Ahmed Bedjaoui, professeur d’Université à Alger et Président du Fonds d’aide pour le cinéma algérien. Va présider le festival de cinéma du Burkina Fasso Emma Raguin directrice et coordinatrice du PCMMO, Kamal El Mahouti fondateur du PCMMO (Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen Orient de Saint Denis) et Président d’Indigènes films, enseigne le cinéma à Paris VIII.Modératrice Zina Berrahal

Emma Raquin : Il y a réellement une forme de renouveau dans le cinéma actuel du Maghreb.Une envie pressante de raconter son monde à travers le cinéma, les courts métrages comme le prouvent les œuvres de Kaouther Ben Hania  « Le challat de Tunis ».Les films mêlent la réalité et la fiction.On sent une réelle recherche de nouvelles formes comme chez Karim Messaoui par exemple en Algérie.

Kamal El Mahouti : Je pense que le cinéma maghrébin évolue lentement, il y a une progression mais je n’appellerais pas cela un renouveau. En tous cas, il n’est pas spectaculaire. Il se confronte à des difficultés. Notamment, au Maroc où les sujets font l’objet de censure.Il y a aussi de sérieux problèmes de formation.Mais si l’on met le cinéma en parallèle avec la société, alors oui, on peut parler d’évolution.Toutefois, il est trop tôt pour parler de renouveau.

Ahmed Bedjaoui : Cette appellation me gène. Renouveau par rapport à quoi? Pour moi, il y a toujours eu du renouveau, même par le passé. Comme par exemple « Omar Gatlato » de Merzak Allouache ou « La maison jaune » de Amor Hakkar.C’est une mascarade que de parler de renouveau, une stigmatisation qui crée des complexes, il y a toujours eu un renouveau.Mais on peut considérer qu’il y a plus de « talents purs » depuis 2007 environ. Plus d’innovations que lors de l’Äge d’or.

Emma Raguin : Au niveau du documentaire il y a de l’invention. Comme dans « Demande à ton ombre » ou « Comment recadrer un hors la loi en tirant sur un fil » de Lamine Ammor Khodja.

Ahmed Bedjaoui : Evolution, révolution, dévolution…On a privé le cinéma de son public. Commerce, financement des films. En Algérie, il y avait 450 salles et aujourd’hui il n’y en a quasi plus.On n’a pas développé une industrie mais une production.On ne connaît de notre cinéma que ce qui traverse la Méditerranée.Il faut savoir que l’Algérie produit au moins 10 documentaires par an. Je pense à « Combien je vous aime » de feu AzzedineMeddour. Il y a aussi de nombreux courts métrages.Il y a des talents mais pas de public.Il y a une sorte d’engouement pour le documentaire, souvent très maîtrisé.Je pense à « Central airport » de Karim  Aïnouz. Aux films de Messaoui. Les ateliers d’écriture de cinéma sont très prisés.De plus on est passé d’une ère de « cinéastes de femmes » à un « cinéma de femmes ». On est passé du féminin au féminisme.

Kamal El Mahouti : C’est une évidence, il y a une réelle progression. Au Maroc actuellement il y a une politique publique du cinéma. Des salles, des formations, des événements. Le monde du cinéma est en ébullition. On constate notamment une activité dans le domaine privé.L’Algérie est en progression au niveau de l’écriture de scénarii. Il reste des sujets tabous. Parfois ils sont traités  Je pense particulièrement à Tariq Teguia avec son « Kindil el bahr ».Je pense que les difficultés engendrent le talent. Il faut une politique publique pour aider à la création. Les conditions sont souvent compliquées, il faut braver tous les dangers. On commence enfin à voir des films maghrébins à Cannes, Berlin ou encore Venise. Les talents sont tellement évidents que leurs films arrivent à traverser les frontières. Mais il reste un travail à effectuer sur les mentalités.

Emma Raguin : On voit de plus en plus de films de genre. Outre « Kindil el Bahr » on peut citer « WWW » (What a wonderful world), de Faouzi Bensaïd Hicham Lasri ou Ala Eddine Slim.Souvent un second film déçoit par rapport à un premier qui fut excellent.Dans les années 60/70 on a eu des chefs d’oeuvre tels que « L’opium et le bâton » de Ahmed Rachedi. A cette époque il y avait un véritable engouement pour le cinéma. On a ouvert des salles très vite. Il y avait 40% de taxes sur les films étrangers. 14% allaient au fonds d’aide pour le cinéma algérien, donc c’était financé par le public. C’est cela qui s’est cassé.Aujourd’hui, le fonds d’aide est alimenté par l’Etat.Et lorsque le cinéma s’est effondré à l’aube des années 90, cela a correspondu à un désintérêt des européens : 0 financement des films algériens. Nous sommes en quête d’identité que l’on peut voir dans le film « La maison jaune » de Amor Hakkar.Les cinéastes de la diaspora sont venus enrichir le  cinéma maghrébin.La co-production avec la France ou d’autres pays est recommandée parce que c’est « plus vendable ».

Kamal El M : Au Maroc cela ne passe pas par le Ministère de la Culture.Il y a un fonds pour la rénovation des salles.Des sociétés privées font des demandes de subventions mais elles font face à des critères de sélection. Par exemple, il faut avoir réalisé 3 courts métrages pour obtenir des finances pour un long métrage.Et il faut être en possession d’une carte professionnelle.En France il faut 4 millions d’euros pour commencer un film. (Il faut payer les compétences, le matériel, les acteurs, les techniciens mais aussi la nourriture, l’hébergement etc).Il devient donc indispensable d’avoir un financement international. Et les fonds ou leur fonctionnement changent régulièrement.Il y a un flou artistique permanent. Les fonds ne sont pas garantis.

R: Oui, d’où l’intérêt des co-productions.Il y a également aux douanes le problème pour faire entrer du matériel.Beaucoup de productions françaises ont des projets avec des bi nationaux mais il y a des difficultés à trouver des producteurs sur place.Il y a le centre national du film tunisien, le Festival de Carthage qui crée une grande affluence, mais ponctuelle, et les salles sont désertées le reste de l’année. Le home cinéma est un dangereux concurrent. Pour que les salles vivent, il faut accueillir des films de l’étranger.Il faut un engagement politique par rapport au cinéma.Il faut former des distributeurs dans ces jeunes pays.

K El M : Une volonté des politiques publiques est indispensable. Le pavillon du Maghreb à Cannes est récent, le cinéma maghrébin est en pleine adolescence mais c’est une belle adolescence prometteuse.

B: Il existe un réel problème économique notamment au niveau des salles.Il y a une volonté politique mais cela reste dans l’amateurisme. L’encadrement reste mou.Il reste des obstacles au retour des salles privées.Par contre, il y a de plus en plus d’aide à l’écriture. Il y a une recherche de cinéma intelligent, qui a du sens. L’un des obstacle économiques vient d’une loi 49/51; (Article « Algérie Focus » avril 2018). Cette loi est une entrave, il faut une exception culturelle pour la changer. Il y a une volonté de rénovation mais pas de distributeurs. Même avec un visa commercial. La seule solution serait les Multiplex dans les centres commerciaux. Il faut aussi tenir compte du repli des mentalités. Et de l’engagement des femmes.

R: Aujourd’hui il y a environ 60 à 70% de réalisations dues à des femmes.

K El M : C’est un secteur d’activités où hommes et femmes sont à égalité.

R! Sauf que le salaire des femmes est égal à la moitié de celui des hommes, même en France !

B: On est passé d’un cinéma féministe au masculin à un cinéma de femmes. Assia Djebar a été la première à réaliser un long métrage. Les victimes sont le public. Les thèmes des films viennent du public. Ils doivent être vus chez soi.Pour que les étrangers voient notre cinéma et s’y intéresse il faut déjà qu’il ait été reconnu chez nous.C’est un problème qui subsiste dans les mentalités.Le désintérêt du cinéma ne date pas particulièrement des années noires parce qu’il est antérieur mais il est certain que cela a précipité ce désintérêt.Des distributeurs ont été dépossédés des salles. Et c’est la faute de l’Etat. (Monique Chaïbi)