Tisser le temps politique au Maroc, imaginaire de l’État à l’âge néolibéral. Béatrice Hibou et Mohamed Tozy, Karthala 2020, 655 pages.

C’est une description du Makhzen réel entre le modèle impérial et le modèle de l’État-nation. Une description fine, politique et anthropologique, pour tisser un temps long.

Rendre compte de ce livre brièvement nécessité de ne garder que des points forts : La description de la responsabilité royale, l’analyse des formes de la violence permettent de donner un cadre.

Sous le terme gouverner la nationon nous parle en premier lieu de l’opération phare du roi actuel, Tanger Méditerranée. Mais on nous parle aussi de comment gérer 150 000 km² de terres collectives, soit la moitié du « Maroc utile » sur les 750 000 kilomètres carrés en incluant le Sahara. L’administration territoriale est menée par des moyens d’exceptions, d’une part dans le Nord, pays du cannabis mais aussi de dissidences récurrentes, d’autres part dans le Sud saharien où 30% des dépenses spéciales de l’Etat se déverse sur 3 % de la population, Enfin dans l’Oriental, la dernière agence spéciale créée en 2006, territoire où normalement 1 millions de touristes algériens vient chaque année et où le commerce « inter frontalier » est intense malgré la fermeture de la frontière depuis 1994.

Un temps fort du livre concerne les quatre personnages à la basedu fonctionnement administratif, dans un Etat où la tradition impériale impose de gérer « à l’économie ». Le Moqaddemest une sorte de gardes champêtres principalement payé par les usagers eux-mêmes : on nous le montre dans le haut Atlas où il remplace même le facteur. A Casablanca aussi il doit tout savoir de son quartier, ne passant qu’une heure par jour dans son bureau. Le Naïb, notable coopté qui gère les terres collectives doit être alphabétisé en arabe pour attester des titres de propriété. Le Talebdoit être disponible dans chaque douar puisqu’il dessert l’indispensable mosquée qui fait l’existence « administrative » d’un douar. Enfin l’Adelest le notaire traditionnel (mariages, successions),  de tous temps évidemment un homme, mais tout récemment des femmes ont été intronisées, scandale pour les traditionnalistes avec répercussion jusqu’au Moyen orient.

Pour conclure on nous présente un pays plein de tensions mais pas en crise dramatique. C’est une société en changement sur le long terme qui est appréhendée dans le quotidien. Sur 35 millions d’habitants 60 % vivent en ville et la diaspora de 4 millions participe à sa manière à la vie nationale.

Si les index ont été soignés, c’est grâce à un éditeur dont nous connaissons la qualité (Claude Bataillon)

Compte-rendu du livre dans « La vie des idées » https://laviedesidees.fr/Au-Maroc-la-persistance-d-un-ancien-regime.html

Une longue conversation avec les auteurs à l’Institut français de Casablanca: https://www.facebook.com/institutfrancaisdecasablanca/videos/rencontre-avec-béatrice-hibou-et-mohamed-tozy-autour-de-leur-dernier-ouvrage-tis/1197267654414739/