Leïla Sebbar, Recueil de nouvelles (1998/2021) « De l’autre côté de la mer, c’est loin » Paru dans « Mémoires d’encre » de la Revue « Etoiles d’encre » chez Chèvre Feuille Etoilée. Revue ancienne et toutefois toujours jeune ! Revue des femmes imaginée par des femmes.
Loïc Barrière : Dans l’une de vos nouvelles, il s’agit du drame d’une mère qui voit le corps de son fils à l’arrière d’une voiture. C’est sans doute une allusion à la décennie noire?
LS : Oui, ce sont les guerres qui m’inspirent. Quand on écrit, on le fait pour éviter l’oubli.Kateb Yacine lui-même a beaucoup écrit sur la guerre. Elle est là, elle sera toujours là. Et parmi les guerres, les civiles sont ce qu’il y a de pire.
Les guerres de libération aussi, mais elles peuvent paraître justes.
LB : La douleur d’une mère. Perdre un fils est injuste. Le lien mère/fils est un lien indélébile, et tragique.
LS : C’est impossible de raconter une nouvelle ni expliquer comment les écrire.Pour « le monologue de la prisonnière » cette femme qui a tué son père et a épousé un homme dont sa famille ne voulait pas, vous voudriez une thèse mais je n’ai pas le temps de vous la faire.
LB (avec humour): Peut-être vais-je vous laisser choisir les questions auxquelles vous voulez répondre. Passons à la nouvelle « Mémoires d’un arbre », Les arbres sont porteurs de secrets.
LS : Oui, j’aime les arbres, j’ai mal au coeur quand je vois un tronc. Quel que soit l’arbre il y a quelque chose qui se passe. C’est comme les hommes, il y en a qui vous touchent, on ne peut pas s’empêcher. Il y a des arbres qui me touchent plus que d’autres.
Loïc Barrière lit un passage de la nouvelle qui l’a particulièrement touché
LS : Enfant, quand j’allais chez mon père, je voyais des femmes qui montaient en haïk, je lui demandais où elles allaient. « Au mausolée d’un saint ». Elles accrochaient des bouts de laine à une branche d’arbre en guise de voeux. Je ne comprenais pas et cela m’a intéressée de ne pas comprendre ! Il fallait monter, cela demandait un effort. Quand on écrit, on n’a pas besoin de comprendre. Je ne m’intéressais pas aux sciences, en classe : je copiais sur une camarade dans les matières scientifiques. J’aime laisser l’énigme être une énigme.
Un peu comme le destin d’Isabelle Eberhardt qui enfant, jouait au foot avec les garçons, Orpheline, il lui arrivait de dormir dans les vignes; elle m’a toujours fascinée. Révoltée, rebelle, vagabonde, indomptable, Dans la réalité ce n’est pas ainsi.(Monique Chaïbi)