« L’ISLAM INCERTAIN – REVOLUTIONS ET ISLAM POST-AUTORITAIRE » de Hamadi REDISSI
(Cérès Editions, 2017)

Hamadi Redissi est Professeur de sciences politiques à l’Université de Tunis. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et études sur le monde arabo-musulman rédigés dans une perspective comparative et pluridisciplinaire (histoire, théorie et sociologie politiques). Il a bénéficié de nombreuses bourses de différentes fondations. Il est membre de l’A.I.M.S. (American Institute For Maghreb Studies), ainsi que du conseil de rédaction des revues Jura Gentium (Florence) et Iris (European Journal of Philosophy and Public Debate). Impliqué dans le débat public en Tunisie, il est président d’honneur de l’Observatoire Tunisien de la Transition Démocratique.

Dans « L’Islam incertain, Révolutions et islam post-autoritaire », publié chez Cérès Editions en 2017, l’auteur convoque trois grandes questions qui agitent le monde arabe postrévolutionnaire, à savoir la révolution, la démocratie et l’islamisme, leurs vérités et leurs agencements entre dérives et accommodements.
Hamadi Redissi poursuit sa réflexion, initiée dans « la tragédie de l’islam moderne »entre autres, sur le jeu des islamistes dans des contextes nationaux et internationaux instables et mouvants, en partant d’exemples concrets, de la Turquie à la Tunisie. Avant même le début des dites révolutions arabes, Hamadi Redissi montrait déjà que l’islam traversait une crise. Il constatait que l’islam avait perdu son identité rigide mais qu’aucune autorité n’était en mesure de décider ce qu’était le « vrai » islam. Entre tradition et modernité, il oscillerait et pratiquerait le mélange et la cohabitation.
Dans « l’islam incertain », publié quelques années après le début des révolutions arabes, à travers des exemples concrets, tels que la Turquie ou la Tunisie, H. Redissi revient sur cette réflexion, il analyse l’évolution de la place de l’islam post-autoritaire dans les pays arabo-musulmans et montre que rien n’est encore définitivement tranché, d’où ce titre : l’islam incertain.

Cet ouvrage se décompose en trois parties :
Dans la première, intitulée « la révolution, un tournant », il analyse, en particulier l’impact des révolutions arabes selon les différents contextes : sunnite ou chiite, pays pauvre ou riche, rural ou urbain. Avec l’émergence de la société civile dans les pays des Révolutions arabes, un environnement favorable à l’accélération du processus démocratique s’était créé. Autonomes, spontanés, les citoyens furent nombreux, lors des manifestations à affirmer leur attachement à la liberté.
Aujourd’hui, nombre de débats relatifs à l’islam présentent leur problématique sous la forme d’une unique alternative : l’abandon de la foi ou l’expression intégraliste. Cette approche a émergé à partir des années 80, dans les pays arabo-musulmans, sous l’impulsion des pays conservateurs du Golfe (Arabie Saoudite et Qatar) qui tentent d’imposer un conservatisme de plus en plus dogmatique au sein de nos sociétés par le biais de différents mouvements islamistes, intégristes ou salafistes.
D’ailleurs, le terme même de laïcité est frappé d’anathème dans le monde arabo-musulman, il est même quasiment synonyme d’athéisme dans certains milieux islamiques. Pour les plus éclairés, la démocratie et le rationalisme suffisent, la laïcité est superflue. D’autres, encore, rejettent ce concept car inadéquat ou non-pertinent dans le monde musulman.
Dans la deuxième partie, intitulée « face à la démocratie », il tente de décrypter comment l’islam (dit antiautoritaire) tente de s’adapter selon les différents contextes. Il analyse les liens subtils entre religion et pouvoir, il montre comment la religion tente de plaquer son propre système de valeurs sur la vie politique.
En se basant sur différents exemples, dont celui de la Tunisie, il analyse l’intégration des partis islamistes au jeu politique, avec une attention particulière portée à l’exercice du pouvoir. Existe-t-il une ligne dominante qui se dégage ? Est-ce que l’inclusion des partis islamistes au champ politique institué les a conduits à développer une conduite « pragmatique » et une idéologie « modérée », ou au contraire, en ont-ils profiter pour tenter d’accaparer le pouvoir et d’imposer leur idéologie ?
Dans la troisième partie, « l’islamisme à répétition », il montre les désillusions des soulèvements arabes. Au départ, l’islam est absent, on pense que l’islam politique s’est assagi, puis réapparaissent différents islamismes, dans une sorte de surenchère, différentes sortes de salafismes.
Dans certains cas ou contextes (Tunisie, Turquie), H. Redissi pointe l’affaiblissement de l’engagement proprement religieux des partis et le renoncement aux projets initiaux de bouleversement de l’ordre politique, institutionnel et social. Cependant, si la diversité interne de l’islamisme n’est plus à démontrer (des djihadistes aux partis politiques), les organisations légales seraient–elles toujours prêtes « à faire des concessions idéologiques » ?
En guise de conclusion, H. Redissi constate que le Monde Arabe hésite toujours entre démocratie et barbarie. Sachant qu’en terme de barbarie, nous avons vraiment l’embarras du choix : barbarie nationaliste dictatoriale, libéralisme sauvage ou barbarie islamiste ou toutes sortes de combinaisons des trois.

Mouloud HADDAK (23 mars 2019)

(extrait de la Lettre culturelle franco-maghrébine N° 32, avril 2019, Coup de Soleil Lyon)