le Front populaire algérien et ses liens avec des nationalistes algériens. Deux romans qui prolongent L’étranger reconstituent le vivre-ensemble des quartiers populaires algérois, ou la naissance de la protestation « indigène » en prison.
Jacques Ferrandez, nous donne à voir toute la biographie de Camus dans sa BD sur Le premier homme, qui fait suite à deux autres, sur L’hôte, puis sur l’Etranger(2013). https://coupdesoleil.net/blog/j-ferrandez-letranger-dapres-a-camus/ Cette autobiographie inachevée qu’est Le premier hommenécessite pour Ferrandez un travail de découpage, en s’appuyant sur les notes du livre. Dans la BD, il a fallu supprimer des personnages secondaires esquissés seulement (le frère), mettre en scène le long terme : retour aux années 1848, au Benidorm des origines de la grand-mère, au temps long de la mère à la fois jeune épouse et vieille veuve.
Les autres interventions se concentrent toutes sur l’avant seconde guerre mondiale, moment où se situe L’étranger. Le livre d’histoire de Phéline et Spiquelapprofondit le détail des années 1935- 1937. Ce fut pour les auteurs un bonheur de fouiller les archives (en particulier revenues de Moscou…), de recueillir les témoignages des « filles des » protagonistes de Camus, de retrouver les sociabilités de ces européens de gauches, jeunes étudiants à l’époque comme Camus, et futurs « libéraux » dans la guerre d’Algérie. Ils reconstituent les quelques mois de l’activité, « déviationniste » pour le PCF, de la Maison de la culture et du Théâtre du travail, aventures fondatrices et inoubliables pour Camus. Celui-ci vit là des années de violence politique : l’union nationale que représente pour le PCF le Front populaire implique l’abandon de la solidarité avec les nationalistes algériens. Or, pour Camus, le projet Blum Violette de ce Front populaire (jamais voté ni appliqué), donnant le droit de vote « français » à une minorité de « sujets musulmans », est une première étape qu’il faut soutenir (voir http://alger-mexico-tunis.fr/?p=192 ). Ce que refuse alors Messali Hadj, mais ce qu’en 1939 les Messalistes emprisonnés réclameront. Comme les responsables politiques plus haut placés, Camus est exclus du Parti. Mais c’est déjà un poids lourd intellectuel, si bien que son exclusion évite les cérémonies coutumières alors de dénonciations et de calomnies.
Deux romans relèvent le défi, qui a déjà été le succès que l’on sait avec Kamel Daoud, de donner une suite à L’étranger. Khiari nous donne une première métamorphose du roman, en mettant en scène Marie Cardona, qui réussit à savoir qui est le frère de « l’arabe », le rencontre et mène avec lui un voyage- reportage, pour une introspection sur les deux communautés de « petites gens » qui se sont côtoyées sans vivre ensemble, en espérant une symbiose post-coloniale.
Thouillet donne une autre suite à L’étranger : au lieu d’être condamné à mort (ce qui est effectivement une invraisemblance, certainement assumée par Camus), Meursault découvre dans la prison où il est enfermé à vie le monde des détenus presque tous « musulmans »…, le racisme au quotidien, la montée du nationalisme algérien. On sait qu’au printemps 1939 Camus a demandé la libération des Messalistes emprisonnés.
Nous avions eu une “avant première” de cette séance à l’automne 2017; https://coupdesoleil.net/?s=ferrandez/
Lire aussi sur l’actualité de Camus: https://coupdesoleil.net/blog/albert-camus-un-homme-en-revolte-alessandro-bresolin/
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